Joue-t-on à se faire peur dans les chancelleries ? Quoiqu’il en soit l’hypothèse d’un raz-de-marée islamiste au Maroc pour les législatives qui se dérouleront vendredi est fortement envisagée.
Troisième parti politique du royaume depuis les élections législatives de 2002, le Parti de la justice et du développement n’a cessé, depuis, de renforcer sa position dans la société, d’élargir sa base et d’étoffer son appareil. Ses congrès nationaux réguliers ont été l’occasion de renouveler, de rajeunir et de « féminiser » sa direction.
En face, la classe politique traditionnelle s’est révélée plus que jamais divisée, sclérosée, anti-démocratique et incapable de se renouveler.
De plus le Maroc est un pays qui se classe au 125e rang de l’Indicateur du développement humain des Nations unies. Près de la moitié de sa population âgée de 15 ans et plus est analphabète (49,3%). Plus du tiers de la population (34,5%) est pauvre, avec 14,3% vivant avec $2 par jour. Les rangs des chômeurs, dont ceux diplômés des cycles supérieurs, ne cessent de gonfler. L’approche de 2010, date de la levée des barrières douanières avec l’Union européenne, est appréhendée avec angoisse, d’autant plus que la concurrence chinoise a déjà fait beaucoup de mal notamment dans le milieu du textile et du prêt-à-porter.
C’est ce contexte de crise économique et de blocage politique qui explique l’inquiétude des adversaires du PJD de le voir devenir parti majoritaire dans la Chambre des représentants au lendemain des élections législatives de 2007. Cette appréhension est partagée par de nombreux observateurs internationaux en Europe comme aux États-Unis.
Va-t-on donc revivre les évènements d’Algérie et voir l’équivalent du FIS arriver au pouvoir ?
Cela est possible, bien que non certain, et de toutes les façons les conséquences ne seront pas les mêmes.
Dans un dossier très solide et très documenté, le site Oumma.com explique pourquoi le PJD ne connaîtra peut-être pas le succès et pourquoi s’il l’obtient, peu de choses changeront.
Qu’est-ce qui fait donc la différence entre Alger et Rabat ?
Les institutions et tout particulièrement la monarchie…
Mais surtout, comme le remarquent les rédacteurs du dossier d’Oumma.com, si la classe politique traditionnelle s’inquiète de la montée du PJD lors des prochaines élections législatives, il ne faut pas croire qu’il s’agit-là d’un parti tout-puissant ou dangereux pour la stabilité des institutions politiques marocaines. L’enjeu pour le régime en place demeure encore l’évitement d’une victoire massive d’un parti, quelle que soit sa couleur, ou la formation d’une coalition homogène qui n’aurait pas besoin de l’appui de la Couronne.
Au Maroc, plusieurs garde-fous relativiseront toute éventuelle victoire islamiste sortie des urnes en particulier la révision constitutionnelle et la prérogative du choix du Premier ministre.
Pour que le PJD puisse réellement peser sur le cours des choses, il lui faudrait changer la Constitution. Pour piloter un tel chantier, il aurait besoin de la majorité des deux tiers des députés, majorité nécessaire pour toute révision constitutionnelle éventuelle (art. 98 de l’actuelle constitution). Aura-t-il assez de force de caractère politique pour s’y engager ? Chose impensable avec un maximum de quart prévisible des sièges. La monarchie gouvernante qui seule peut soumettre directement au peuple tout projet de révision (art. 97), voudra-t-elle d’une révision qui rognerait ses prérogatives ? Dans tous les cas de figure, la forme monarchique de l’État ne peut faire l’objet de révision (art. 100).
Pour la désignation du Premier ministre et sa charge de former le gouvernement, c’est une prérogative royale exclusive (art. 24). C’est pourquoi même si, dans l’hypothèse la plus heureuse, le PJD réussit à enregistrer une victoire électorale éclatante, Mohamed VI pourra, Constitution à l’appui, bouder le PJD et charger, en toute liberté, un autre dirigeant d’un parti minoritaire ou une personnalité technocrate de former le prochain cabinet.
Même si le roi chargeait le chef du PJD de former le gouvernement, il ne faudrait pas s’attendre à un changement de politique générale puisque la définition d’une telle politique relève au Maroc de la seule monarchie qui associe les différents membres du cabinet à sa gestion.
En définitive, le titre de cette chronique se révèle erroné. Il n’aurait pas du être « Après l’Algérie, le Maroc… », mais « Après la Turquie, le Maroc… » En effet, tout porte à croire que si jamais le PJD triomphe, cette victoire ne sera pas plus révolutionnaire que celle de l’AKP, et que bien peu ce choses changeront dans le royaume marocain.
L’islamisme politique du XIX° siècle est ainsi. Il correspond en Europe à un parti de droite populaire un peu comme le fut l’UDR française ou comme l’est l’actuelle Alliance nationale italienne. Pas de quoi avoir des frayeurs donc, ce n’est pas demain que Bernard-Henri Levi et ses amis de la classe dirigeante devront revendre leurs riads de Marrakech.