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Mercredi, 25 Août 2004
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Pensées 1950-1953
Francis Parker Yockey
Théoriciens :: Yockey
La situation mondiale du moment [1950] prend la forme de préparatifs de guerre entre les deux puissances restantes. Cette guerre sera une grande guerre, et sera commencée avec une prudence égale. Aucun « incident » à Berlin, Trieste ou ailleurs ne pourra précipiter une telle guerre. (…)

L’enjeu de la guerre sera la possession du sol de l’Europe, le centre du monde.

La Russie ne peut gagner que par un plus grand développement technique ; l’Amérique seulement avec des masses d’infanterie bien plus grandes que celles qu’elle peut lever à elle seule.

Encourager une croisade contre le Bolchevisme de Moscou fait simplement le jeu du régime de Washington.

L’impérialisme supplante à présent le vieux mot fascisme. Le fascisme a toujours été imprégné d’étatisme étroit à un degré plus ou moins grand.

L’ennemi est organisé internationalement à tous les niveaux. Pour nous, un manque d’organisation est l’assurance que tous nos combats, même vaillants et héroïques, seront voués à un échec sévère.

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Tous les intellectuels et les critiques qui ont lu Spengler l’ont, presque sans exception, mal compris. Ils ont oublié cette phrase hautement importante : « Ce que j’ai écrit ici est vrai, c’est-à-dire, vrai pour moi et pour les esprits dirigeants du temps à venir ». Ces idiots érudits ramènent tous la question à eux-mêmes : cette philosophie est-elle vraie ? Naturellement, dans une époque de criticisme, rien n’est considéré comme objectivement vrai, donc tous les érudits, toujours presque sans exception, rejetèrent Spengler, bien que tous empruntèrent sa méthode et sa terminologie et ses conclusions en grande partie pour atteindre des conclusions philosophiques en parfaite harmonie avec l’esprit de Polyana de 1900.

Celui qui pense au XXè siècle qu’une philosophie est objectivement vraie ou objectivement fausse est un anachronisme, et un idiot. Une croyance est vraie si elle me rend plus efficace, plus dangereux, plus coordonné. Dans ce sens Spengler est vrai – sa philosophie correspond à notre instinct métaphysique le plus profond, nous rend donc harmonieux en sentiment et en action et en parole.

Les idiots érudits ont aussi démontré par leur critique stupide de Spengler leur totale incompétence dans le domaine esthétique : une philosophie est une image – ici encore, Spengler le dit pour eux, mais ils ne le lurent pas – et si une image est un tout, si elle vit, si elle agit d’une manière créative sur l’observateur, alors elle est esthétiquement vraie. Ce n’est pas important si les ombres tombent à droite au premier plan et à gauche dans l’arrière-plan.

Nous vivons à une époque où le raffinement mental, comme tout ce qui est rare et beau, a apparemment disparu. Les hommes d’Etat sont de misérables arrivistes, presque sans exception, les soi-disant penseurs sont simplement des porte-paroles érudits des politiciens, les scientifiques sont des fakirs qui changent de théorie après quelques années, il n’y a plus d’esprits religieux, plus d’artistes, plus d’esprits universels.

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Il y a cinq plans du devenir : le cosmique, le végétal, l’animal, l’humain, la Haute Culture.

Pour le premier, personne ne peut être vraiment sûr de savoir s’il est vivant ou pas. Aucune définition de la vie ne peut être construite en excluant tous les phénomènes cosmiques. La distinction entre Etre et Devenir, comme toutes les autres distinctions, disparaît devant l’observation la plus passive.

En passant d’un plan à un autre, il n’y a pas de frontières ; tous les plans chevauchent les plans voisins dans la succession ; chaque plan conserve les caractéristiques des plans précédents à un degré plus ou moins grand.

La présentation de ces cinq plans dans cet ordre ne véhicule aucune idée « évolutionniste », au sens darwinien, mais est un ordre purement anthropomorphique, basé sur la complexité, le raffinement, l’élaboration et la diversité croissants du phénomène sur chaque plan – tels qu’ils apparaissent à l’observation humaine.

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La « race humaine » est principalement non-humaine – c’est-à-dire, l’élément animal prédomine non seulement numériquement, mais dans un échantillon donné d’un grand nombre, le plan animal prédomine. (…) En Europe même, dans chaque grande ville, par exemple, la plus grande partie de la population est gouvernée par des besoins et des idéaux animaux, cela dans les faits, mais pas en théorie. En Amérique, c’est vrai aussi en théorie.

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Chacun des plans de la vie a sa principale caractéristique, et sur chaque plan, chaque espèce vivante a ses caractéristiques particulières ; chez les animaux, l’œil de l’aigle le distingue, le nez du chien, le pied ailé du cheval. Qu’est-ce qui est humain cependant ? Qu’est-ce que les êtres humains possèdent, qu’aucun animal ne possède, ni aucune autre forme de vie ? L’esprit est la principale caractéristique de l’humain, mais l’esprit à son plus haut potentiel existe chez un nombre de plus en plus faible de membres de la « race humaine ».

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La vie et la mort ne sont pas des opposés, ne sont pas polarisés – la vie et la matière sont les pôles. La mort n’est l’opposée de la vie que par dérivation poétique – dans la mort, le vivant devient matière, le principe de vie, l’esprit, s’en va. Le processus de ce départ est appelé mort ; en d’autres mots, la mort est la dernière action de la vie.

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La vie et l’esprit sont identiques.

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La supériorité est une tentative ; la médiocrité est un fait accompli.

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La philosophie du XXè siècle n’a plus l’obligation d’exposer un système, mais une image.

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Pourquoi une philosophie est-elle même nécessaire au XXè siècle, l’Age de la Politique Absolue ? Parce que nous, enfants de la machinerie et des statistiques, avons toujours notre sens métaphysique proto-humain – nous devons remplir l’arrière-plan de nos esprits, même sommairement, même superficiellement.

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Freud est une image assez fidèle de l’homme ordinaire ; de même pour Marx ; de même pour Darwin. Le dénominateur commun de ces trois systèmes infâmes est l’idée d’égalité. Ces trois systèmes sont tous, dans leur origine inconsciente, une révolte contre la supériorité, l’aristocratie, la culture. Le darwinisme dit : « Vous voyez, malgré toute votre fierté, vous n’êtes qu’un singe ». Marx dit : « Vous les supérieurs, vous êtes simplement plus riches, et des voleurs, et nous allons maintenant vous exproprier, et vous serez nos serviteurs ». Freud dit : « Même vos plus fières réalisations ne sont rien d’autre que vos impulsions sexuelles ».

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Ces trois systèmes infâmes n’ont absolument aucune validité appliqués aux hommes supérieurs, aux grands hommes, aux hommes créatifs. Mais c’est contre ceux-ci que les trois systèmes étaient dirigés. Avec Darwin, c’était purement intellectuel, mais avec Marx et Freud la haine et la jalousie sont les forces motrices, et tout le verbiage pesant agrémente simplement leurs « complexes d’infériorité », le ressentiment de l’infériorité. Comme Marx et Freud se seraient réjouis du procès de Nuremberg !

Depuis le début, le marxisme et le freudisme furent des systèmes polémiques, jamais des systèmes « scientifiques ». Ils visaient, comme tous ceux qui utilisèrent ces doctrines infâmes, au nivellement.

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C’est la chose la plus facile au monde pour un étudiant en logique de détruire ces infâmes systèmes d’une manière scolastique ; par exemple le marxisme : si tout est économique, si la religion, la poésie, l’héroïsme, la philosophie, l’art de la guerre, sont tous de l’économie, cela n’efface pas les différences réelles, vivantes, entre ces choses. La poésie n’est pas la guerre, même si toutes deux sont économiques. Ainsi, qu’est-ce qui a été fait à part changer les noms, transposer les mots. Le freudisme : si, comme le disent les Freudiens, la musique de Mozart représente la tentative de Mozart de retourner dans la matrice de sa mère, et si les batailles de Napoléon représentent la même chose, même si elles ne sont que du sexe, il y a toujours une morphologie de la musique et une morphologie de la guerre, et l’harmonie et la composition ne peuvent pas être mieux enseignées ou mieux comprises en faisant intervenir l’embryologie. De plus, si tout est sexe, alors le sexe est tout, donc avec la même logique on peut dire que Mozart écrit de la musique dans la matrice de sa mère, et que Napoléon y livre des batailles.

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Marx et Freud voulaient tous deux décrire ce qu’ils comprenaient de manière différente. L’impératif de Marx : enrichissez-vous aux dépens des riches. Marx comprenait l’avidité, il transforma donc le monde entier et son histoire en une masse gluante d’avidité. Le système de Freud révèle qu’il était un monstre de désir non-spiritualisé. S’il avait été doué pour l’amour et l’érotisme, Vienne aurait eu un Casanova juif. Mais l’amour et l’érotisme lui sont tous deux inconnus. Son désir est obscur et animal, et domine totalement sa nature. Comme ce désir était associé à l’impossibilité de le satisfaire, à cause de son manque d’argent, de statut social et de charme personnel, il était totalement frustré, et comme l’infirme qui devient maître au jeu d’échecs, Freud souilla le monde entier avec son désir insatisfait, et dit : « Regardez cette saleté, cette boue – c’est ce que vous êtes tous, même si vous pensez que vous êtes raffinés et spirituels ».

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Pour Marx, le monde est un immense sac d’argent ; pour Freud il est un tas de fumier ; pour Darwin un zoo.

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Comme le monde de l’auteur de la Theologica Germanica était différent ! Pour lui le monde était un effort sans fin, une tension constante entre la solitude de l’âme dans l’infini gris et la chaleur de l’âme dans le sentiment du Parfait, Dieu. Pour lui, l’essentiel était la relation de l’homme avec Dieu, et celle de l’homme avec l’homme est si pleinement un simple reflet de la première qu’il la mentionne à peine. Et quel était le chemin du salut pour cet homme ? Sûrement le plus intense et le plus dynamique impératif religieux jamais formulé : das Lassen der Ichheit, l’abandon du principe même d’individualité et l’union mystique avec Dieu. Cela devant être atteint, cependant, non comme un hindou, en s’asseyant tranquillement et en refusant de vivre, mais au milieu de la vie active.

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C’est une simple impossibilité pour le Principe d’Individualité de supposer ou de concevoir sa propre fin. Chacun d’entre nous croit instinctivement en sa propre immortalité, de même que chaque athée croit instinctivement en Dieu – tout ce qu’il fait est de faire un changement de noms, et Dieu devient la Nature, ou quelque chose de similaire.

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La plus amère de toutes les choses est la frustration. C’est la négation de la Vie par la Vie. C’est une victoire de l’extérieur sur l’intérieur, la victoire de l’Accident sur le Destin.

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Il y a des degrés dans la frustration. La défaite n’est pas une frustration, si on a pu exercer ses pouvoirs jusqu’à l’extrême, jusqu’à l’épuisement. Qui pourrait dire que Napoléon, ou Hitler, ont été frustrés ? La pire frustration – vous pouvez me le demander, je la connais – est l’absence d’opportunité.

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Plus les moyens de communication s’améliorent, plus il y a de chances que les particularismes survivent et plus ils auront de signification. Car la grande facilité et la grande fréquence des échanges neutralisent l’influence mutuelle, et la similarité d’esprit n’est plus la prémisse des relations amicales.

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En effet, la culture surgit et disparaît avec la perception et la reconnaissance des différences. C’est seulement là où règne la loi de polarisation, opposée à l’égalisation, que la culture peut exister.

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Courtoisie envers les femmes : en Europe, le respect du fort pour le faible ; en Amérique, le respect de l’inférieur pour le supérieur.

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Partout où il y a une polarité, il y a toujours une réalité plus large qui inclut les deux pôles, qui est servie par les deux pôles. Les pôles définissent, expriment, et rendent réelle cette réalité inclusive, mais néanmoins ils sont les parties. Dans de nombreux cas, comme les pôles sont si forts dans leur puissance d’expression et de définition, si intensément perçus, le concept inclusif manque dans notre discours. Ainsi, l’amour et la haine sont polarisés, et la réalité inclusive est le sentiment, le pathos. Les théologiens catholiques tentent de rationaliser l’amour comme un positif, et la haine comme un simple négatif, « l’absence d’amour ». Mais les entités ou les idées polarisées n’ont jamais une relation entre positif et négatif ; chaque pôle est également positif, également négatif, également créatif, également destructif, également nécessaire dans tous les sens du mot, organique et inorganique. Chaque pôle existe comme tel seulement en vertu de l’autre.

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La pensée polarisée est la pensée historique. Nicolas de Cuse était ainsi un anachronisme, un esprit appartenant essentiellement à l’histoire entière de la Culture Occidentale, et pas simplement à son époque, comme Thomas d’Aquin. La pensée de Hegel est toujours polarisée, même s’il utilisait à tort (étant en cela l’enfant de son époque, qui se délectait de son nouveau jouet appelé électricité, et de ses pôles arbitrairement nommés « positif » et « négatif ») une terminologie qui suppose une force « positive » pour la Thèse et une négative pour l’Antithèse.

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Chaque déclaration, chaque mouvement contient dès le départ sa propre contradiction. Chaque affirmation est aussi une négation. Chaque négation contient une affirmation implicite.

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Le principe de diffusion qui a cours si clairement dans le monde physique, de sorte que même deux métaux comparativement inertes comme l’or et l’argent, placés côte à côte, finiront par se mélanger l’un à l’autre, règne aussi dans le monde de la vie. Il est le pôle opposé à la polarité.

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La polarité forme, définit, crée, donne de la tension, génère. La diffusion rend informe, efface, énerve, anesthésie, tue. Exemple : la polarité des sexes. Plus le niveau de la culture est élevé, plus la polarité associée des sexes est prononcée. Chez les primitifs cette polarité existe à peine, en comparaison avec son développement dans l’Europe du XVIIIè siècle. Mais même dans la plus haute intensité de polarité sexuelle, il y a toujours les types intermédiaires, qui quittent les pôles et veulent retourner au milieu. Diffusion, l’opposé de la polarité, l’autre pôle de la polarité.

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Nous pouvons aussi classer les penseurs entre polarisés et diffus. A notre époque, Spengler est polarisé, Keyserling, Toynbee et autres sont diffus. Nietzsche est polarisé, Haeckel diffus. Goethe, ici comme pour la plupart des choses, combine toutes les tendances dans un rythme égal. Kant et Leibnitz sont polarisés, de même que Berkeley, Hobbes et Spencer. Voltaire, Rousseau, Mill, Hume et Pascal sont diffus. La pensée anglaise en général est diffuse – naturellement je me réfère principalement à l’âge glorieux de l’Angleterre, le XIXè siècle – et l’action anglaise (toujours au XIXè siècle) est polarisée. D’où le jargon, l’hypocrisie universelle de l’Angleterre, le pays de la culture de l’hypocrisie. Le parlement, victoire du principe de diffusion sur la polarité du roi et du sujet, du dirigeant et du dirigé. Ce principe de négation de la monarchie parvint opportunément à la victoire sous le roi Oliver [Cromwell], plus absolu que le Charles qu’il décapita au nom du républicanisme. Le parlement, le principe de diffusion, succombe néanmoins immédiatement à la polarité du dirigeant et du dirigé, dans ce cas, cependant, les dirigeants sont semi-anonymes, semi-visibles, mais ils dirigent néanmoins, puisque la polarité et seulement la polarité crée.

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Leonardo, Michel-Ange, Le Titien sont polarisés, Raphaël est diffus. Velasquez est polarisé, Murillo diffus.

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Inutile de le dire, chaque polarité contient sa propre diffusion.

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L’interaction des pôles est parfaitement simple et infiniment compliquée. Ainsi dans la polarité des sexes, dans tout individu, un fort pôle intérieur opposé à son sexe réel accentue sa polarité sexuelle réelle. Des figures ultra-masculines comme César Borgia, Wallenstein, Olivares, Richelieu, Napoléon, Bismarck, Hitler, ont nécessairement en elles un fort pôle féminin, et c’est cela qui aiguise leur sentiment pour l’Idée de masculinité. Le facteur limitatif intervient quand le pôle féminin intérieur est si fortement marqué qu’il neutralise la masculinité de l’homme. Chez les hommes cela arrive souvent, car le pôle masculin est le pôle du dynamisme, donc des variations. Chez les femmes, cela arrive rarement sinon jamais – c’est-à-dire un excès masculin intérieur tel qu’il neutralise la féminité d’une femme.

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De même que l’homme avec un fort pôle féminin intérieur est plus masculin, la femme avec un fort pôle masculin intérieur est plus féminine. Le fait qu’aucun homme ne soit purement masculin, aucune femme purement féminine, est le principe de diffusion accompagnant le principe de polarité.

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On comprendra mieux tout cela si pendant un instant on garde à l’esprit que dans le monde physique il n’existe pas de « principe de polarité ». Cela est notre pensée, qui a deux pôles : la réceptivité passive, et l’imposition active de théories épanouies au monde physique (c’est-à-dire à notre image du monde physique). Dans le monde réel de la vie il n’y a jamais eu d’« évolution », mais dans l’esprit de tout vrai Anglais du XIXè siècle, il était évident que l’« évolution », graduelle, régulière, le développement parlementaire, gouvernait tout le monde de la vie.

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Quand la réceptivité passive domine notre pensée, nous parvenons à ce « respect mêlé de crainte » dont parlait Goethe. Quand la force gouverne notre pensée, nous développons un système, comme les philosophes, et les philosopheurs (Marx, Darwin, Freud & Co.). C’est grâce à la grande force de son pôle réceptif-passif que Goethe ne parvint jamais à aucun système. Au dernier moment dans chaque orgie de pensée, il réalisait soudain que c’était seulement son image qu’il était en train de former.

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La polarité est le seul principe qui décrit tout aussi bien – c’est-à-dire à notre satisfaction – le monde physique et le monde de la vie. Pourquoi cela ? Parce que le monde de la vie et le monde physique sont eux-mêmes polarisés. La vie égale l’esprit ; le monde physique égale la matière.

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Ceci est la dernière formule pour nous les derniers hommes, historiquement et sceptiquement orientés, concernant la relation entre l’esprit et la matière. Nous ne voyons plus un conflit comme le voyaient les siècles précédents. Nous voyons l’interaction de deux pôles, détruisant mutuellement, créant mutuellement. Cette remarque apparaît dans les pages des philosophes, comme la phrase de Spengler : « Celui qui sépare l’âme et le corps prouve qu’il n’a ni l’un ni l’autre ». A l’époque médiévale rien n’était plus évident que la disjonction absolue du corps et de l’âme, et la primauté absolue de l’âme. Pour nous, dans ma formule, l’âme et le corps sont identiques, l’âme est l’intérieur, le corps est l’extérieur. La vieillesse est le triomphe de l’extérieur sur l’intérieur, la victoire de la matière sur l’âme, cela étant un nouvel exemple de diffusion. La mort est la diffusion de la matière et de l’esprit, et si nous pouvons utiliser l’expression, la mort absolue serait l’extinction totale de la matière et de l’esprit.

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La vie (c’est-à-dire l’esprit) est une négation du monde – polarité – mais elle est en même temps liée au monde – tous les pôles sont liés à un autre. Le monde devient la vie et la vie devient lentement le monde – la vieillesse et la mort.

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La Vie et le Monde sont deux pôles, et ainsi tous deux servent une réalité plus large. Cette réalité inclusive est l’Etre. Ici nous ne pouvons rien obtenir de plus avec des mots, puisqu’à partir de maintenant toute la pensée est verbalement contradictoire, c’est-à-dire que si l’Etre est aussi polarisé son pôle opposé est le non-Etre, qui – la faiblesse des mots – doit donc exister. A partir de ce point, la pensée doit procéder sans mots, et nous ne sommes plus éloignés que d’une pensée ou deux de l’état de « respect mêlé de crainte ».

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La sortie hors de l’état de respect mêlé de crainte (maximum de réceptivité passive) produit immédiatement une activité pour soi-même – polarité encore.

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La matière et l’esprit surgissent ensemble (comme tous les pôles) et ils disparaîtront ensemble. La mythologie de toutes les cultures remplit son image de commencements et de fins (le mythe des origines le plus connu est la Genèse, le mythe de la fin le plus connu est le Götterdämmerung). Avant, et après, il n’y a rien. Avec l’idée du rien, la pensée arrive à une fin, puisqu’il n’y a rien avec quoi nous pourrions la polariser.

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Rappelons-nous toujours que ni la matière ni l’esprit n’existent, sauf en tant que concepts. Ce sont deux mots, deux idées, deux pensées – c’est-à-dire qu’ils sont deux émanations de l’esprit. Tout ce qui n’est pas esprit, est collectivement appelé « matière ». Des polarités possibles à l’intérieur du domaine de la « matière » n’existent pas pour nous (c’est-à-dire des polarités aussi fondamentales que celle de la matière-esprit).

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La culture en tant que jeu – cette pensée n’est pas précisément nouvelle, mais elle est immensément importante, et n’a pas été comprise dans sa signification fondamentale. Le « faisons comme si » de l’enfant est l’auto-affirmation du proto-humain ; de même avec les sauvages – eux aussi « font comme si » cette action était sacrée, amènera des conséquences favorables, alors qu’une autre action est mauvaise, amènera le désastre. Mais les enfants grandissant dans une atmosphère de culture sont déjà loin au-dessus des sauvages, car ils savent qu’ils jouent, alors que les sauvages – à l’exception des sorciers, des hommes-médecine, des proto-prêtres – croient vraiment en la collection de totems et de tabous qui constituent leur culture primitive.

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L’art dramatique est la simulation que les événements artificiellement arrangés sur la scène sont réels. Nous acceptons tous cette simulation, bien évidemment pendant la représentation, et même – la littérature et la conversation le montrent – dans une large mesure après celle-ci.

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La musique présuppose l’attitude : « Faisons comme si le monde des sons était ordonné, agréable et beau – comme ça ». Le monde intérieur des symboles est alors projeté dans les sons.

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La religion est la simulation : « Nous pouvons comprendre la totalité des choses si complètement que nous pouvons même placer avec une parfaite sécurité ce que nous ne pouvons pas comprendre dans un endroit ordonné, sous le nom de Mystère ». Toute religion peut faire en sorte que tout marche bien sans exception, parce la volonté-de-jouer (ici, la volonté-de-croire) est plus forte que toute simple arme intellectuelle – logique, contradiction, etc. – qui peut être utilisée contre elle. La philosophie est de la religion – sauf que le compartiment du « mystère » est plus petit, et progressivement moins respecté. La science est une simple organisation des faits jusqu’à ce que la volonté-de-jouer diminue jusqu’au point où elle devient une vision du monde, et alors elle est la simulation que la somme totale des choses n’est rien d’autre que les choses elle-mêmes.

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L’éthique est la simulation : « Nous pouvons être aussi parfaits que nos idées de perfection si nous observons simplement les règles appropriées ». Cela décrit les deux types d’éthique, celle visant à la bonté, et celle visant à la beauté.

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La peinture est l’expression du sentiment ludique : « Faisons comme si ces paysages, ces gens et ces choses ressemblaient vraiment à cela ».

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La mort de la culture est la mort de la volonté-de-jouer, et son atténuation dans des jeux toujours plus primitifs. La société du XVIIIè siècle se disait : faisons comme si nous étions des figures mécaniques, et créons nos codes, nos constructions, nos danses, nos vies intérieures en accord avec cela ». Le XXè siècle dit : « Faisons comme si nous étions des gangsters » – mais qu’est-ce que le gangster ? un individualiste brutal, un sauvage désocialisé, sans les tabous du sauvage. C’est-à-dire que pour l’homme ordinaire, jouer à être un sauvage n’est pas une simulation – le jeu est facile. Pratiquement le seul élément de jeu qui reste dans le code des gangsters est l’accent mis sur le courage chez le gangster idéal.

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Le XXè siècle trouve ridicule l’ornementation baroque et gothique en architecture. Au lieu de cela il insiste sur le « principe » selon lequel « la fonction doit gouverner la forme ». C’est aussi l’idéal des aborigènes d’Australie et du Congo. C’est une déclaration de guerre agressive et délibérée à la culture. Cela ne se limite pas à l’architecture. Dans le domaine de la morale, un charlatan comme Freud ou un statisticien lascif comme Kinsey peuvent parler en tant que moralistes au XXè siècle. A la place du magnifique Impératif Catégorique de Kant, qui nous dit comment nous devons agir, sans tenir aucun compte de la manière dont chacun agit – à nouveau, la volonté de jouer –, nous voulons savoir comment agissent la plupart des gens, avec l’idée latente déjà ici : si c’est la manière dont les gens agissent, alors moi aussi je peux agir de cette manière.

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Dans l’art de la guerre, le XIXè siècle – pour ne rien dire du XVIIIè – traitait encore la guerre comme un jeu avec des actions strictement permises ou interdites, dont le principe fondamental était : les civils sont exclus de la guerre, à la fois activement et passivement ; ils ne doivent pas combattre, et ne doivent pas non plus être les objets de la guerre. C’était encore la guerre-de-Culture. Sa dernière apparition fut la conduite allemande pendant la Seconde Guerre Mondiale, et dans cette même guerre elle fut abolie par le primitivisme américain. Les aviateurs américains, en masse ou individuellement, firent la guerre seulement contre les civils en tant que tels, et les aviateurs reçurent l’instruction de tuer même les civils isolés. Appliquant ces ordres, les aviateurs américains tuèrent les civils s’enfuyant des trains, courant dans les rues, les parcs, travaillant dans les champs. Après cela, il n’y a plus de retour à la guerre-de-Culture de type supérieur. Et pourtant, toute guerre à grande échelle est culture en soi, puisque la culture est la totalité de la pensée et de l’activité humaines au-dessus du plan de l’économie et de la reproduction, car dans toute guerre à grande échelle l’enjeu est la puissance, et la volonté de puissance à cette échelle est donc de la culture. Ce à quoi nous assistons dans cet interrègne culturel, ce Concert du Bolchevisme, la domination du monde par la coalition russo-américaine, est la transition entre la guerre-de-Culture et la guerre-à-nouveau-primitive. Dans le futur, même la guerre européenne sera de plus en plus primitive.

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Rousseau est la rupture avec la volonté-de-jouer qui est synonyme de Culture. Avec son idéalisation du sauvage, du paysan, du berger, de la laitière, il exprime sur le plan culturel la fatigue de la Culture vis-à-vis d’elle-même, la fatigue de la Société vis-à-vis du jeu exigeant et épuisant, la sur-intellectualisation du jeu, et sur le plan individuel la flambée d’indignation morale et de haine morale de l’individu jaloux et inférieur contre celui à qui il n’est pas égal. Dans un siècle antérieur, Rousseau ne se serait pas manifesté, et nous n’en aurions pas entendu parler. Il y a toujours des Rousseau – il y en a un dans chaque salle de classe.

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Il ne faut jamais oublier que le principal révolutionnaire de la France du XVIIIè siècle fut Louis XVI. Ce fut lui qui a chaque tournant décisif s’opposa aux hommes et aux mesures qui auraient pu être mis en œuvre. Cette faible personnalité, avec sa pathétique croyance rationaliste en la « bonté de son peuple » fut le destin de la France et de l’Occident, par sa croyance rationaliste même. Les historiens qui traitent cette Révolution négligent la valeur didactique de son rôle.

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Rousseau dit : « Ne jouons plus – soyons simplement ce que nous sommes, c’est-à-dire ce que nous sommes at bettem, des créatures simples avec simplement des besoins basiques ». Ce fut une expression de la force de la Culture, et aussi du principe de polarité, si cette révolte contre la volonté-de-jouer fut immédiatement adoptée par la classe porteuse de Culture et si elle fut transformée en une distraction charmante, en jeu : Marie-Antoinette en bergère, le triomphe du jardin à l’anglaise sur le jardin à la française.

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Le jeu rend la vie magique. Il polarise la vie, la rend tendue, consciente, lucide, exigeante. Un moment de relâchement – et la ruine survient. Le prince de Hambourg s’endormit – quoi de plus naturel ? Oui, mais d’après les règles du jeu de la culture (les règlements militaires) il ne devait pas dormir à ce moment de sa vie, et pour ce moment trop-humain il se retrouva condamné à mort. Son pardon par le roi fut une concession de Kleist à l’esprit révolutionnaire : les gens trouvaient déjà trop cruel de faire un tel sacrifice à la Culture.

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Nous ne pouvons plus sentir aujourd’hui le besoin-de-jouer immensément fort des hommes du Moyen-Age, les porteurs de culture de leur époque. Ces chevaliers errants étaient prêts à tout moment à risquer leur vie pour n’importe quelle vétille significative. Sans doute, aucun vrai Parsifal n’a jamais vécu. Pourtant, l’idéal de Parsifal était présent dans des générations de chevaliers, de souverains et de guerriers, et agissait d’une manière formative, de même que de nos jours les idéaux des gangsters de la littérature agissent d’une manière formative. Certains répondent plus que d’autres aux idéaux, au Zeitgeist – tous répondent à un certain degré.

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Toutes ces pensées étaient fausses – car l’homme de Culture ne joue pas, il est lui-même un jouet. L’homme de Culture est la créature de l’organisme de Culture, l’une de ses cellules, son unité de structure et de réalisation. Il ne joue pas, pour la simple raison qu’il ne sait pas ou ne sent pas que c’est un jeu – pour lui c’est mortellement sérieux. Seuls les intellectuels raffinés, les Calderon, les Shakespeare, les Goethe – ceux-là savent que c’est un jeu. Parmi les hommes d’action, les deux Frédéric II eurent des moments de vision où ils comprirent que la Culture était un jeu, mais Napoléon fut le premier à le comprendre clairement, car il marqua son temps alors que le jeu avait déjà passé son plus haut développement.

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Les enfants jouent, mais savent qu’ils jouent. L’homme de Culture joue, et ne le sait pas. L’homme civilisé se révolte consciemment contre le jeu, mais il y a toujours une grande part de nécessité historique, c’est-à-dire de jeu inconscient, toujours latente en lui, et celle-ci il la jouera, qu’il le veuille ou pas, qu’il le sache ou pas.

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La magie est un pôle d’une entité polarisée. L’entité est polarisée entre possible et impossible. La magie est identique à l’impossible. Ce qui est magie pour vous est de la routine pour moi. D’où la magie de la culture : toute culture agissant à l’intérieur d’un individu est l’expression de la polarité entre son souhait ou tendance naturelle et son sentiment d’un impératif plus élevé. Nous sommes tous paresseux, car l’homme primitif est paresseux, et toute culture requiert un effort. Cela génère toujours une tension, une polarité. L’effort couronné de succès rend un homme capable de ce que les autres, incapables de cet effort, trouvent impossible. C’est pourquoi il possède la magie.

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Tous les grands hommes, tous les hommes supérieurs, nous affectent magiquement. La polarisation nous attire, mais la diffusion aussi. Nous sommes attirés vers l’homme polarisé par nos propres désirs supérieurs, notre propre souhait de faire de nos vies quelque chose de supérieur au plan du proto-humain ; mais l’homme gentil, mesuré, diffus, nous attire aussi – il est soporifique, et est aussi agréable que la verte prairie ensoleillée. Mais l’homme supérieur est comme le sommet montagneux recouvert de neige.

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Napoléon dut ses victoires sur le champ de bataille au fait qu’il s’écarta des règles du jeu de la guerre tel qu’il était joué jusqu’alors. Frédéric fit de même, une génération avant lui, mais la rupture de Napoléon avec les règles du jeu fut plus fondamentale. Napoléon représente Rousseau appliqué à l’art de la guerre – qu’importent les règles, si la victoire est le but, recherchons-la quelle que soit la manière dont elle pourra être obtenue. A Sainte-Hélène, avec sa remarque : « De nos jours, la guerre est de l’eau de rose … », il montra qu’il pouvait envisager une rupture encore plus totale avec les règles qu’il avait pu imposer sur les champs de bataille européens. Aucun homme ne peut forcer le Zeitgeist. Celui-ci ne se laisse pas accélérer.

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Les armées allemandes qui entrèrent en Russie en 1941 avaient remporté des victoires faciles sur les Belges, les Anglais et les Français, parce que tous faisaient partie de la même Culture et jouaient le jeu selon les mêmes règles. La supériorité allemande dans le jeu était si manifeste que les autres se rendirent promptement, avec leurs forces largement intactes. Dans le cas des Anglais, le Héros, jouant un jeu politique trop subtil, permit un retrait, permit le sentiment d’une sorte de victoire négative, parce qu’il regardait loin en avant, sur le plan politique. Sur le champ de bataille même il pensait à la conférence de la paix. Même 50 ans avant, cela aurait été parfaitement dans les règles. En 1940, c’était trop subtil pour le Zeitgeist. Il n’y avait pas d’Angleterre en 1940 – il n’y avait que l’Amérique, et l’Amérique ne connaît pas ou ne joue pas ce jeu.

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En Russie ce fut différent. Les armées russes, même vaincues selon les règles occidentales du jeu, ne se rendaient pas. Elles devaient être détruites morceau par morceau. Leur ignorance primitive des règles occidentales du jeu de la guerre leur conféraient ainsi une supériorité, tout comme la rupture des règles par Napoléon lui avait conféré une supériorité sur ses adversaires plus civilisés. L’avantage de Napoléon dura jusqu’à ce que – « ne combattez pas trop souvent le même ennemi », dit Sun Tsu, « sinon vous lui enseignerez tout votre art de la guerre » – ses adversaires le rattrapent. L’archiduc Charles fut le premier, ensuite Scharnhorst, Blücher, Clausewitz, et oui, lui aussi, Wellington. L’avantage de la Russie ne durera pas plus longtemps. En 1953, peut-être a-t-il déjà disparu. Sommes-nous maintenant suffisamment primitifs dans l’art de la guerre pour laisser de coté nos règles et combattre comme les Russes ? Ou sommes-nous trop faibles, trop pacifistes ? Pouvons-nous combattre pour tuer, et pas simplement pour vaincre l’adversaire ? Avons-nous compris le sens de la soif de sang de Roosevelt, qu’il exposa ouvertement, de « tuer les Allemands » ?

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Au XVIIIè siècle, il était tactiquement inférieur de combattre pour tuer. C’était une perte de temps précieux. Au XXè siècle, il est tactiquement nécessaire de combattre pour tuer, pas simplement pour vaincre. Même si le nombre de morts augmente, la différence n’est pas aussi vaste qu’on pourrait le penser. On peut combattre pour tuer, mais cela ne signifie pas qu’on est capable de tuer toute la force ennemie – c’est impossible, quand de grands nombres sont présents. La différence est dans la tactique, l’approche de la bataille, l’intention gouvernant la conduite de la bataille – et pas dans les pertes.

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La tension intérieure d’un homme, la polarité, la magie, attire, mais finit habituellement par repousser. La distance est ici décisive – le sommet de la montagne dans le lointain est imposant et attirant, mais après qu’on l’ait escaladé, le vent et la neige et la glace parlent.

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A notre époque, nous pouvons seulement appréhender le monde historiquement. Puisque l’histoire est comme un spectacle, elle fonctionne donc esthétiquement, et ainsi notre vision du monde ne peut être qu’une vision esthétique, plutôt qu’une vision morale. (…) Dans le vaste drame appelé histoire, nous jouons le rôle qui nous est assigné, même si nous savons que c’est seulement un rôle, une partie d’un jeu accepté. Il nous est aussi permis de quitter la scène si nous n’obtenons pas le rôle dont nous sentons légitimement, esthétiquement, qu’il nous appartient.

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Aucun Européen ne pourra jamais vraiment connaître la qualité et l’intensité de l’amour qu’un colonial porte à l’histoire et aux œuvres de la Culture Occidentale. Quelle que soit sa sensibilité naturelle, quelle que soit la hauteur culturelle-historique à laquelle il peut s’élever et se maintenir, l’Européen – et j’ai à l’esprit des êtres comme Goethe, Fichte, Carlyle et Leonardo – doit nécessairement tenir beaucoup de choses comme allant de soi. Les maisons, les rues, la société, la diffusion universelle de la culture : il grandit dans cette atmosphère, n’ayant rien avec quoi la comparer. Ce ne sont pas seulement les concepts, mais aussi les sentiments, qui se forment par polarité. C’est pourquoi ce sont ces têtes faibles en Europe – comme Lafayette, Ortega, Keyserling, la ploutocratie anglaise du XXè siècle, Ferrero, Santayana, Croce –, n’étant pas capables, par manque complet d’imagination, de comparer l’Europe avec ce qui est extérieur, qui ne parviennent absolument pas à réaliser la rareté et le raffinement qu’est l’Europe. Ils leur manque le sens de la valeur. Ce sens est inné, mais il peut être aiguisé et intensifié par la privation. C’est ainsi que le colonial – et tous les coloniaux ont un certain plan de leur être qui est sensible à l’attraction centripète de la terre-mère –, lorsqu’il a le sens de la valeur et l’hypersensibilité créatrice qui ont toujours caractérisé les plus grands Européens, de Hohenstaufen à Hitler, a un amour intense de tout ce qui est européen, qui va presque jusqu’au pathologique. Pour lui, chaque pavé, chaque rue, chaque type humain européen, chaque lieu qui a été un centre du Destin, même dans les temps les plus récents, possède une force magique.

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Un nouveau type d’amour et d’affection peut même surgir chez le colonial qui retourne sur le sol de ses origines spirituelles. Il peut ressentir des sentiments chaleureux même envers ces individus et types qui lui seraient antipathiques d’après ses goûts personnels, mais qui sont aussi revêtus de la quantité de magie qui imprègne tout ce qui est européen. Il peut aimer quelqu’un en tant que produit et partie de l’Europe. Un tel sentiment est nécessairement inconnu de l’Européen natif.

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D’un autre coté, il y a un manque de sentiment chez le colonial : du fait de son amour généralisé pour l’organisme entier, il peut être incapable de percevoir les pôles intérieurs, la discorde intérieure de la Culture. Au XIXè siècle, Washington Irving et Emerson firent tous deux preuve de ce manque. A l’Age de la Politique Absolue, ce manque n’est pas un défaut, mais un avantage. Politique absolue signifie politique entre une Culture et des forces extra-Culturelles. Cette lutte pour la puissance est complète, inconditionnelle, la Culture totale contre la totalité extérieure. A une telle lutte, le colonial apporte le sentiment véritable, synthétique, créatif ; pour lui la Culture est une unité parfaite, alors que pour les natifs, le souvenir des discordes passées persiste : Versailles contre Potsdam, Habsbourg contre Bourbons, socialisme contre capitalisme.

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En un mot : pour le colonial qui est capable de sentiments créatifs et compréhensifs, la Culture est une Religion. La Culture embrasse la totalité : l’âme de l’organisme, chaque événement de sa vie, chaque produit de son âme, chaque possibilité de création qu’elle contient encore. La Religion est la forme de toute vie créative en train de s’éveiller ; elle est la création, elle est la jeunesse. La Religion est la formulation des plus profonds sentiments d’harmonie, qui se transforment eux-mêmes en vérités dans le processus de développement.

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Le sentiment de la Culture-comme-religion est la religion intérimaire de l’Europe. Il est lui-même un produit automnal hautement raffiné de la Culture. Ce n’est que la dernière des phases religieuses de la Culture. C’est un pont, du point de vue le plus large, au-dessus des débris du matérialisme athée et critique de l’Age du Rationalisme, reliant l’origine médiévale au futur médiéval. Mais pour ceux d’entre nous qui vivons à cette période, ce moment est une vie. C’est notre religion, et si une religion dans toute l’histoire des Hautes Cultures fut jamais exclusive, elle apparaît presque populaire comparée à la nôtre. Combien d’âmes peuvent-elles faire des matériaux de l’histoire et du scepticisme une vision du monde profonde et divine ? En Europe elles ne sont que quelques centaines.

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Peut-être y a-t-il quelques âmes en Europe qui sentent en elles l’impératif religieux du futur. Improbable, mais possible, de même que Nietzsche et Carlyle étaient complètement improbables dans le désert de criticisme mécaniste qu’était le XIXè siècle. Si elles existent, elles sont le sommet de la pyramide religieuse de l’Europe. Au-dessous d’elles se trouve la couche de notre précieuse et forte religion intérimaire, faisant du scepticisme une Foi, et de l’Histoire une philosophie sacrée. Au-dessous de celle-ci se trouve la grande masse de la population qui est encore dans la « religion » du XIXè siècle, cette grotesque matérialisation du spirituel, profanation du divin, mécanisation de l’organique, et cet irrespect insolent envers le Formidable et l’Inconnaissable. Cette moquerie tuant Dieu prit deux formes, en Europe la politique sociale-chrétienne, et en Amérique le divertissement social obligatoire dans les maisons de rencontre du dimanche. Elle prend toujours ces formes, et c’est ce qui s’appelle aujourd’hui religion dans la Civilisation Occidentale. Au-dessous de cette couche se trouve la pyramide religieuse – pas dans un sens spirituel absolu, mais seulement dans un sens chronologique – se trouve le niveau jésuite, le plan qui regarde la religion comme une question de connaissance, de formule, de loi, et en cas de doute, d’autorité. C’est simplement la Contre-Réforme, et cela inclut des membres des deux cotés de cette époque. Au-dessous il y a le niveau de la Réforme. Aujourd’hui encore ils sont nombreux en Allemagne, et ailleurs il y en a certains qui sont restés en permanence au stade luthérien. Ils y sont parvenus par leur formation personnelle, et y sont restés. Au-dessous d’eux – y en a-t-il encore qui sentent la religiosité ancienne, pure, monastique de la période de vraie religion d’avant la Renaissance ? Oui, il doit en rester quelques-uns, bien qu’ils ne doivent pas se trouver dans les offices de l’Eglise, portant la pourpre, ou s’engageant à fond dans ces opérations bancaires qui constituent l’administration religieuse aujourd’hui. Ils doivent être dans quelque monastère, dans un district rural isolé, dans les plaines de Romagne, ou dans les sierras espagnoles. Ce type ne pourrait simplement pas survivre dans une ville. Mais ceux-là, avec ces autres à l’existence problématique, les croyants des XXIè et XXIIè siècles, sont les seuls vrais croyants en Europe ; pour ces deux groupes – et pour eux seulement – la religion est dirigée vers le transcendant, elle connaît et aime l’Inconnaissable, elle personnalise l’Impersonnel, elle se préoccupe de l’indifférent.

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Car l’autre aspect de notre religion intérimaire est que l’objet de ses sentiments grandioses n’est pas digne d’eux. Dieu et les dieux sont encore endormis, encore dans le profond sommeil dans lequel la Contre-réforme les a plongés. Car quand l’homme occidental introduisit le militarisme et la politique dans la religion, il expulsa Dieu et les dieux. La religion est la fenêtre de la Culture donnant sur le cosmos, et quand la Culture devient obsédée par la surface de la terre, cette fenêtre se ferme. Mais c’est seulement le cosmos – la totalité de toutes les choses, l’organique, l’inorganique, l’homme, la Culture, et leur sens – qui est l’objet propre de la religion. La Culture n’en est pas digne. Mais il n’y a rien d’autre ; l’aspect divin du cosmos – Dieu et les dieux – ne peut pas être réveillé d’une manière violente. C’est un lent réveil, mais pas pour nous, pour ceux qui viennent deux ou trois générations après nous. Chaque religion a ses mystères, son idiome, et même son point douloureux. Le nôtre est que notre religion prend la forme d’un désir ardent qui voit sa satisfaction hors d’atteinte, que la dernière perfection du sentiment religieux nous est à jamais déniée, se trouvant de l’autre coté du sombre pont automnal de la Culture-religion, baignée dans la lumière mourante du second crépuscule de notre vie occidentale supra-personnelle.

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Tout comme une religion a son point de sensibilité insupportable, elle a ses joies particulières. La joie de notre religion est précisément dans son aristocratie radicale. Si seuls quelques-uns sont capable d’un scepticisme complet, encore moins peuvent encore faire de leur scepticisme une foi.

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Mais c’est précisément cela qui est la nécessité organique pour ceux qui veulent être les créateurs, et, étant des historicistes, nous connaissons et aimons cette nécessité.

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Alors que tous les autres sentiments religieux présents en Occident sont dirigés vers le passé – ou vers le futur – nous seuls sommes le présent, le midi. On peut œuvrer pour le futur, le rêver, le construire, le faire naître – mais pas le vivre. Ainsi notre religion est la religion de l’époque. Toutes les autres sont celles des aveugles et des inférieurs.

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Nous connaissons les formes religieuses à venir, mais après leur venue et leur installation, ceux qui les servent ne les connaîtront plus, mais seront en elles et entourées d’elles. Ce qui sera pour eux la totalité n’est pour nous qu’un article de plus de connaissance. Nous connaissons leur monde, et ils ne le connaîtront pas.

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Nous sommes ainsi à la fois classiques et romantiques. Nous sommes la synthèse de tout le passé, la préfiguration de tout le futur, nous sommes le plus haut point atteignable de la libre spiritualité occidentale. Classique : notre religion est celle de l’époque ; romantique : l’aspect actif de notre religion est un travail et un désir ardent pour le futur, une affirmation, une conservation, un amour et une nostalgie pour le passé.

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Notre interrègne religieux, seul parmi toutes les phases religieuses de notre Culture, n’aura pas de descendants. Le jésuitisme, les Lumières, l’athéisme – une certaine forme d’infériorité physiologique – continueront tous à avoir certaines formes d’existence pendant au moins deux siècles. Mais le sentiment de la Culture-comme-religion aura alors disparu, et il ne laissera aucun souvenir, car la possibilité de voir les choses à notre manière aura disparu. Les autres religions représentaient toutes les possibilités diffusées dans la nature humaine plus largement que la possibilité du scepticisme. Pensez à Frédéric de Hohenstaufen, seul sur la hauteur de scepticisme glacé qui était son lieu de résidence. Pensez à Socini, qui n’eut pas le courage de son scepticisme et qui tomba dans une croyance ordinaire. La nôtre est ainsi une grande solitude collective. Nous n’avons pas d’ancêtres sur ce plan, car aucune Haute Culture antérieure n’a jamais eu notre tendance archéologique qui seule est la source de notre intense historicisme. Nous n’aurons pas de descendants – aussi loin que nous pouvons voir. Une fois encore – notre unicité.

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L’historicisme sceptique est à la fois la plus grande affirmation et la plus grande négation. Il est ainsi capable de la plus extravagante création et de la plus complète destruction. Il combine délicatesse et barbarie, Croisades et Rococo. Il est la synthèse de toutes les Idées et de toutes les mœurs de la Culture.

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Un exemple : les tâches de notre temps sont des tâches franchement irréligieuses. Aucun croyant d’une ancienne variété n’est à leur hauteur ; les vrais croyants du futur ne sont pas encore là, et ils ne s’y intéresseront pas d’eux-mêmes. Seuls les sceptiques peuvent leur apporter le zèle religieux nécessaire, car toutes les autres vieilles religions sont étouffées par la logique et le mécanicisme. Seul notre sentiment est à nouveau pur ; le nôtre est la feuille blanche, le chaos primitif côte à côte avec l’intellectualité urbaine sur-raffinée. Mais cette pureté même est une vraie religion.

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Si l’Inconnaissable permet à l’Occident de se réaliser, nous entreprendrons de tels projets, érigerons de telles structures, créerons un tel Etat, et accomplirons de telles actions, que nos descendants lointains, entendant les légendes de notre race, et contemplant les vestiges des murs et des monuments, diront à leurs enfants que jadis une race de surhommes habitait la terre.

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Le plus urgent de tous les projets que nous devons entreprendre, car il implique la sécurité physique de notre sol sacré et donc tout son futur et son destin, est la chaussée reliant le continent à l’île, et comme sécurité additionnelle, la chaussée traversant le Canal du Nord de la Mer d’Irlande, reliant l’Ulster à l’Ecosse. La seconde est une entreprise secondaire. La Grande Chaussée doit être entreprise le plus tôt possible, et doit être continuellement élargie pendant un siècle. Cela doit être fait par principe, même si aucune nécessité apparente n’existe.

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De grandes choses peuvent être attendues de l’Angleterre – des choses prussiennes – après la libération de l’Europe et l’érection de la Grande Chaussée. La Grande Chaussée détruira l’île, la mentalité insulaire, les vestiges du nationalisme exagéré, la possibilité de toute répétition du coup de poignard américain de 1944, le capitalisme, ce qui reste de lui, le calvinisme, le puritanisme, l’esprit mercantile – l’Amérique intérieure en Europe. La souche habitant l’île contient encore une bonne quantité de Barbare Nordique en elle. (…) La Grande Chaussée libérera l’île tout comme elle libérera et sécurisera le continent.

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Barbare du Nord est un pléonasme : il n’y a pas, il ne peut pas y avoir, de Barbare du Sud. Du Sud signifie satisfait, social, raffiné, et avant tout délicat dans ses conceptions, ses usages et ses manières. Des brumes nordiques seulement, et non du soleil du Sud, peut venir l’homme rude, l’homme de la solitude et du mécontentement, de la tension intérieure, le grand destructeur-créateur. Barbare ne signifie pas primitif ; barbare est la transition du primitif à la Haute Culture. Toute organisation primitive est basée sur la suggestion, la nuance et la délicatesse ; le barbare est brusque, grossier, destructeur.

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Les trois formes de connaissance comme les trois formes du Principe de Causalité.

Superstition : causalité lointaine.
Religion : causalité divine.
Science : causalité profane.

La superstition est basiquement humaine. Les deux autres sont Culturellement humaines, se trouvant seulement chez les hommes soumis à une Haute Culture, ainsi ils sont les créations de la Haute Culture elle-même. La superstition existe toujours, les deux autres seulement pendant la durée de vie d’une Haute Culture. La religion est la forme de connaissance du début et de la fin d’une Haute Culture. La science est le contrepoint à la religion ; pendant sept siècles elle a été la basse, et ensuite pendant une brève période elle monte jusqu’aux aigus, porte la mélodie de la Culture, et ensuite s’éteint pour toujours, suivie de près par sa religion-parente. La superstition existe avant la Culture, sous elle, et après elle. Toute connaissance succombe finalement à la superstition.

Voilà la clé du scepticisme. Le sceptique n’a aucune connaissance ; il n’en a pas besoin. Les explications ne l’intéressent pas, ne lui suffisent pas non plus. Seule l’expression de soi, et cela dans l’action, l’intéresse.

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Le sceptique est l’homme le plus brave. Il n’a pas besoin d’équipement rationalisé comme les hommes de religion et de science. Il se contente de ses sentiments de race, d’honneur, d’Impératif intérieur et de mission. Les explications sont insensées dans son domaine. Expliquer est diviser en choses plus simples, mais l’honneur et la mission sont des éléments qui ne peuvent pas être divisés.

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Le sceptique peut voir le monde extérieur comme vide, énigmatique, insensé. Il n’est pas dominé par sa peur. Il ne se soumet pas à des dieux de sa propre création, ni à des lois naturelles, pour donner un sens intellectualisé à sa vie, pour se cacher du Destin.

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Le sceptique n’a pas besoin de ces procédés intellectualisés pour échapper à la peur métaphysique, pour une simple raison : la force même de ses instincts ascendants surpasse sa peur du monde. Le sceptique est l’homme qui a une confiance absolue en lui-même – une confiance en soi métaphysique. C’est la plus haute formule pour l’honneur et la race, et pour la vision-du-monde héroïque. Son substitut pour la connaissance – qui est toujours intermédiaire – est le sentiment, qui est immédiat. Il sent son but dans la vie, et il sent son éthique de vie. Au-delà de cela, il sent le sublime caractère accidentel de tout ce qui se trouve en-dehors du champ de ses sentiments.

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Ce type de scepticisme n’a absolument rien en commun avec ce que les religieux nomment scepticisme. Ils entendent par là le fait de ne pas croire à leur distillation particulière d’antitoxines contre la peur. Le scepticisme absolu, cependant, est le fait de ne croire en aucune explication, simplement à cause de l’incapacité précédente à croire en la puissance de l’intellect pour obtenir des résultats satisfaisants dans le domaine des choses dernières et ultimes.

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L’intellect est une chose pratique ; c’est une arme, un outil. Il sert à accomplir des choses terrestres, faire de l’acier, construire des ponts et des navires, parcourir les mers et les cieux, produire de la nourriture. Mais il ne peut fonctionner qu’en étant soumis à quelque chose de supérieur, de même qu’un outil est tenu par une main. Ce quelque chose de supérieur est l’instinct, qui demande que les problèmes soient résolus. La solution des problèmes ultimes, cependant, ne peut être que gâchée par l’intellect. L’instinct des hommes supérieurs refuse d’accepter de tels produits ratés comme une explication de la Vie et du Monde. Cet instinct refuse toutes les explications, parce qu’elles sont toutes si pathétiques, ainsi que la possibilité même d’une explication, parce que le monde est si sublime.

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L’intellect est à l’homme de proie ce que les griffes et les dents sont au tigre. L’intellect est le plus souple et le plus puissant de tous les outils et de toutes les armes. C’est sa distinction, et il doit s’en satisfaire.

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D’un certain point de vue, la situation mondiale est une course d’endurance entre la tension en Amérique et la persévérance de l’esprit de la Prusse. La situation en Amérique ne peut pas durer ; la Prusse ne peut pas non plus continuer à combattre et à tomber. Seule l’Amérique a frustré par deux fois la Prusse et le Destin de l’Europe. En 1917, avec la paix de Brest-Litovsk, nous étions les vainqueurs. Sans l’Amérique, cela n’aurait pas fait de question, il n’aurait pas pu en être autrement – l’Angleterre aurait conclu la paix. Cette paix aurait été une victoire pour nous. Toute la suite aurait été différente ; le Seconde Guerre Mondiale n’aurait pas pris la forme qu’elle a pris. Ou même si elle l’avait prise, sans l’Amérique l’Europe-Prusse aurait encore gagné, et nous serions maintenant en train de vivre dans la première forme rudimentaire et provisoire de l’Imperium. Chacun connaîtrait sa place, sa tâche, sa mission. L’Europe serait une ruche d’activité créatrice. La Russie n’aurait pas d’existence politique. Seule l’Amérique a empêché cela.

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Si la domination américaine continue pendant cinquante ans, il n’y aura plus aucune possibilité d’Imperium. La raison est que l’Amérique est en train de civiliser tout le monde de couleur, introduisant la technique occidentale partout. Mais cette supériorité technique est notre seul espoir. Sans doute, ils ne pourront jamais avoir notre originalité. Mais cette originalité n’est pas absolue, et quand le monde extérieur approchera d’une parité technique avec nous, le nombre entrera en jeu. Le monde de couleur nous dépasse en nombre de cinq contre un.

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Le cas de l’Amérique montre mieux que tout autre le caractère insensé de la puissance en-dehors d’une Haute Culture. La monstruosité appelée Amérique peut intervenir en Europe, peut la frustrer, peut peut-être la détruire. Cette Europe a été la plus sublime de toutes les Hautes Cultures, la plus passionnée et la plus intense, la plus masculine, barbare, et son futur devait être le plus grand spectacle jamais joué sur la scène du monde : la fondation de l’Imperium et le départ pour la conquête du monde comme mission absolue. Cela était, cela est notre Destin. Jusqu’à maintenant, deux fois en une génération, ce puissant dénouement a été effectivement frustré par la stupidité sans limites et la méchanceté aveugle du monstre américain. L’élément qui torture l’âme dans cette situation est que cette chose mécanique ne peut pas être traquée jusqu’à son repère et détruite. Elle peut être vaincue sur le champ de bataille, mais celui-ci se trouvera toujours à des milliers de kilomètres d’elle. L’Europe peut la vaincre, mais la victoire donnera tout au plus la sécurité à l’Europe. Nous ne pouvons pas avoir la satisfaction de nous tenir debout sur ce produit abâtardi de forces aveugles, l’épée à la main, regardant ses dernières convulsions, regardant son matériel humain hétéroclite se disperser comme des nomades sur le paysage désolé.

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Cruel paradoxe : l’Amérique, sans aucune mission, jouit d’une sécurité politique absolue. L’Europe, avec la seule mission dans le monde, se trouve écrasée entre les deux monstres informes sans but ou sans mission.

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Nietzsche a changé d’esprit – en fait, il a simplement changé de position. Non plus en 1880, quand Winckelmann était toujours culturellement vivant, mais en 1950, après que le monde ait vu les sièges de Stalingrad et de Berlin. L’esprit de Nietzsche nous donne à présent notre plus haute formule d’affirmation : le monde-comme-drame. J’appelle cela la Weltanschauung dramatique. La formule de l’éternel retour ne nous inspire plus ; nous suspectons qu’elle venait de la moitié darwinienne de Nietzsche.

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Deux manières de voir le monde se sont toujours opposées : le monde en tant que beauté, et le monde en tant que bonté. Elles correspondent à l’héroïsme et à la sainteté. Cette Epoque est une époque héroïque, une époque de politique, d’irréligion et d’amoralité. Sa Weltanschauung dominante au plus haut niveau peut donc difficilement être celle d’un monde en tant que bonté.

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Et c’est précisément le monde-comme-drame qui s’impose à nous comme la vision-du-monde appropriée, parce que nous avons dans notre sang le sentiment du Cinquième Acte. Cette Weltanschauung dramatique est une vision d’affirmation de la Vie et du Destin ; qui, au moment où la tragédie culmine, même de manière insupportable, ordonnerait lâchement l’interruption de la pièce ?

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Egalement dramatique : nous sentons instinctivement que la fin d’un homme est la seule chose qui compte. Il n’en n’était pas ainsi au XIXè siècle. Dans un drame, c’est toujours la fin qui compte. Nous ne savons pas si un homme est le poète de sa propre biographie, mais nous savons – avec notre manière de savoir – qu’une fin honorable est la seule chose qui ne peut pas être enlevée à un homme.

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L’homme est un éternel enfant. Plus l’homme est supérieur, plus cela est vrai. L’enfant en train de jouer, cependant, sait qu’il joue, et cela est difficilement inconnu de l’homme supérieur, qui souffre de la plus humaine de toutes les maladies – la maladie de la conscience infatigable.

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Mais c’est l’époque où l’homme supérieur atteint un plan supra-personnel qu’il n’a jamais atteint auparavant, et n’atteindra plus jamais, car la religion et l’existence de l’homme supérieur dans l’Europe des années 1950-2050 est radicalement aristocratique.

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Ainsi, parce que l’époque est celle de l’héroïsme, parce que c’est une époque où les choses seront faites une fois pour toutes, parce que l’homme supérieur incarne la plus haute formulation de masculinité et de son Epoque, il choisit dès lors la Weltanschauung dramatique. Il reconnaît le mystère du monde et y participe délibérément, consciemment, et avec respect pour lui-même.

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La race humaine dans son ensemble est une femme ; les vieillards des deux sexes comptent comme des femmes, et pour l’essentiel les enfants aussi. L’homme est ainsi une variation. L’homme est une révolte. L’homme supérieur est le plus grand défi de cette révolte, et ainsi en cet instant de l’histoire il n’est pas seulement le plus haut point de la Culture la plus intense, mais aussi le plus haut point de l’Idée de l’Homme même qui est ici atteinte.

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Les Américains sont psychologiquement socialistes ; tout comme les aborigènes de Nouvelle Guinée et des Iles Salomon. Cela signifie simplement qu’à l’intérieur de chaque individu les impulsions sociales prédominent sur les impulsions individuelles. Dans cet environnement, l’individualisme est éliminé, et les types supérieurs deviennent presque impossibles, parce qu’un type supérieur est forcément individualisé, psychologiquement égoïste. Cela est vrai aussi pour les saints, qui étaient tous psychologiquement égoïstes, même s’ils étaient spirituellement altruistes. En Amérique, l’altruisme instinctif prédomine, mais aussi l’égoïsme spirituel.

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Le socialisme prussien est l’opposé du socialisme américain. Le socialisme prussien, ayant surgi dans un pays et une Culture d’individualisme psychologique, requiert absolument une aristocratie pour être réalisé. Une aristocratie est une expression d’individualisme. Ainsi le socialisme prussien encourage automatiquement la naissance d’individus supérieurs, car sans eux il ne pourrait pas y avoir de socialisme prussien, mais seulement le chaos. Le socialisme prussien est un socialisme spirituel, pas, comme la variété américaine, un socialisme psychologique. En Prusse, le socialisme est une valeur, une éthique consciente, un idéal, une forme d’organisation, un moyen d’accomplissement. En Amérique il est inconscient, c’est une inhibition, une négation, une incapacité à être individuel, et donc une négation de l’humain dans l’homme et une affirmation de l’esprit de troupeau dans l’homme.

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L’Argent : l’orientation américaine bien connue vers l’argent, d’après laquelle tout est évalué en termes de dollars et de cents, y compris la religion, l’art, la politique, la vie sociale, et la vie individuelle, ne vient pas de l’avidité et de la convoitise. Ces choses sont humaines, pas nationales. Cette méthode de comparer toutes les choses d’après un standard est simplement une expression de l’uniformité de l’Amérique : cette uniformité est ajustée à un niveau très bas, précisément au niveau animal de l’homme, le plan où la santé, le bonheur et le confort sont les plus grands problèmes. Mais tous ces problèmes – et il n’y en a pas d’autres en Amérique – peuvent être aisément résolus en termes du grand dénominateur commun de l’argent. Pour un Américain – dont la connaissance, par ex., de l’aspect esthétique de la Culture Occidentale est aussi mince que celle qu’un Européen d’aujourd’hui par rapport à un Européen de l’époque rococo –, ce n’est pas une déformation de l’esprit d’évaluer Frans Hals et Huysdael en termes d’argent. Pour lui ces choses relèvent du domaine d’un « environnement agréable », en d’autres mots, du confort.

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Trois orientations différentes concernant l’argent : l’américaine, l’anglaise, l’allemande.

Pour l’Américain, l’argent est la vie.

Pour l’Anglais (le véritable Anglais, un type aujourd’hui presque éteint, l’Anglais historique), l’argent était la culture.

Pour un vrai Allemand-Prussien, l’argent est une perversion.

Toute l’économie allemande, même si elle utilise encore l’argent – je parle, bien sûr, du Troisième Reich – est une tentative systématique de vaincre l’argent. L’effort des créations sociales allemandes est de faire en sorte que la quantité d’argent qu’un individu reçoit soit directement proportionnée à ses besoins. Le seul rôle joué par l’argent dans ce processus est de le faciliter. L’argent permet de se passer de l’administration qui serait nécessaire pour faire fonctionner une économie non-monétaire.

En Angleterre, le besoin ne joua jamais aucun rôle dans la vision de l’argent. Le but de chacun était d’en avoir autant que possible. Tant que la classe supérieure conserva le sens de sa mission mondiale, ce concept de l’argent-comme-culture (culture signifie ici : vie supérieure) ne causa aucun dommage ; il ne produisit aucune dégénérescence. Sans doute, il ruinait les classes inférieures, mais elles ne comptaient pas pour la mission mondiale.

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Ces écrits constituent l’essentiel des pensées de F.P. Yockey, écrites entre 1950 et 1953, et publiées pour la première fois (en anglais) dans la brochure de K.R. Bolton : Varange. The Life & Thoughts of Francis Parker Yockey (Renaissance Press, 1998).
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