Comme dans le cas du Darwinisme et du Marxisme, le Freudisme n’a pas de signification culturelle, seulement une signification anti-culturelle. Tous trois sont des produits de l’aspect négatif de la crise de la Civilisation, l’aspect qui détruit les vieilles valeurs spirituelles, sociales, morales et philosophiques, et qui les remplace par un grossier Matérialisme. Le principe du Criticisme fut le nouveau dieu auquel furent sacrifiées toutes les vieilles valeurs de la Culture Occidentale. L’esprit du 19ème siècle est celui de l’iconoclasme. Les penseurs de premier plan eurent presque tous leur centre de gravité du coté du nihilisme : Schopenhauer, Hebbel, Proudhon, Engels, Marx, Wagner, Darwin, Dühring, Strauss, Ibsen, Nietzsche, Strindberg, Shaw. Certains d’entre eux furent aussi, sur l’autre versant de leur être, les hérauts du Futur, de l’esprit du 20ème siècle. La tendance dominante fut néanmoins matérialiste, biologique, économique, scientifique – contre l’âme de l’homme de Culture et contre le sens de sa vie reconnu jusqu’alors.
Sur un plan différent, mais dans la même tradition, agit le système du Freudisme. Il s’attaque à l’âme de l’homme de Culture, mais pas d’une manière oblique, à travers l’économie ou la biologie, mais de front. La « science » de la psychologie est choisie comme véhicule pour nier tous les élans les plus élevés de l’âme. De la part du créateur de la psychanalyse, cet assaut était conscient. Il parla de Copernic, de Darwin et de lui-même comme des trois grands insulteurs de l’humanité. Sa doctrine n’était pas non plus sans rapport avec son judaïsme, et dans son essai sur La Résistance à la Psychanalyse, il dit que ce n’est pas un accident si un Juif avait créé ce système, et si les Juifs s’y « convertissaient » facilement, car ils connaissaient le sort de l’isolement dans l’opposition. Vis-à-vis de la Civilisation Occidentale, Freud était spirituellement isolé, et n’avait pas d’autre recours que de s’y opposer.
Le Freudisme est un produit de plus du Rationalisme. Il applique le rationalisme à l’âme, et trouve qu’elle est purement mécanique. Elle peut être comprise, et les phénomènes spirituels sont tous des manifestations de l’impulsion sexuelle. Ce fut une de ces simplifications admirables et grandioses qui garantissent la popularité à n’importe quelle doctrine dans une époque de journalisme massif. Le Darwinisme fut la vision populaire selon laquelle le sens de la vie du monde était que tout tendait à devenir animal-homme, et que l’homme tendait à devenir darwinien. Marxisme : le sens de toute vie humaine est que l’inférieur doit devenir le supérieur. Freudisme : le sens de la vie humaine est la sexualité, réelle, fantasmée, tentée, ou autre. Tous trois sont nihilistes. L’homme de Culture est l’ennemi spirituel. Il faut l’éliminer en l’animalisant, en le biologisant, en le rendant économique, en le sexualisant, en le diabolisant.
Pour le Darwinisme, une cathédrale gothique est un produit de l’évolution mécanique, pour Marx, c’est un piège du bourgeois pour tromper le prolétariat, pour Freud c’est un exemple de sexualité gelée.
Il est à la fois inutile et impossible de réfuter le Freudisme. Si tout est sexe, une réfutation du Freudisme aurait aussi une signification sexuelle. Le 20ème siècle n’approche pas les phénomènes qui sont devenus historiques en se demandant s’ils sont vrais ou faux. Pour son mode de pensée historique, une cathédrale gothique est une expression de la jeune Culture Occidentale, intensément religieuse, récemment éveillée, et reflète la nature active de cette âme Culturelle. Dans son besoin d’auto-expression, cependant, cette nouvelle vision [du 20ème siècle] doit rejeter la tyrannie matérialiste de l’ancienne vision qui l’a précédée. Elle doit aussi se libérer du Freudisme.
Cette dernière grande tentative d’animaliser l’homme utilise aussi des méthodes critico-rationalistes. L’âme est mécanique : elle consiste en une simple impulsion : l’instinct sexuel. Toute la vie de l’âme est le processus de cet instinct devenu mal dirigé, perverti, tourné contre lui-même. Parce que pour cette « science », il est élémentaire que cet instinct ne peut pas fonctionner correctement. Décrire les fonctions mécaniques de l’âme revient à décrire des maladies. Les divers processus sont névrose, inversion, complexes, refoulement, sublimation, transfert, perversion. Tous sont anormaux, malsains, mal dirigés, antinaturels. L’une des vérités dogmatiques du système affirme que tout le monde est névrosé, et que tout névrosé est un pervers ou un inverti. Ceci s’applique non seulement à l’homme de Culture, mais aussi à l’homme primitif.
Ici Freud va plus loin que Rousseau, qui au début de la première phase de la Civilisation de l’Occident, affirma la pureté, la simplicité et la bonté d’âme du sauvage, par opposition à la méchanceté et à la perversion de l’Homme de Culture. Freud amplifie l’attaque : c’est toute l’espèce humaine qui est l’ennemie. Même si on ne déduisait pas de tous les autres phénomènes que la première phase de Civilisation du Matérialisme et du Rationalisme est déjà terminée, on pourrait le déduire de ce seul système, parce qu’un nihilisme aussi complet ne peut manifestement pas être dépassé, exprimant comme il le fait un sentiment anti-culturel jusqu’à ses limites les plus extrêmes.
Plus que de psychologie, le Freudisme doit être qualifié de patho-psychologie, puisque tout son arsenal terminologique décrit seulement des aberrations de l’instinct sexuel. La notion de santé est complètement dissociée de la vie de l’âme. Le Freudisme est la Messe Noire de la Science Occidentale.
Une partie de la structure du système est l’interprétation des rêves. Les travaux purement mécaniques de l’« esprit » (puisque l’âme n'existe pas) sont montrés par les rêves. Pas clairement montrés, cependant, car on a besoin d’un rituel élaboré pour parvenir à la signification réelle. « Censure de la conscience » – le nouveau nom donné à la « raison morale » de Kant –, « symbolisme », « répétition-compulsion » – ce sont quelques-unes des nombreuses formules cabalistiques qui doivent être invoquées. La forme originale de la doctrine disait que tous les rêves étaient des désirs.
Le rêve de la mort d’une personne aimée était expliqué par la psychanalyse comme étant la haine latente d’un parent, symptôme du quasi-universel complexe d’Oedipe. Le dogme était rigide : si le rêve consistait en la mort d’un chien ou d’un chat domestique, l’animal était le centre du complexe d’Oedipe. Si un acteur rêve qu’il a oublié son texte, cela montre qu’il souhaite intimement se trouver parfois dans une situation embarrassante. Dans le but d’attirer plus de convertis, y compris ceux ayant la foi la plus faible, la doctrine fut légèrement modifiée, et d’autres interprétations des rêves furent admises, comme pour la « répétition-compulsion », lorsque le même rêve de peur se répète régulièrement.
Le monde des rêves, bien sûr, reflétait la sexualité universelle de l’âme. N’importe quel objet apparaissant dans un rêve pouvait être un symbole sexuel. L’instinct sexuel « réprimé » apparaissait dans les rêves, symbolisant, transférant, sublimant, investissant et dirigeant toute la gamme de la terminologie mécanique.
Chaque personne est névrosée dans sa vie adulte, et cela n’est pas accidentel, puisque la névrose s’est produite dans son enfance. Les expériences de l’enfance déterminent – tout à fait mécaniquement, puisque tout le processus est non-spirituel – quelles sont les névroses particulières qui accompagneront la personne au cours de sa vie. On ne peut vraiment rien faire contre cela, à part s’en remettre aux soins d’un adepte du Freudisme. L’un d’entre eux affirma que 98 pour cent des êtres humains devraient être soumis au traitement des psychiatres. Cela survint dans la seconde phase de développement du système. Au début cela aurait dû être cent pour cent, mais comme pour les Mormons, la pureté originale de la doctrine dut accepter certains compromis pour des raisons d’opportunisme.
L’homme ordinaire qui effectue son travail n’est qu’une illusion aux yeux d’un observateur – il semble faire ce qu’il fait effectivement. Mais en fait, le Freudisme montre qu’il le fait seulement en apparence, car en réalité il pense tranquillement à des questions sexuelles, et tout ce qu’on peut voir est le résultat de sa fantaisie sexuelle manifestée à travers les filtres mécaniques de la censure de la conscience, de la sublimation, du transfert, etc. Si on a des désirs, de la peur, si on rêve, si on pense abstraitement, si on recherche, si on se sent inspiré, si on a de l’ambition, du dégoût, du respect, on exprime simplement son instinct sexuel. L’Art est évidemment sexuel, tout comme la religion, l’économie, la pensée abstraite, la technique, la guerre, l’Etat et la politique.
II
Freud remporta ainsi, avec son cousin Marx, l’Ordre de la Simplicité. C’était la décoration convoitée pendant l’Ere des Masses. Avec la fin de l’Age du Criticisme, elle est tombé en discrédit, parce que la nouvelle vision ne s’intéresse pas à placer toutes les données de la connaissance, de l’expérience et de l’intuition dans un moule préfabriqué, mais à voir ce qui était, ce qui est, ce qui doit être. Sur le portail de la nouvelle vision se trouve l’aphorisme de Leibnitz : « Le Présent est fécondé par le Passé, et engendre le Futur ». L’enfant est le père de l’homme – cela est l’ancienne sagesse, et décrit le développement de l’organisme humain depuis l’enfance jusqu’à la maturité, chaque étape étant reliée au passé et à l’avenir parce que la même âme parle à tout moment. Le Freudisme caricature cette profonde vision organique avec un procédé mécanique par lequel l’enfance détermine la forme de la maturité, et transforme tout le développement organique en un processus causal, et ce qui est pire, en un processus diabolique, malade.
Dans la mesure où il peut être considéré comme occidental, le Freudisme est soumis à la spiritualité prédominante de l’Occident. Son mécanicisme et son matérialisme reflètent la vision du 19ème siècle. Son discours sur l’inconscient, l’instinct, l’impulsion, etc., reflète le fait que le Freudisme est apparu à un point de transition de la Civilisation Occidentale, alors que le Rationalisme était déjà accompli et que l’Irrationnel émergeait de nouveau comme tel. Ce n’était pas du tout par la terminologie ou par le traitement des éléments nouveaux et irrationnels de la doctrine que le Freudisme annonçait le nouvel esprit, mais simplement et seulement par le fait que des éléments irrationnels apparaissaient. C’est seulement en cela que cette structure peut annoncer quelque chose ; par tous ses autres aspects, elle appartient au passé malthusien-darwiniste-marxiste. Elle ne fut rien de plus qu’une idéologie ; une partie de l’assaut général rationaliste-matérialiste contre l’homme de Culture.
Les éléments irrationnels que reconnaît le système sont strictement subordonnés au rationalisme supérieur du praticien, qui peut les démêler et guider le névrosé malade vers la lumière du jour. Ils sont, si c’est possible, encore plus malades que le reste du complexe mental. Ils peuvent être irrationnels, mais ils ont une explication rationnelle, un traitement et une guérison.
Le Freudisme apparaît donc comme la dernière des religions matérialistes. La Psychanalyse, comme le Marxisme, est une secte. Elle a sa confession orale, ses dogmes et ses symboles, ses versions ésotérique et exotérique de la doctrine, ses convertis et ses apostats, ses prêtres et sa scolastique, un rituel complet d’exorcisme, et une liturgie de divination. Des schismes apparaissent, entraînant la formation de nouvelles sectes, dont chacune prétend être porteuse de la vraie doctrine. Elle est occulte et païenne par son interprétation des rêves, démoniaque par son culte du sexe. Son image du monde est celle d’une humanité névrosée, déformée et pervertie dans la camisole de force de la Civilisation Occidentale, à laquelle le nouveau prêtre de la psychanalyse tend la main de la délivrance à travers l’Evangile Freudien anti-occidental.
La Haine qui formait le cœur du Marxisme est aussi présente dans la nouvelle religion. Dans les deux cas c’est la haine de l’intrus envers son environnement totalement étranger, qu’il ne peut pas changer, et doit donc détruire.
L’attitude du 20ème siècle envers la question du Freudisme est inhérente à l’esprit de cette époque. Son centre se trouve dans l’action – des tâches externes appellent l’âme occidentale. Les meilleurs entendront cet appel, laissant à ceux qui n’ont pas d’âme le soin de s’occuper à dessiner des images de l’âme.
Il en a toujours été ainsi avec la psychologie scientifique : elle n’a jamais attiré les meilleurs esprits, dans aucune Culture. Elle repose entièrement sur la supposition qu’il est possible par la pensée d’établir la forme de ce que l’on pense, une proposition extrêmement douteuse. S’il était possible de décrire l’âme en termes rationnels – condition préalable à une science de la psychologie –, il n’y aurait pas besoin d’une telle science. La Raison est une partie, ou mieux, une fonction partielle, de l’Ame. Toute image de l’âme décrit seulement l’âme de celui qui la dessine, et de ses semblables. Un sataniste voit les choses à la manière de Freud, mais il ne peut pas comprendre celui qui voit les choses autrement. Ceci explique la bassesse des tentatives freudiennes pour diaboliser, sexualiser, mécaniser et détruire tous les grands hommes de l’Occident. Ils ne peuvent pas comprendre la grandeur, n’en ayant pas fait l’expérience intérieure.
L’Ame ne peut pas être définie – c’est l’Elément des Eléments. Toute image d’elle, tout système psychologique, est un simple produit de celle-ci, et ne va pas plus loin que l’autoportrait. Comme nous comprenons bien maintenant que la Vie est plus importante que les résultats de la Vie !
Dans toutes les Civilisations, les systèmes psychologiques utilisent la terminologie des sciences matérielles de la physique et de la mécanique. Ils reflètent ainsi l’esprit des sciences naturelles et prennent place parmi elles comme produits de l’époque. Mais ils ne peuvent pas accéder au plus haut rang auquel ils aspirent, c’est-à-dire la systématisation de l’Ame. A peine le Freudisme venait-il de s’établir comme la nouvelle Eglise Psychanalytique, que déjà le développement de la Civilisation Occidentale l’avait rendu démodé.
La psychologie du 20ème siècle est adaptée à une vie d’action. Pour cette époque, la psychologie doit être pratique, ou elle n’a aucune valeur. La psychologie des foules, des armées, du commandement, de l’obéissance, de la loyauté – voilà ce qui a de la valeur pour cette époque. On ne peut pas y arriver avec des méthodes « psychométriques » et une terminologie abstruse, mais avec l’expérience humaine – la sienne propre, et celle des autres. Le 20ème siècle considère Montaigne comme un psychologue, mais Freud comme un simple représentant au 19ème siècle de l’obsession des sorcières des premiers jours de la Culture Occidentale, qui était aussi une forme déguisée de culte du sexe.
La psychologie humaine s’apprend en vivant et en agissant, pas en contrôlant des réactions ou en observant des chiens et des souris. Les mémoires d’un homme action, d’un aventurier, d’un explorateur, d’un soldat, d’un homme d’Etat, contiennent le type de psychologie qui intéresse cette époque, tant littéralement qu’entre les lignes. Chaque journal est un résumé de la psychologie de la propagande de masse, supérieur à n’importe quel traité sur la matière. Il y a une psychologie des nations, des professions, des Cultures, des époques successives d’une Culture, depuis la jeunesse jusqu’à la sénilité. La psychologie est l’un des aspects de l’art du possible, et comme telle est une étude favorite de l’époque.
Le plus grand magasin de la psychologie est l’Histoire. Elle ne contient pas de modèles à notre usage, puisque la Vie ne se répète jamais, ne se produisant qu’une seule fois, mais elle nous montre par des exemples comment nous pouvons réaliser nos potentialités en restant fidèles à nous-mêmes, en n’acceptant aucun compromis avec ce qui est totalement étranger.
Pour cette vision de la psychologie, aucun matérialisme ne pourrait même être considéré comme de la psychologie. Ici se rejoignent Rousseau, Darwin, Marx et Freud. Ils ont peut-être compris d’autres choses, mais ils ne comprennent pas l’âme humaine, et en particulier l’âme de l’homme de Culture. Leurs systèmes ne sont plus que des curiosités historiques pour le 20ème siècle, sauf s’ils prétendent être des descriptions appropriées de la Réalité. Celui qui « croit » en ces antiques fantaisies se définit lui-même comme ridicule, posthume, impuissant et superflu. Aucun dirigeant des prochaines décennies ne sera darwiniste, marxiste ou freudiste.
Extrait du livre de Francis Parker Yockey, Imperium, pp. 89-97.