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Dimanche dernier, pour la première fois, j’ai osé !
Jusqu’au dernier moment, je ne savais pas si j’oserais. J’ai pris les deux bulletins entre lesquels j’hésitais et je me suis rué dans l’isoloir, comme on entre chez une prostituée, comme on se cache dans le noir pour faire un mauvais coup. Nicolas, l’œil de ma conscience, me lançait des regards fâchés : « Alain, tu ne vas pas me faire ça ! Rappelle-toi le jeune homme fougueux qui a dompté Human Bomb, celui qui voulait tout nettoyer au kärcher ! » Valérie ne disait rien, mais elle me regardait avec ce sourire gêné qu’ont les femmes quand elles devinent qu’on va faire une bêtise. La tête me tournait et soudain j’ai vu sur l’autre bulletin « Saint-Just », et les lettres de ce nom m’ont sauté au visage.
J’étais dans un tribunal, ce devait être sous la Révolution Française car tous les hommes portaient de petites perruques blanches avec chignons. D’ailleurs j’étais le procureur et je clamais à l’accusé, un gros homme poupin avec un visage un peu veule : « Citoyen François, vous avez trahi le peuple français, vous avez cherché à le dénaturer par immigration et chômage ! Je réclame pour vous la guillotine. » Derrière moi, l’assemblée des tricoteuses reprenait en choeur : « Oui, la guillotine, c’est tout ce qu’il mérite ! »
J’ai mis le second bulletin dans l’enveloppe bleue, je me suis placé au bout de la file d’électeurs le cœur battant, et quand mon tour est venu, j’ai osé glisser le monstrueux bulletin dans l’urne fatale. Le plafond allait-il s’écrouler sur moi ? Les scrutateurs me regardaient avec sévérité, je crois qu’ils devinaient de quelle terrible audace j’étais saisi. La petite enveloppe est tombée sur les autres dans la boîte transparente et je me suis senti submergé de fierté. J’avais osé ! J’avais osé me mettre au nombre des Satans, des ennemis du genre humain et par dessus le marché, je me faisais une joie d’être un réprouvé parmi les réprouvés ! La diablesse blonde m’accueillit dans son Walhalla, et je riais à la face de la bienséance, de la morale, à la face du Monde, de Daniel Pujadas, de Pierre Gattaz et de toutes ces divinités subalternes qui m’avaient opprimé. J’avais osé sortir de ce labyrinthe de mensonges, et en revenant chez moi, je marchais joyeux comme au premier matin du monde, malgré le crachin parisien de décembre.
Le dimanche suivant, j’ai admis qu’il fallait avant tout vaincre la bande d’immigrationnistes et de chômagistes fous qui nous gouverne. Dans l’isoloir, Valérie me regardait avec tristesse : « Alors, ce n’est plus de l’amour, c’est de l’utilité ? » J’ai balbutié des excuses, mais je me souvenais de mon audace et de la fierté que j’en avais éprouvée le dimanche précédent. Il était très possible que je remette ça en 2017.
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