Les yézides, une étrange secte synchrétiste
Samedi 17 février 2001, un navire s’échoue sur la côte Varoise. Pas de pétrole, pas de marée noire ... mais neuf cent huit kurdes qui débarquent et demandent l’asile politique.
La presse indiquera bientôt qu’il ne s’agit pas de musulmans comme on s’y attendait mais d’adeptes d’un obscur culte : le yézidisme.
Ayant révélé cela, les journalistes seront bien incapables d’en dire plus. En effet on ne connaît que bien peu de chose sur cette croyance et les travaux en langue anglaise ou allemande réalisés par des historiens des religions ou par des anthropologues se comptent sur les doigts d’une main et sont difficilement accessibles. En Français, il n’existe qu’une étude universitaire indisponible depuis une éternité. En fait le yézidisme n’est un nom familier que pour les lecteurs de Gurdjieff qui relate dans Rencontre avec des hommes remarquables comment il assista en 1888 à une scène étonnante. Il vit en effet un petit garçon, pleurant et faisant d’étranges mouvements, luttant de toutes ses forces pour sortir d’un cercle tracé autour de lui par des adolescents. Georges Ivanovitch Gurdjieff en effaçant le cercle délivra l’enfant qui s’enfuit en courant. On lui apprit alors que le garçonnet était un yézide, membre d’une « secte vivant en Transcaucasie, principalement dans les régions situées près du mont Ararat. On les appelait parfois les adorateurs du Diable ». Lovecraft évoqua lui aussi les yézides dans une de ses nouvelles, mais cela de manière plus sombre, en faisant des sectataires sataniques colonisant un port de la côte est des USA.
Le nom yézide apparut au onzième siècle de notre ère à la fois comme nom tribal d’un sous-groupe de l’ethnie kurde et comme dénomination de la religion pratiquée par cette tribu. Il existe plusieurs théories à propos de l’origine de ce nom, chacune plus ou moins vraisemblable. Certains considèrent que le mot provient soit du radical Ized (ange, Dieu), soit de Yazata (digne d'adoration), termes que l’on trouve dans l'Avesta, le texte sacré des Zoroastriens. La plupart des auteurs musulmans affirment eux que les yézides sont des partisans du calife Umayyad Yazid ibn Mu'awiya (d’ou leur nom : « les partisans de Yazid ») qui ordonna la mort d’Hussein, le plus jeune fils du calife Ali en 680 de notre ère.
La réalité est sans doute à mi-chemin de cela et le yézidisime semble être un syncrétisme de paganisme pré-islamique et de soufisme.
D’après le docteur Mamou Othman, auteur de The Yezidis before Sheikh-Adi: A scientific religious research, ils sont les héritiers du zoroastrisme et du mithraïsme comme le montrent la concordance d’un certain nombre de célébrations religieuses, de divinités animales (le serpent et le scorpion principalement) et de croyances.
Le verni musulman serait du à l’action missionnaire au kurdistan du Sheikh Adi ben Musafir (1073-1161) un descendant du calife Umayyad Yazid ibn Mu'awiya, dont la tombe, située à Lalish dans les montagnes du nord de l’Irak, est le principal lieu saint yézide. Son nom est attesté dans les histoires arabes qui nous disent qu'il naquit dans la vallée de la Bekaa au Liban, étudia à Bagdad et devint soufi. Parmi ses collègues étudiants et amis se trouvait les grands soufis orthodoxes Abd al-Qadir al-Jilani, fondateur de l'Ordre Qadiriyyah, Abd al-Qadir al-Suhrawardi, Abu Hamid Ghazali et Ahmad Ghazali. Il partit dans les monts Hakkari au Kurdistan tout au début du douzième siècle pour y étudier avec les maîtres soufis locaux. Il fut l'inspirateur de la tariqa des Adawiyya, dont la des branche kurde s’accultura en adoptant les croyances païennes de la population et en donnant naissance au yézidisme que nous connaissons.
Considérés soit comme païens, soit comme hérétiques, les yézides durant sept siècles ne bénéficièrent même pas les droits limités accordés par la loi islamique aux Chrétiens et aux Juifs. Ils pouvaient sous le plus petit prétexte être considérés comme hors la loi, tués ou vendus comme esclave et leurs terres et biens saisies en toute impunité. Ce ne fut qu’en 1849 qu'ils furent officiellement reconnus comme un peuple à part entière par un édit de l'Empire Ottoman qui les exemptait de toutes les impositions illégales, interdisait la vente de leurs enfants comme esclaves, leur assurait la pleine jouissance de leur religion et les plaçait sur le même pieds que les autres sectes de l'empire.
Cela n’empêcha pas qu’en 1894, les Ottomans envoyèrent une expédition contre le Djebel Sinjar, où vivaient la majorité des yézides, pour les convertir à l'Islam. Bien que les villages yézides aux pieds des montagnes soient brûlés, de nombreux soldats Ottomans furent tués et l'expédition échoua. La dernière attaque Ottomane se produisit à la fin de la Première Guerre Mondiale en septembre 1918. Actuellement encore, les yézides se plaignent de manière récurrentes d’être persécutés par les musulmans et cela y compris parmi la diaspora ayant émigré en Occident.
Les yézides croient en un Dieu qu’ils nomment Khuda. Il est regardé comme la cause première et le créateur de l’univers. La tâche matérielle de la création et de l’instauration de la vie végétale et animale sur la terre fut assignée à sept anges dont le plus important était Azaziel ou Satan. Celui-ci refusa de s’incliner devant le premier homme et fut de ce fait banni de la présence directe de Dieu. Mais les yézides croient que l’acte de désobéissance fut pardonné par Khuda comme un père pardonne à un enfant capricieux et Azaziel - assimilé à Melek Tawus, l’Ange Paon - trouve donc sa place dans leur panthéon qui comprend aussi des divinités animales. Ceci est la raison pour laquelle les yézides sont habituellement considérés comme des adorateurs de Satan par les autres fois monothéistes.
Un des deux livres saint du yézidisme, le Mashaf Resh - qui n’a été compilé qu’au XIX° siècle - contient un récit de l'origine du monde qui mérite d’être relaté tant il vise à placer les yézides complètement à part du reste de l'humanité. Il commence ainsi : « Le Seigneur descendit sur la terre sacrée et ordonna à Gabriel d'apporter des éléments des quatre coins du monde : terre, air, feu et eau. Il le créa et mit dedans l'esprit de son propre pouvoir et l'appela Adam.» Ensuite Dieu ordonna à Gabriel d'emmener Adam dans le Paradis et de lui dire qu'il pouvait manger de tous les arbres mais pas de blé. Après une centaine d'années, Tawus Melek demanda à Dieu : « Comment Adam pourrait-il se multiplier et avoir des descendants s'il lui est interdit de manger du grain ? » Dieu mit la solution dans les mains de Tawus Melek qui dit à Adam de manger du grain. Immédiatement, le ventre d'Adam se mit à enfler parce que, d'une manière surprenante , « il n'avait pas de sortie » pour soulager sa détresse ! ... « Pour cette raison Dieu lui envoya un oiseau qui perça son anus à coups de bec et ainsi fit une sortie ... » Pour les yézides, Tawus Melek, apporta de la part de Dieu des instructions à Adam : il n'y a pas chez eux de tentation, de serpent, de pomme, d'Eve ou de péché ...
Eve apparut quand Dieu ordonna à Gabriel de la créer à partir de l’aisselle gauche d'Adam. Eve et Adam ayant observé que les animaux mâle et femelle s’unissent pour produire une descendance, discutèrent de la manière dont il pourraient engendrer la race humaine. Ils décidèrent d'un essai : dans deux jarre qui resterait scellée pendant neuf mois chacun mettrait sa « graine » sous la forme de sperme dans l’une et de sang menstruel dans l’autre. Quand ils les ouvrirent, la jarre d'Adam contenait deux enfants, mâle et femelle, desquels les yézides descendent, tandis que la jarre d'Eve ne contenait « rien sauf des vers pourris dégageant une odeur nauséabonde. » Dieu fit alors pousser des tétines à Adam de sorte qu'il puisse allaiter les enfants de sa jarre. Plus tard Adam s’unit à Eve et de cette union descend le reste de l'humanité.
De ce récit de la création, les yézides tirent la conclusion que pour appartenir à leur religion on doit naître dans la communauté, on ne peut l’intégrer ni par conversion, ni par mariage.
L’organisation de la religion yézide est très hiérarchisée et ressemble a celle d’un ordre soufi. A sa tête se trouve le mir, assisté de sheikhs, pirs, kawalis, kocheks, faqryats et faqirs.
Le mir est le chef laïque et tribal de la communauté yézide, son rôle religieux est limité à la nomination du chef des sheikhs le Baba sheikhs. Les sheikhs sont l’équivalent de prêtres et ont la responsabilité des villages et communautés. Cette fonction est héréditaire et se transmet au sein d’environ trois cent familles. Les pirs sont les descendants des disciples originels de sheikh Adi et leur nombre ne dépasse pas les deux cents familles.
Directement sous les sheikhs sont les kawals, les « récitants ». Ils fournissent des chœurs pour les fêtes religieuses et ils voyagent de village yézide en village yézide en transportant une représentations de Melek Tawus afin que les villageois puissent l’adorer. Cette idole est nommée sanjaks et existe en sept exemplaires, un nombre correspondant a celui des anges qui prirent part à la création du monde. La statue faite de bronze ou de fer est ainsi décrite par George Percy Badger (The Nestorians and their rituals, Masters, Londres, 1852) « La figure est celle d'un oiseau ressemblant à un coq. Celui-ci est fixé au sommet d'un chandelier, autour duquel il y a deux lampes, placées l'une au-dessus de l'autre et chacune contenant sept brûleurs. » Les sanjaks sont conservés dans le palais du mir quand ils ne sont pas utilisés. Actuellement, des kawals voyagent en Allemagne et en Scandinavie pour permettre aux émigrés yézides de pratiquer leur foi. Le yézidisme étant jusqu'à une date très récente une foi de tradition orale, les kawals sont les mainteneurs de celle-ci et doivent mémoriser un immense corps de traditions qu’ils récitent pour le bénéfice des fidèles.
Les faqirs sont un ordre de mendiants. Ils portent des vêtement particuliers : un turban noir, une robe noire bordée de rouge et une ceinture tressée rouge et blanche. Les faqirs pratiquent le jeune, récitent des prières et servent comme assistant au sanctuaire de Lalish.
Un kochek est un yézide particulièrement dévot qui s’est installé dans la vallée de Lalish près du sanctuaire afin de pouvoir y prier journellement.
Les faqriyat sont des femmes célibataires qui servent le sanctuaire de Lalish. Leur charge principale est le tissage de mèches pour les lampes du sanctuaire, Elles ressemblent à peu de choses à un ordres de nonnes et sont sous les ordres d’une abbesse.
Les laïcs yézides sont connus sous le nom de murid, ils peuvent aspirer à devenir kocheks, faqryats et faqirs mais les autres fonctions étant héréditaires leur sont fermées. Les estimations quant à leur nombre total varient selon les sources de 160.000 à 750.000 personnes. Les trois quart d’entre eux vivent au Kurdistan irakien, mais on en rencontre aussi en Arménie, en Turquie et en Syrie. En Europe, ils seraient 75.000 principalement en Suède, mais aussi en France (en Alsace), en Hollande et en Allemagne où l’une des leurs, Feleknas Uca, a été élue députée écologiste au Parlement européen.
Les yézides pratiquent le baptême des nouveaux-nés, la circonsision des mâles et la « fraternité du sang ».
Le baptême est effectué à la fois par un sheikh et un pir en utilisant l’eau du ruisseau qui coule dans le sanctuaire de Lalish. Si cette eau n’est pas disponible, l’eau du pays mélangée avec une petite quantité de poussière de la tombe du Sheikh Adi est utilisée.
La circoncision est effectuée juste avant la puberté. La « fraternité du sang » lie le garçon yézide à l’homme sur les genoux duquel il est circoncis, on peut apparenter cela d’une certaine mesure à l’institution du parrain dans le catholicisme.
Les yézides respectent un certain nombres d’interdits alimentaire. Ils ne mangent pas de poisson, de laitue, d’haricots, de citrouilles, de poisson, de viande de gazelle, de paon et de porc. Ils ne consomment pas d’alcool, pas de tabac et pas de marijuana. Ils ne doivent pas non plus porter de vêtement bleus.
Il n’y a pas d’autre édifice yézide consacré au culte que le sanctuaire de Lalish. Toutes les prières et les cérémonies autres que les mariages et les funérailles sont effectuées en privé et sont principalement des actes de dévotion non verbaux. Parmi ceux qui ont été décrits on possède un rituel de début de journée qui consiste à se laver les mains et la figure en se tournant vers le soleil, à s'incliner trois fois les bras croisés, puis à embrasser les bouts de ses doigts et à porter les mains à sa tête, enfin à embrasser l'endroit où le premier rayon du soleil du matin est tombé dans la maison. Les mariages sont arrangés par les anciens de la famille. Les funérailles ressemblent aux funérailles islamiques. Le cadavre est enveloppé dans un linceul blanc, on saupoudre dessus de la poussière de Lalish et il est descendu dans la tombe.
L’année religieuse yézide commence - selon le calendrier séleucide - le premier mercredi d’avril, elle est scandée par diverses festivités.
La fête de sarials ou nouvel an persan est célébrée dans chaque village yézide. A cette période les familles visitent les tombes et apportent aux défunts des offrandes de nourriture. Lors de cette même fête on décore des œufs et on les expose. A la minuit de ce jour, il est dit que les anges passent et on récite des prières spéciales pour obtenir leur aide. Les autres fêtes importantes sont celle du Sheikh Adi et celle de l’Assemblée. Toutes les deux sont célébrées à Lalish. Lors de la fête de l’Assemblée des rites théurgiques sont accomplis dans le temple. En plus de ces commémorations, les yézides observent aussi la fête islamique de l’El-Khidr et celle Arménienne de Saint Serge.
Le sanctuaire de Lalish est une structure très imposante, qui entoure la tombe du Sheikh Adi. Un ruisseau sacré qui y coule. Les bâtiments sont anciens et furent à l’origine une église et un couvent nestorien dont les fondations furent jetées au VII° siècle. Le mur oriental de l’édifice est couvert de sculptures de symboles dont le plus intéressant est un serpent de plus de deux mètres de haut qui est noirci chaque jour (avec du cirage à chaussure ! ...).
Médiatisé un instant par l’étonnante arrivée sur les côtes varoises d’un certain nombre d’entre eux, les yézides ontt vite retrouvé l’anonymat et la discrétion qu’ils affectionnent.
On remarquera qu’ils ne sont pas l’unique minorité religieuse irakienne ayant une composante théologique issue du paganisme antique. Tel est de même le cas des Shabaks Yarsans et des Mandéens. Des communautés de ceux-ci existent sans doute dans l’immigration sans qu’elles ne se soient jamais fait remarquer et sans que leur mode d’immigration n’ait attiré l’attention du grand public.