Le spectre de l'islam dans les Balkans
Dans la mémoire historique des peoples d’Europe centrale et orientale, les mots « musulmans » et « islam » évoquent souvent des images de terreur et de violence. Dénoncées comme « xénophobes » par les intellectuels gauchistes et libéraux, ces images négatives sont encore associées aux Turcs et à leurs incursions militaires séculaires jusqu’au cœur de l’Europe. Même les dérivés verbaux du mot « Turc » dans les langues slaves et germaniques sont souvent porteurs de sens péjoratifs. En Carinthie autrichienne, on se souvient des Turcs sous le nom de Renner und Brenner (« coureurs et incendiaires »), qui, en se frayant un chemin à travers les Alpes, laissaient la terreur et la destruction dans leur sillage. Bien pire fut le cas de la région de Furlani en Italie du Nord, dont la mise à sac fut décrite par le défunt cinéaste et auteur italien Pietro Paolo Pasolini. Peu avant la catastrophe croate sur le champ de bataille de Krbava en 1477, depuis la tour de Saint Marc à Venise, les observateurs purent voir les flammes et la fumée tourbillonner jusqu’à la ville d’Udine. Dans leurs incursions incendiaires, les Turcs utilisèrent les Wallachs des Balkans, les Albanais et des foules de Gitans maraudeurs comme auxiliaires pour le nettoyage ethnique. Même la récente guerre dans les Balkans et le massacre des musulmans bosniaques ne peuvent pas être compris sans prendre en compte les siècles de terreur turque dans les Balkans.
L’assaut de l’islam entraîna des transferts massifs de populations. Ce fut une pure coïncidence historique si la Hongrie et la Croatie ne devinrent pas une partie de l’empire ottoman. Grâce aux volontaires étrangers venus de toutes les parties du Saint Empire Romain, incluant un grand nombre de Serbes de la Krajina et d’Allemands du Danube, ces régions conservent encore leur héritage centre-européen et catholique. C’est vraiment une grande honte que le rôle du Prince Eugène de Savoie, le libérateur de l’Europe Centrale, soit largement ignoré dans les programmes scolaires politiquement corrects, et par les médias européens. Après l’expulsion des Turcs hors des plaines de Pannonie et du bassin danubien, le Saint Empire Romain décida de repeupler ces régions européennes dévastées mais fertiles avec des centaines de milliers de colons allemands qui, jusqu’en 1945, furent connus en Hongrie et dans la Yougoslavie monarchique sous le nom de Souabes du Danube. Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux Allemands du Danube s’engagèrent dans la division Prinz Eugen de la Waffen SS, nommée d’après leur héros patron. Le 18 mai 1945, 1.600 légionnaires allemands désarmés furent sommairement exécutés par les partisans communistes titistes victorieux ; le reste fut envoyé dans les mines de zinc à Bor. Dans les milieux monarchistes et conservateurs de l’Europe moderne, le Prince Eugène demeure un héros chrétien. Né en France, Eugène s’égara d’abord dans les intrigues de la cour corrompue de Louis XIV. Le roi français se moquait du nez plat d’Eugène, de son corps malingre, et de sa grosse tête (et de ses inclinations homosexuelles), et suggérait à sa royale coterie qu’Eugène était moins taillé pour une carrière militaire que pour la vie d’un prêtre de village. Par haine pour Louis XIV, Eugène, qui à l’origine venait de la Savoie italianophone, quitta la France et offrit ses services à son ennemi mortel : le Saint Empire Romain. En 1683, il participa à la défense de Vienne contre le siège des Turcs, et dans les décennies suivantes, il libéra toute la région danubienne – incluant Belgrade, en 1717. Ainsi, l’empire armé stoppa l’invasion antichrétienne et la destruction turque de la civilisation européenne. Malheureusement, Eugène ne réussit pas à libérer Sarajevo et à chasser complètement les Turcs hors d’Europe. Les batailles le long du Rhin l’obligèrent à retirer ses troupes pour défendre l’Empire contre les Français. La Sublime Porte islamique maintenant des liens étroits avec la France catholique, dont l’obsession séculaire était d’interrompre l’accès sous contrôle allemand à la Mer Noire, via le Danube. Celui qui contrôle le Danube, dit-on souvent, contrôle l’Europe.
En dépit de leur origine asiatique, les Turcs ont absorbé de nombreux Européens ethniques, particulièrement par l’importation dans la péninsule anatolienne d’esclaves blancs venant des régions centre-européennes sous occupation turque. Le régime ottoman fournissait d’excellentes opportunités de carrière aux jeunes Européens islamisés – un développement encouragé par les Turcs dans les Balkans et illustré par les musulmans bosniaques. En Bosnie, la suspicion persiste aujourd’hui parmi les Croates catholiques et les Serbes orthodoxes envers le gouvernement musulman slave de Sarajevo. Il est parfaitement possible qu’une sorte de réconciliation ait lieu un jour entre les Serbes et les Croates en dépit d’un siècle d’hostilité mutuelle. Un tel développement semble beaucoup moins probable entre l’un de ces groupes et les musulmans slaves. Le père fondateur de la Turquie laïque moderne, Kemal Pacha Atatürk, ressemblait plus à un patriarche allemand qu’à un despote asiatique. Son lieu de naissance, dans les Balkans, suggère qu’il était d’ascendance slave ou albanaise. Pour un Turc, il n’y a pas de pire insulte que d’être appelé un « Arabe ». Par contre, la Turquie a des liens étroits avec l’Israël moderne. Après qu’Isabelle II ait expulsé les Juifs d’Espagne au XVe siècle, de nombreux Juifs sépharades trouvèrent refuge dans le vaste empire ottoman, qui incluait non seulement les Balkans mais aussi un bon morceau de l’Afrique du Nord arabe. L’Etat d’Israël coopère étroitement avec les Renseignements militaires turcs. L’épouvantable dossier de la Turquie concernant les droits de l’homme est généralement ignoré, et l’Union Européenne, sous la pression américaine, doit se donner beaucoup de mal pour satisfaire les incessantes demandes turques d’entrer dans l’Union. Pour les Etats-Unis, Israël et la Turquie sont des alliés importants dans la Méditerranée orientale sous contrôle de l’OTAN. La Turquie est d’une importance vitale pour l’accès au bassin d’Asie Centrale, et avec sa puissante armée d’un demi-million d’hommes elle sert d’arbitre dans l’« hydropolitique », puisqu’elle contrôle les principales voies maritimes vers le Moyen Orient. Pendant la guerre des Balkans, avec l’entière bénédiction des Etats-Unis, la Turquie fournit un appui discret aux musulmans bosniaques et aux Albanais. La Turquie conserve un vif souvenir de son « glacis » européen perdu, et elle rêve encore de restaurer la gloire passée qui s’étendait jadis jusqu’aux portes de Vienne.
En dépit du rôle important de l’appareil militaire turc et du grand prestige de l’armée turque dans la vie publique, la Turquie est minée depuis des décennies par le séparatisme des Kurdes, qui sont approximativement quinze millions dans la population turque et dont le but est la sécession. La Turquie est souvent embêtée par les lobbies arméniens et grecs en France et en Amérique, qui demandent ouvertement des excuses publiques pour le génocide par les Turcs de 1,5 million d’Arméniens en 1915. Sans exception, la classe politique et intellectuelle turque rejette toute allégation de génocide. Alors que l’Allemagne doit publiquement montrer son expiation pour ses péchés pendant la Seconde Guerre mondiale, la Turquie semble être à des années-lumière de présenter des excuses pour ses pratiques génocidaires contre les Slaves et les Arméniens. Plus de huit millions de musulmans vivent dans les Balkans aujourd’hui, une population autochtone qui s’était autrefois convertie à l’islam, par opportunisme ou contrainte par la terreur. Largement plus de dix millions de musulmans résident dans les Etats de l’Union Européenne, la plupart étant des immigrants venus d’Afrique du Nord ou de Turquie. L’Allemagne seule compte trois millions de musulmans, principalement des Turcs et des Kurdes immigrés. Au Royaume-Uni, il y a plus de 2,5 millions de musulmans, surtout des immigrants du Pakistan et des pays arabes, et la France a un stupéfiant nombre de quatre millions de musulmans, principalement des immigrants d’Afrique du Nord et du Centre. Le libéralisme moderne prêche la tolérance raciale et la convivialité multiculturelle. Cependant, après les frappes terroristes contre les Etats-Unis, et après le bombardement US de l’Afghanistan, l’utopie multiculturelle commence à montrer son coté obscur. C’est une grande ironie de l’histoire que les nationaux-socialistes et les fascistes aient eu beaucoup de supporters et de volontaires militaires fervents dans les Balkans et au Moyen Orient pendant la Seconde Guerre mondiale. Rétrospectivement, le fasciste croate et dirigeant catholique Ante Pavelic semble être un vrai avocat du multiculturalisme libéral. Au centre de la Zagreb catholique, il fit construire une grande mosquée – dont les minarets furent abattus et détruits par les communistes yougoslaves victorieux en 1945.
Tomislav Sunic, auteur et ancien diplomate croate, réside en Europe. |