Qu'est-ce qu'une "identité" ? Ce à quoi on s'identifie, dont l'expression peut être, dans l'ordre métaphorique, un hymne, un fanion, un blason, une couleur... Diachroniquement, cette identité s'inscrit dans une histoire. Avouons que l'enquête devient difficile, surtout pour une civilisation comme celle de l'Europe, dont la naissance est source de débats, pour ne pas parler de son cours chaotique et contradictoire. On peut évidemment s'en tenir à l'archè, mais là aussi il est possible de déceler des racines diverses, sans compter celles qui sont devenues invisibles, toutefois peut-être aussi efficientes que l'hellénisme, la latinité païenne et le judéo-christianisme : je pense au substrat préhistorique ou protohistorique, qui n'était pas indo-européen. Quant à la couleur de la peau, les Iraniens, les Indiens, même du Nord, les Pakistanais etc. ne sont pas particulièrement blancs, bien qu'"Indo-européens". On peut bien sûr arguer du mélange des sangs pour expliquer la décadence de la Tradition, cependant c'est une explication de fainéant, voire d'imbécile, comme celle qui ne prendrait en considération que les facteurs socio-économiques.
Chacun de nous est-il si sûr de son « sang » ? Les Indo-européens eux-mêmes, faut-il le rappeler, ne sont pas autochtones (nés de cette terre). Ce sont des migrants. Notre civilisation européenne est issue de déplacements de populations et de croisements. Qui étaient donc les indigènes qui ont précédé Germains, Celtes, Latins, Doriens et Achéens ? Qui a peint Lascaux ? On dit que les Sibériens en sont une branche.
Mais il est vrai que la weltanschauung indo-européenne a marqué de façon indélébile notre destin. Non point qu’on ne retrouve chez d’autres peuples les trois fonctions, productive, guerrière et religieuse, mais chez nous, chacune possède une autonomie caractérisée, ce qui donne un champ élargie à l’exercice de la liberté, et aux valeurs inhérentes aux unes et aux autres, bien que la fonction religieuse subsume et légitime le tout. Il est indéniable aussi que le polythéisme, qui est la loyale et pieuse acceptation de l’ordre riche et varié du monde, a marqué son empreinte sur notre manière de voir et d’agir, même au sein du catholicisme. Le christianisme, bien qu’il ait imprégné profondément notre approche du monde en en accentuant la dimension pathétique et en livrant un mode original de plastique (fondé, par la médiation de l’incarnation, sur l’autonomie relative de l’art, qui a permis entre autre la géométrisation de l’espace, programmée par la Raison hellénique), est une régression, parce que monothéiste. A ce compte, la Réforme est une catastrophe pour l’Europe, car elle nie sa singularité pour la projeter dans la logique du désert, lequel met face à face l’individu nomade, déraciné, et un Dieu omnipotent, omniscient et arasant.
Certes, il est fort possible, et vraisemblable, que les gènes aient quelque chose à voir avec le destin de tel groupe ou de tel individu. Et qu'il existe des traits ethniques spécifiques. Seulement, outre qu’il faudrait spécifier ces traits distincts et en saisir l’importance dans le système génétique régissant l’ « identité » de tout un peuple, ils ne doivent pas être appréhendés de façon qualitative (tel peuple n'est pas supérieur en soi à un autre). Ce n'est pas parce qu'on a su utiliser la poudre qu'on ait à se prévaloir d'un génie écrasant celui des autres. D'autre part, à l'intérieur des groupes humains, il existe parfois des abîmes plus importants qu'entre les strates supérieures de groupes différents, ou entre leurs couches inférieures. Un guerrier achéen reconnaîtra la valeur d’un guerrier troyen, un paysan berbère aura des points communs avec un paysan périgourdin. Ce qui compte dans un corps civilisationnel, c'est de savoir quel ordre domine : le spirituel, le guerrier ou l'économique ? A ce titre, la marchandise, ce quatrième ordre qui a planté son coin dans l’édifice cosmique occidental, a égalisé et mis tout le monde d'accord. Par le vide.
Donc, dans les faits, si nous analysons objectivement notre société occidentale de façon synchronique, sans trop s'enivrer de mots relatifs aux "origines", les « racailles » des quartiers adhèrent davantage aux mirages d'une économie de consommation qu'à une volonté de mettre à bas cette même société. En ce moment, des associations américaines, aidées par leurs relais européens, font tout ce qu'elles peuvent pour séduire ces couches désoeuvrées (qui ne demandent que cela), en les invitant aux U.S.A., en proposant des stages, des voyages, des rencontres etc. Culturellement, les banlieues sont à l'heure yankee (rap, hip hop, tags, Mikaël Jackson etc.). La pratique de l'anglais est le "must". Le "look" transatlantiste aussi. Il est clair que l'ennemie principale est l'Amérique, et que ses soutiens sont à combattre pour cette raison. En ce qui concerne les pays du Tiers-Monde, on peut dresser le même constat : Dallas est le feuilleton préféré des masses arabes. Tout un programme !
J'ai donc peur qu'on oublie la proie pour l'ombre. L'islamisme est un fantasme, une création géopolitique, un instrument pour les U.S.A.. Tomber dans le piège, c'est donner raison aux Etats-uniens. Soyons assez forts pour ne pas donner dans la faiblesse de s’en prendre aux plus faibles. Le racisme est une facilité qui évite de penser.
Nous sommes bien placés, nous autres, révolutionnaires conservateurs, pour savoir quels dégâts ont pu créer certaines exactions dans la première moitié du vingtième siècle. Je ne juge personne, et j'ignore comment j'aurais réagi. Mais politiquement, la haine, aussi justifiée soit-elle parfois, est démoralisante. On ne peut fonder un programme, une stratégie, ni même une tactique sur elle. J'évoque ici les états-majors, non la base, qui est prise par la fureur du combat, et qui, par moment, n’a d’autre choix que se défendre. Mais il ne faut pas oublier que nous avons été quasiment interdits de place publique durant cinquante ans. D'autre part, faire croire que l'existence d'une population, même illégitimement installée dans nos terres, explique tous les maux dont nous sommes atteints, est un mensonge dans le pire des cas, une erreur dans le meilleur. Demandons-nous d'abord ce qui nous a poussés à nous perdre, nous, Européens, quels sont nos défauts qui nous ont conduits à cette laideur du monde, que tout provincial peut constater en prenant l’autoroute et en entrant (interminablement) dans nos grandes villes. Et, de grâce, commençons vraiment à nous aimer, à redécouvrir notre pays, nos paysages, nos villages, la chair même de cette civilisation dont nous sommes si fiers ! Son âme se situe humblement à l’étage de l’humus. Nul besoin de l’échelle de Jacob pour aller déranger le bon Dieu ! La familiarité avec les bois, les champs, les chemins réenracine. Que tout un chacun fasse l’expérience, même le citadin le plus contaminé : la dérive, un soir d’été, par une colline pleine de senteurs sauvages, le long de vieux murs rongés par la bouche noire de la forêt, les chênes hirsutes au buste roide, les frênes graciles, les noyers généreux, les hêtres longilignes, les noisetiers espiègles, et les ruisseaux frais, courant sous d’antiques ponts, débordant sur des marécages riches de vies diverses, les vaches rouges apaisées sous le soleil ombreux tapissé de moucherons, sur une herbe lasse, après que les battements des machines agricoles se sont éteints; et le chevreuil surpris, qui fait face un instant, saisi par votre vue, avant de s’enfoncer dans le taillis ; et l’oiseau lourd qui jaillit des fourrées et peine à prendre son essor, tandis que d’autres pépient encore avant d’être enveloppés par les ailes noires de la nuit, et la couleuvre, ou bien la vipère, traversant péniblement l’asphalte de la route, vulnérable et belle, et ces pentes, ces vallons, ces prés dessinés par les bosquets, les haies, les théories d’arbres et d’arbrisseaux, lopins variés, individualisés, qui chantent, murmurent, parlent ; ces esprits que l’on sent, autour de soi, comme les membres d’une famille innombrable et protectrice, intimes des saisons, du temps qui passe et s’enroule, vieux fantômes des Anciens, fugaces et se fondant avec les rochers, les fleurs, les branches feuillues, les troncs enracinés profondément : qui ne les a sentis, nous regardant, nous jaugeant, nous caressant le corps de leurs souffles sans âge ? Car la terre, sauvage ou transformée par le labeur de l’homme, la lande ou la fauve profondeur des forêts, le ravin, le pic, le nuage qui passe, biffé par les chefs brettés des arbres, aussi bien que le clocher d’église qui sourd du sol, avec sa pierre native, chaude et chaleureuse, tout est langage, message, lien. Là se trouve l’Europe, dans son terroir découpé en lieux, en pays, dans ses microcosmes, ses réduits aussi copieux que le ciel étoilé. La terre se travaille ou se contemple. Le labeur conduit au respect, à l’amour de la réalité, à l’acceptation de la mort ; la contemplation mène aux dieux, au recueillement, à la présence charnelle dans un monde plein. La luminosité de l’existence est ce ressourcement dans les rêves habités de ceux qui ont façonné le paysage européen. Notre identité ne vient pas du ciel : elle est incarnée là, pour ceux qui savent la retrouver. Ici, on se sent comme chez soi : on a retrouvé la demeure perdue, oubliée. L’oubli, c’est la faute. La destruction de la paysannerie européenne par la modernisation productiviste et marchande a été un désastre.
Défaisons ces mégapoles inhumaines, laides, infectes, et toute cette logosphère puante qui nous intoxique, la télé, ses déjections vespérales, ses pollutions visuelles et sonores, et apprenons à nous réunir et à aimer la terre à laquelle des générations ont donné son visage! Redécouvrons cette figure des hommes et des dieux, mêlés, habitants du même monde. C’est notre visage, notre figure, notre identité.