Une récente tribune publiée sur Lemonde.fr défend l'idée qu'une sortie de l'euro engendrerait un cataclysme financier pour les entreprises. Il y est en effet écrit que l'endettement des entreprises exploserait du fait du renchérissement de leur dette extérieure, conduisant ainsi à la pire crise financière que la planète ait connue.

Les auteurs donnent tout d'abord raison dans un premier temps à l'existence de la Lex monetae (« Prise de dette sur la sortie de l’euro »), c'est-à-dire au fait que la dette publique française serait reconvertie en nouvelle monnaie nationale en cas de sortie de la France de l'euro.
Puis, ils étudient l'endettement privé. Il est vrai que la dette privée des entreprises financières et non financières est peu souvent abordée.
Mais, contrairement à ce que soutiennent ces économistes, la part des dettes des entreprises financières et non-financières en droit étranger ou non-reconvertibles n'est pas de 70% mais de 33%, ce qui relativise beaucoup de choses. Ce résultat provient d'une longue étude réalisée par Jens Nordvig, économiste en chef de la section « taux de change » de la banque Nomura, essayant d'évaluer les risques financiers en cas de sortie ou dissolution de l'euro (Jens Nordvig , Nick Firoozye , « Rethinking the European monetary union », 2012).
PERTES DE 100 MILLIARDS D'EUROS
Ainsi, en faisant l'hypothèse que les contrats privés de droit étrangers ne sont pas re-libellés en nouvelle monnaie nationale par les juridictions étrangères, et en cas de dévaluation de 20%, les « pertes » pour les entreprises se monteraient à environ l'équivalent de 100 milliards d'euros (et non 200 comme annoncé).
Cependant, c'est faire fi de plusieurs éléments non-mentionnés :
1/ Le bilan d'une entreprise est composé d'un passif (la dette), mais également d'un actif (les créances). Or, si l'on s'attarde sur la position nette (actif –passif), on s'aperçoit qu'en ce qui concerne les contrats de dette et de créance en droit étranger, elle est largement positive (+13% du produit intérieur brut français selon J.Nordvig). En clair, d'après Jens Nordvig, si on sortait de l'euro, les pertes au passif des entreprises seraient plus que compensées par les gains à l'actif ! Voilà de quoi dissoudre la vision apocalyptique dessinée.
2/ Qui peut croire un seul instant qu'une telle sortie ne se ferait pas de manière négociée, ni concertée ? Comme si les autres pays accepteraient une perte sur leurs actifs sans prévoir d'aides ou de mécanisme de solidarité ? Qui peut penser encore, qu'en cas de sortie de la France, d'autres pays ne suivraient pas (Italie, Espagne, Grèce, Portugal…) voyant la première dévaluer et regagner en compétitivité ? Qui peut croire finalement que la monnaie unique existerait encore si la France et tous ces pays décidaient d'en sortir ? Auquel cas, l'euro, n'existant plus, la question deviendrait caduque au sens juridique du terme.
SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE
3/ Il est tout à fait possible que les tribunaux étrangers fassent jouer la Lex monetae(c'est d'ailleurs une obligation de droit international (loi de police) comme rappelé ici sur les contrats étrangers (petit exercice de fiction : si on sort de l’euro, la dette publique augmentera-t-elle ?).
4/ Que s'est-il passé lorsque l'euro s'est brusquement déprécié en début des années 2000 ? La France était-elle dans un trou noir, ou bien traversait-elle ses plus belles années économiques depuis des lustres ? Comment le Japon a-t-il pu survivre à la dépréciation de son yen de 25% en 2013 ? Comment le Royaume-Uni a-t-il fait pour rester debout après la dévaluation de sa monnaie de 20% après la crise ? Les entreprises ont-elles toutes été terrassées par le renchérissement de leurs dettes ? La réponse est évidemment non.
Bizarrement, ces éventualités ne sont pas abordées, pas plus que le fait, pour un pays retrouvant sa souveraineté monétaire, de disposer de sa banque centrale et d'ainsi limiter les prétendus dégâts engendrés par une dévaluation