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«Terrorisme» et terrorisme, selon que « vous serez puissant ou misérable »
Michel Porcheron |
Étranger
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Quand la justice US s'acharne avec succès sur du menu fretin, mais laisse filer un très gros poisson.
A première vue les deux affaires n'ont aucun rapport, elles ne sont pas liées.
D'un côté un individu peu recommandable, mais à qui a été offert une retraite tranquille, au milieu de nababs sur le retour, quelque part dans un lieu sûr et confortable en Floride, sous la protection de la police américaine et de quelques vieux complices de toujours, plutôt armés.
De l'autre un homme plutôt jeune, un Ecossais de 41 ans, ancien cadre dans l'informatique, qui tourne en rond dans un deux-pièces quelque part en Angleterre, surveillé de près par des policiers missionnés par Tony Blair et prêts à donner la charge, rendant toute retraite impossible.
Le nom du premier, réclamé par la justice du Venezuela et dont Cuba demande le procès, est désormais connu, le nom du second, hélas, ne circule que dans le cercle de quelques amis londoniens et d'un certain nombre de fanatiques du Net, hackers compris.
Le premier a toujours du sang sur les mains, le second avait des mains en or, celles d'un virtuose du clavier - d'ordinateur.
Ce n'est pas demain, on le sait que sera extradé l'homme de Miami, un tueur à gages aux innombrables contrats, grand délinquant notoire, proche de la famille Bush, père et fils. On ne le présente plus il s'agit bien sûr de Luis Posada Carriles, à lui seul un demi-siècle de crimes en tout genre.
L'extradition du second, un certain Gary McKinnon - vous connaissez ? - est déjà signée. Une extradition vers les Etats-Unis, qui s'annonce plus que périlleuse pour le discret sujet de sa Majesté.
«L'homme qui en savait trop »
Le génial McKinnon dont les « crimes » se résument à une pure et simple introduction intempestive dans un total de 97 ordinateurs, de l'armée américaine, de l'US Navy, de la Nasa, du Pentagone et de l'US Air Force entre février 2001 et mars 2002, risque en effet de se retrouver lui aussi dans un lieu sûr, mais dans le genre prison de haute sécurité américaine, Guantanamo ou une autre, le tout assorti d'une fortune à payer (1,75 million de dollars) au nom des « dégâts » (estimés à 700.000 dollars), commis au détriment de la sécurité américaine.
Au dessus de la tête de McKinnon pèse une épée de Damoclès de 40 à 70 années de prison ferme (il est pour le moment prévenu libre dans son pays) suffisamment de temps pour se désintoxiquer du piratage et des cigarettes qui font rire... Les autorités anglaises, particulièrement prévoyantes, lui ont interdit d'ores et déjà de faire une demande de passeport et .d'avoir accès à Internet, donc au courrier électronique (1).
Avant de remonter à la genèse de cette affaire de « terrorisme », selon la terminologie américaine, affirmons que Gary McKinnon est surtout « coupable » d'avoir roulé dans la farine les autorités des Etats - Unis jusqu'au « sommet » si on peut dire, La Maison Blanche et son locataire en fin de mandat G.W.Bush.
Sans jamais la moindre intention de nuire, comme il l'a toujours dit devant ses juges britanniques, McKinnon a révélé, sans le vouloir, aux yeux du monde, déjà écarquillés par la facilité avec laquelle des terroristes- kamikazes ont perpétré les attentats du11/9/2001, un défaut de la cuirasse, le talon d'Achille de la « forteresse » informatique du plus puissant pays du monde, dans laquelle on entre comme dans du beurre de cacahouète.
Sonné par ce crime de lèse-majesté - pourtant assuré que les systèmes informatiques en question avaient très vite retrouvé leur configuration normale, grâce à quelques experts- plombiers qui ont rapidement colmaté les fuites - c'est un M. Bush profondément vexé, on le serait pour moins, qui a demandé à son ami de toujours M. Blair, aujourd'hui sur le départ, de faire donner ses plus fins limiers pour localiser en plein Londres un « terroriste » qui avait bluffé les Etats-Unis d'Amérique. Le président Bush a tout loisir d'impliquer l'armée et l'opinion de son pays dans toute une série de mensonges bien connus, mais qu'un sujet de sa Majesté vienne démontrer les failles et faiblesses des systèmes informatiques de l´armée US... ça non, c'est inadmissible !
Scotland Yard n'a eu aucun mal à découvrir en 2002 « la cache » et l'ordinateur de Gary McKinnon, qui n'a opposé aucune résistance aux policiers sur la piste de l'auteur du casse informatique du siècle. Présenté devant la justice, informé de son inculpation par la justice fédérale américaine de huit chefs d'accusation pour crimes commis dans 14 Etats, le prévenu a fait appel à plusieurs reprises, le dernier devant la Haute Cour ayant été rejeté en avril dernier. Non seulement il reconnait les faits, sans en tirer la moindre gloire, et demande à être jugé dans son pays. L'accusé expliquait récemment que son extradition n'aurait lieu que si les USA pouvaient démontrer que son acte méritait « au pire un an de prison dans les deux pays ». De plus, pour mériter cette sentence, les dégâts occasionnés devaient dépasser le montant de 5000 $, ce qui est loin d'être le cas selon lui.
A ce niveau de cette histoire, on peut, sans penser à mal, se poser deux questions : pourquoi d'abord MM. Bush, le père et le fils, n'ont pas manifesté le même empressement pour faire intervenir les policiers de leur pays qui n'ont jamais rien ignoré depuis quelques dizaines d'années, des activités et des faux refuges du dénommé Posada Carriles, authentique terroriste, selon la terminologie du droit international ?
Ce Posada Carriles, né à Cuba, naturalisé vénézuélien depuis une trentaine d'années, est de fait, un (mauvais) sujet américain, puisqu'il est une créature, une progéniture, du clan Bush et compagnie, CIA comprise.
Manifestement, craignant le gros poisson - « l'homme qui en savait trop » (pardon Alfred) - la justice américaine a jeté son dévolu sur du menu fretin, cela écrit sans vouloir froisser Gary McKinnon.
La terreur, à-Dieu-vat, mais que Dieu nous garde du déshonneur
Imaginons maintenant que Gary McKinnon au lieu de s'en prendre lâchement aux intérêts supérieurs ( !) des Etats- Unis d'Amérique, ait mis tout son talent d'informaticien de génie, depuis son petit bureau londonien de Bounds Green, à déverrouiller avec succès les portes informatiques des forces armées cubaines, de réseaux publics de l'Ile et à accéder par exemple jusqu'à l'ordinateur personnel du président Fidel Castro.
Que serait-il advenu du pirate britannique McKinnon ? Protégé par de gros bras américains, mis sous bonne escorte jusqu'à un tarmac secret, invité à rejoindre en première classe l'éden américain, le « héros national » Gary McKinnon, là c'est Duncan Campbell du Guardian (12 mai 2007) qui parle, « serait actuellement un train de profiter de la liberté qu'offre la ville de Miami et d'un voyage vers le nord, jusqu'à Disney World où il pourrait, pourquoi pas, discuter de la justice américaine avec Mickey Mouse ».
Toujours est-il que, dans des registres bien différents, le scandale Posada Carriles et le dossier McKinnon, sont deux « papas calientes » (pommes de terre chaudes) brûlante plutôt au sujet du premier, très embarrassante en ce qui concerne le second.
Dans son article du Guardian, Campbell affirme dès son titre : « Une récente affaire laisse penser qu'à la guerre anti-terreur a succédé la guerre anti-déshonneur » (A récent case suggests that the war on terror has been superseded by the war on embarrassment).
Embarras américain flagrant dans le cas de McKinnon puisque celui-ci est en stand-by, accusé en attente, dans le couloir de l'aéroport le plus proche de Londres. Le ministre de l'Intérieur John Reid a déjà dit oui en juillet 2006 à la demande d'extradition des Etats-Unis du hacker vers la Virginie, où aurait lieu son procès. La Chambre des lords, la plus haute instance judiciaire du Royaume Uni doit encore se prononcer. Sinon, comme l'a dit un procureur américain, Gary McKinnon sera « cuit » (fry). « Cuit » sur la chaise électrique ? L'idée n'a pas manqué de vriller la tête de l'Ecossais, convaincu, depuis que le mot magique 11/9 a été prononcé à son sujet, que la justice américaine ne va pas se mettre aujourd'hui à l'absoudre, en raison par exemple d'un vice de forme dans la procédure.
Dans l'immédiat - en se basant strictement sur les décisions prises par la justice américaine - faire exploser en plein vol un avion avec 73 personnes à bord est une affaire manifestement moins sérieuse que de déshonorer l'institution de défense américaine.
La justice américaine est ainsi une justice ( ?) à géométrie variable, en fonction de ses clients, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » pour reprendre une expression célèbre du grand classique français Jean de La Fontaine (Les Animaux malades de la peste, VII) (2)
La « justice » US s'acharne sur McKinnon depuis des années
Dans le dossier McKinnon, de toute évidence, l'embarras US est énorme.
Certes les autorités américaines ne sont plus à une ignominie près, mais peuvent-elles, toujours aux yeux du monde, jeter au fond d'un cachot comme « terroriste » un petit délinquant informaticien, au moment où elles couvrent avec tout leur arsenal politique, judiciaire et policier, un nervi, qui, dans n'importe quel autre pays, serait déjà condamné en bonne et due forme et enfermé à triple tour dans une cellule de haute sécurité ?
La « justice américaine » serait à la recherche d'une solution « à l'amiable » avec son homologue britannique pour ne pas perdre la face, ou du moins ce qu'il en reste. Selon un des avocats du hacker, de fortes pressions ont été exercées sur son client. En échange de sa « coopération » il verrait sa peine réduite (!) et pourrait finir de la purger dans une prison britannique.En attendant voilà bientôt 5 ans que la justice américaine s'acharne sur McKinnon, qui a déjà du être hospitalisé à force d'être mis sur le grill. Comme un avant-goût.
De plus, la justice britannique fait de toute évidence traîner les choses en longueur. La décision sur le dernier appel de McKinnon était attendue depuis le mois de février. La Chambre des lords n'a pas fait savoir à quelle date elle statuerait sur son cas.
L'Ecossais est au cour d'une affaire judiciaire qui, au-delà de son impact dans le cyber-univers, pose la question de la subordination de la justice britannique aux intérêts américains. « Je ne crois pas en l'indépendance de ce gouvernement vis-à-vis des Etats-Unis », a-t-il dit. Un seul argument milite en faveur de l'informaticien : il n'a jamais mené la moindre attaque informatique au Royaume-Uni.
« Notons que sans la pression du gouvernement américain pour récupérer McKinnon, il y a fort à parier que la justice britannique aurait abandonné les poursuites », a estimé l'expert français Arnaud Dimberton pour le site Silicon.fr.
Il ajoute que « le texte de loi britannique sur l'extradition de 2003 a été imposé après les attentats du 11 septembre 2001. Cette loi n'a pas été ratifiée par le gouvernement américain. Du coup, si les Etats-Unis peuvent demander l'extradition de McKinnon, le gouvernement britannique ne peut pas obtenir l'extradition d'un américain. Si la justice anglaise décide d'extrader McKinnon, il y a fort à parier que les langues vont jaser en particulier sur l'assujettissement de la Grande-Bretagne vis-à-vis des USA ».
On voit mal un jury américain, dans le contexte actuel, faire preuve de tolérance ou de magnanimité. Car son verdict ferait de plus jurisprudence. Quelques experts avancent une solution hybride : un procès rapide, une lourde condamnation, mais assorti de sursis à l´exécution, soumis à une litanie de clauses conditionnelles (3).
Après ou avant, il restera à régler le cas Posada Carriles, si Dieu lui prête à vie.
(1) consulter le site (en anglais) http://freegary.org.uk/
Contacts : [email protected] Pour l'heure cet informaticien de haut niveau subit la plus sévère des frustrations. En bas de page du site on lit en effet: NB- Gary McKinnon is « not allowed to use any computer connected to the Internet », as part his current bail conditions.
(2)- Fable de 64 vers, dont la morale est : (.) On cria haro sur le baudet/ Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue/ Qu'il fallait dévouer ce maudit animal/ Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal/Sa peccadille fut jugée un cas pendable/ Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !/ Rien que la mort n'était capable/ D'expier son forfait : on le lui fit bien voir/ Selon que vous serez puissant ou misérable/ Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
(3) - Pour tenter de terminer sur une note légère, signalons que le prince Michael Bates s'est déclaré disposé à offrir un asile à Gary McKinnon sur son « île », Sealand, située dans les eaux internationales du plateau continental de la mer du Nord, en réalité une ancienne plate-forme militaire de la Royal Navy, appelée Fort Roughs. Elle se trouve à 10 km des côtes de Suffolk, en Angleterre. Michael Bates et sa famille, détenteurs de la principauté de Sealand, un État auto-proclamé de 550 m2 habitables, reconnu par aucun autre l'occupent depuis 1967. Cependant pour Michael Bates, le Sealand est un État souverain légitime de jure.
D'après Wikipedia, le 25 décembre 1966, le père du prince actuel, Roy Bates, ancien major de l'armée britannique et vétéran de la Seconde Guerre mondiale, prenait possession de la plate-forme, à bord de son bateau de pêche et en compagnie de quelques amis. Un tribunal de l'Essex leur donne par la suite raison contre le gouvernement britannique. Récemment, Sealand fut convoitée par le site web The Pirate Bay qui lançait l'initiative BuySealand.com afin de récolter 2.000.000 USD pour acheter la plateforme et y installer ses serveurs pirates. Refus catégorique du prince Bates qui aujourd'hui veut sauver le pirate McKinnon. Prince Michael Bates ? Ca reste à prouver, mais sans aucun doute gentleman.
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