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UNESCO : Un Américain (de moins) à Paris
Michel Porcheron |
Étranger
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L'UNESCO et son siège à Paris, le Palais de l'UNESCO, à quelques encablures de l'Ecole Militaire et de la Tour Eiffel, sont généralement calmes. On loue habituellement la respectabilité qui y règne. Il est rare que des « affaires » agitent ses kilomètres de couloirs, encore plus rare qu'elles sortent de ses murs. Or depuis le 14 mars dernier, on y parle de « onde de choc », de « tourmente » et de « péril ». L'actuel directeur général, le Japonais Koïchiro Matsuura, qui a succédé en 1999 à l'Espagnol Federico Mayor, va devoir monter en première ligne pour défendre l'honorable maison.
Le Sous- Directeur général de l'UNESCO pour l'Education, le plus haut fonctionnaire américain (l'ambassadeur des Etats-Unis étant, depuis 2004, Mme Louise Oliver) au sein de cette agence de l'ONU, en poste depuis deux ans à peine, a remis en effet sa démission ce 14 mars. Un rapport interne l'accusait personnellement, dénonçant des méthodes de travail importées de son pays et incompatibles avec le fonctionnement de l'Unesco.
Quand le rapport interne a commencé, à la fin de l'année dernière, à créer les premiers remous, l'épouse du président des Etats-Unis, Mme Laura Bush en personne avait tenu à s'entretenir à Paris avec M. Matsuura. Trop tard, le sort du Sous- Directeur général, l'Américain M. Peter Smith, 62 ans, ex élu républicain au Congrès était scellé. Il était acculé à la démission.
« Il y a deux ans, l´arrivée de ce protégé de Bush marquait le retour des Etats-Unis à l´Unesco, après dix-neuf années d'absence », (2) a souligné le journaliste français Vincent Merlot pour l'hebdomadaire Le Point (22 mars 2007) qui, sans ironie, rappelait alors « sa mission : restructurer le secteur de l´éducation, en piteux état ».
Deux ans plus tard, M. Peter Smith créait un scandale financier sans précédent, en achetant les conseils d´une société de Chicago, Navigant Consulting, pour 2 145 626 dollars ! Un cabinet qui n'a pas la moindre compétence en matière d'éducation.et qui n'a pas de bureau parisien. A l'Unesco, on cherchait toujours en avril les détails des prestations correspondant à cette somme faramineuse. Aucun rapport exhaustif sur les prestations n'a été découvert.
Ces conclusions sont d'autant plus accablantes qu'elles ne relèvent pas de rumeurs, mais sont extraites d'un rapport officiel de la Cour des Comptes (3) - qui depuis deux ans a été désignée Commissaire aux comptes de l'Unesco. Son audit commandé en octobre par le Conseil exécutif de l'UNESCO devait être rendu public en avril, mais il est depuis fin mars disponible sur le site lepoint.fr.
C'est le magazine économique français Capital qui a révélé cette affaire en début d'année, affirmant notamment que « les sept contrats signés avec Navigant entre juin 2005 et août 2006, pour le coquet montant de 2,14 millions de dollars, l'ont été sans appel d'offres, en violation des règles de l'UNESCO ».«Aucune mise en concurrence », aucun devis, «aucun échange et aucune négociation » préalables, au risque d´un « surcoût »... Si bien que cette société «a bénéficié d´un traitement de faveur». Pour ne rien arranger, certaines recommandations de Navigant Consulting étaient pour le moins problématiques : diminution du nombre des divisions, augmentation des services administratifs, mutations injustifiées, marginalisation de l'alphabétisation. « Apparemment avec l'aval de Koïchiro Matsuura », a considéré le site afrique-asie.fr. Sans parler des voyages à ou de Chicago « qui ont fait exploser le budget "déplacements" ». Depuis octobre « les services ont reçu comme consigne de garder le silence », affirme afrique-asie. Ce que confirme le site de l'Unesco lui-même. Il n'y aucune affaire Smith. Capital révèle une autre affaire. M. Peter Smith aurait pris 200 000 dollars sur son budget alphabétisation pour financer, le 18 septembre dernier à New York, une conférence d'une demi-journée organisée par la première dame des États-Unis, Laura Bush. Interrogé par afrique-asie.fr, M. Saturnino Muñoz Gomez, directeur de l'information de l'Unesco, a démenti, mais sans convaincre : « Nous avons essayé de voir d'où sortait cette histoire mais nous n'avons rien trouvé (.) En réalité, la conférence a été organisée à la Maison-Blanche et les États-Unis l'ont financée en intégralité. La seule chose que nous ayons payée sont les frais de mission de la dizaine d'experts que nous avons envoyés ».
Les raisons de M. Smith « n'apparaissent pas clairement», dit le rapport sinon par ce que la Cour qualifie avec pudeur d' « un contact personnel établi avant sa prise de fonctions» par Smith lui-même avec une certaine Letitia Chambers, qui sera chargée des études. Selon le site desourcesures.com, Smith est également accusé d´avoir muté des experts sans explication, d'avoir réduit les département logistiques au profit des services administratifs, d´avoir touché de l´argent du privé depuis qu´il est en poste. Peter Smith est un récidiviste. Quand il présidait la petite université de Monterey en Californie, il avait déjà versé 2,5 millions de dollars à trois salariés qui l´accusaient de les avoir rétrogradés pour raisons raciales. L'affaire suit son cours aux Etats-Unis.
Les méthodes américaines n'ont pas réussi à contaminer l'UNESCO
M. Smith a un nom aussi courant que ces méthodes made in USA et que le curriculum vitae de cet Américain devenu haut fonctionnaire onusien. Selon Vincent Merlot, il n'avait aucune expérience internationale, il ne parlait pas le français. Mais il avait pour lui son cursus dans les universités américaines. C'est un « adepte du franc-parler et du management à l´américaine ». Sur le site officiel de l'Unesco, on lit, dans son CV, que, diplômé de Princeton et de Harvard, il a « notamment occupé les fonctions prestigieuses de président fondateur de la State University de Californie - Monterey Bay (1994) et de doyen de la Graduate School of Education and Human Development à l'Université George Washington (1991). Peter Smith a également été membre du Congrès américain et gouverneur adjoint de l'état du Vermont ». Il accorde « la plus haute importance aux partenariats et à la répartition claire des rôles des partenaires de l'EPT » (Education pour Tous). Peter Smith donne également « une grande priorité à la mobilisation de fonds supplémentaires ». Manifestement, il s'y est mal pris. Pour le site en français desourcesure, M. Smith est « un dangereux incompétent de plus, soit un incompétent de plus mais malhonnête en plus ».
Face à tant d'accusations, M. Smith a mis en place un système de défense quelque peu rudimentaire et prévisible, se faisant passer pour une victime de l'hostilité « d'un petit groupe ouvrant pour tuer les réformes, en [le] discréditant et en diabolisant l´Amérique». Dans un courrier, il a motivé sa démission par un « manque de soutien» devant une « très mauvaise ambiance de travail», se disant même victime de «menaces de mort». Dont la justice a été saisie, croit savoir Le Point. Ce qui ne l'empêche pas de se déclarer «très satisfait du travail rendu», en évoquant « d´intenses activités et travaux préparatoires ». Pour Le Point « L'UNESCO se retrouve au cour de la tourmente, d'autant que la haute hiérarchie ne sort pas indemne. Le directeur général, Koïchiro Matsuura, mesure le péril. Disant accepter toutes les observations du rapport, il s'engage à suivre ses recommandations. Au Conseil exécutif, on peut s´attendre à une réaction de la Norvège et du Danemark, qui ne plaisantent guère avec l´éthique, quand ils apprendront que près de 400 000 euros versés à Navigant provenaient de leurs contributions hors budget ».
De toute évidence, M. Peter Smith a été très vraisemblablement invité à démissionner et à quitter Paris. « Il y avait très peu de chances qu'il soit licencié », a assuré un de ses collaborateurs. Toujours selon des sources internes d'afrique-asie, « le directeur général n'allait pas oser le virer car il est américain. Quant au Conseil exécutif, soit il va essayer de couvrir la magouille, soit il va faire respecter l'éthique de l'UNESCO ».
La date de la démission (le 14 mars) et du retour aux Etats-Unis du Sous- Directeur général de l'Unesco pour l'Education tombe mal. La Convention (promue par la France) de l'Unesco sur « la protection et la promotion des expressions culturelles », est entrée en vigueur le dimanche 18 mars 2007, et ce malgré l'opposition des Etats-Unis. Selon Vincent Noce pour le quotidien Libération (17 mars), « c´est un succès pour la France et le Canada, qui en sont à l´origine : jamais une convention culturelle n´est devenue effective aussi vite. Trente ratifications étaient nécessaires. Elle en a obtenu cinquante-deux, dont celle du Brésil, de la Chine, de l´Afrique du Sud et de l´Union européenne, une «première» pour cette entité »
Les mesures contenues dans la Convention - le droit des Etats à «protéger et promouvoir» les pratiques et services culturels par une «multiplicité de moyens» - ne sont pas du goût des autorités américains, qui les ont dénoncées comme, d'après Libération, « faussant la concurrence et le libre accès de leur industrie du cinéma et des loisirs. Mais, pour la convention, un musée ou un théâtre ne sont pas des magasins ». «Porteurs d´identité et de sens», les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres et ne devraient pas tomber sous la coupe de l´OMC. Cet événement, conclut Vincent Noce, « sanctionne l´isolement des Etats-Unis au sein de l´UNESCO, où ils sont revenus après vingt ans d´absence. Coïncidence, elle intervient alors que le sous-directeur général chargé de l´éducation Peter Smith, un protégé de Bush, a été conduit à la démission après une série d´irrégularités dans des passations de contrats ».
Cette affaire aura-t-elle des suites ? Ou est-ce que l'UNESCO considèrera-t-elle qu'elle a trouvé sa conclusion avec la démission et le départ de M. Smith ? Le site en espagnol aporrea.org de son côté estime « qu'il revient maintenant à tous les Etats Membres de l'Unesco d'analyser ce scandaleux cas de corruption administrative, d'arrêter une décision et d'exiger les sanctions correspondantes, car la nature et l'image de cette organisation ont été affectées sans scrupule, en permettant que ses propres règles soient transgressées, au point de faire chanceler les principes les plus sacrés de l'UNESCO ».
Enfin, selon une dépêche de EFE, le débat au sein du Conseil exécutif de l'UNESCO s'instaurera officiellement dans la seconde quinzaine du mois d'avril, après l'audition prévue de la Cour des Comptes.
(1)- UNESCO, créée en 1945 : Organisation des N.U pour l'éducation, la science et la culture (UN Educational, Scientific and Cultural Organization). 192 membres et six pays membres associés. Six langues officielles : l'anglais, l'arabe, le chinois, l'espagnol, le français et le russe.
(2)- Les Etats-Unis avaient quitté l'Unesco en 1984 (en restant observateurs) accusant l'organisation, alors dirigé (1974-1987) par le Sénégalais Amadou Mahtar M'Bow, de « dérive idéologique et de politisation excessive ».
(3)- La Cour des Comptes (1807) qui fait partie des Grands Corps de l'Etat, est chargée du contrôle général a posteriori des finances publiques, des administrations et dénonce les errements préjudiciables (www.ccomptes.fr). Elle remet chaque année un rapport au Président de la République et au Parlement. Le président actuel de la CdC est M. Philippe Séguin, ancien ministre et ancien Président de l'Assemblée nationale.
(4)- Selon le site afrique-asie.fr, citant l'une de ses sources dans l'organisation, les auteurs du premier rapport (interne) reprochent à Koïchiro Matsuura « d'avoir voulu défaire le principe d'égalité des cultures et de répartition du pouvoir au sein des instances dirigeantes. L'UNESCO est une organisation politique et idéologique, il faut donc un équilibre du pouvoir. Or, les pays du Sud n'ont pas de pouvoir. Tout ça parce que le directeur général était et continue d'être un ambassadeur qui incarne les rapports de force politiques, au lieu de symboliser, en tant de directeur général, les idéaux et les missions de l'Unesco. Plusieurs détracteurs accusent en effet le directeur général actuel d'adopter une politique plus pro-américaine que tiers-mondiste, sous prétexte que les États-Unis et le Japon financent à eux deux environ la moitié du budget de l'organisation ». |
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