Tout le monde connaît le dicton latin : « In Vino veritas ». Certes, notre esprit français, et, pourquoi pas, notre sensibilité catholique, y verraient une sage évaluation de ce divin breuvage qui, au choix, selon que l’on penche plutôt vers le paganisme ou vers le christianisme, révèle la puissance et la saveur de la terre alliée avec le soleil, ou bien le sang du Sauveur.
D’un autre côté, cette devise peut prendre une tout autre connotation. L’ivresse supprime maintes inhibitions, et permet donc de révéler ce que l’on est, ce que l’on sent, ce que l’on pense vraiment. Cette vérité, au lieu d’être celle des éléments ou du dieu, devient celle du locuteur. C’est pourquoi, en passant, les Germains s’enivraient-ils, de bière cette fois-là, avant de délibérer sérieusement sur les affaires politiques : le mensonge n’était en effet plus possible, on se mettait nu devant l’assemblée des chefs.
L’Amérique est ce vin. Ô certes, pas un vin de chez nous, autrement plus savoureux, mais un breuvage qui porte à la tête de ceux qui en abusent.
Prenez par exemple la dernière déclaration de Bruno Gollnisch au sujet de l’émergence d’un nouveau mouvement, qui se nomme Tea Party, en souvenir de l’insurrection fondatrice de la République américaine contre la puissance tutélaire anglaise. Les termes qu’emploie M. Gollnisch ne manquent pas d’accent épique : il s’agirait pour lui de « manifestations spontanées d’électeurs », d’ « une véritable volonté populaire de retour aux valeurs traditionnelles », d’ « une insurrection pacifique contre le fiscalisme et la bureaucratie », de la lutte de « l’Amérique profonde » contre les « milieux financiers de New York », c’est--à-dire « l’establishment ». Et d’inscrire, avec enthousiasme, « cette prise en main d’[un tel] destin » dans un vaste mouvement « des peuples en lutte pour la défense de leurs identités culturelles, économiques, politiques et spirituelles ».
La connaissance que l’on a désormais des financements occultes de ce mouvement qui se dit populaire permet de refroidir cette rhétorique populiste fallacieuse. On sait par exemple que les milliardaires Rupert Murdoch, David et Charles Koch l’ont financé, ainsi que Bill Gates, Warren Buffett et David Koch, membre de la John Birsh Society, groupe conservateur, et fontadeur de l’American for Prosperity Foundation. On trouverait certainement mieux pour incarner l’Amérique d’en bas.
Il semble évident que le Tea Party est instrumentalisé pour remettre les Républicains en selle. Et lorsqu’on se rappelle les dégâts causés par la politique économique qui a été la leur (et qu’Obama n’a pas changée fondamentalement), qui a été la cause de la ruine de dizaines de millions d’Américains et a entraîné la crise que l’on sait, on est en droit de se poser des questions et de douter de l’authenticité d’un mouvement qu’on voudrait « insurrectionnel ».
Que signifie une « insurrection » pour l’Amérique ? Il ne s’agit pas bien sûr des traditions révolutionnaires européennes, qui tendaient à resserrer les liens sociétaux face au pouvoir dissolvant de l’argent. L’insurrection à l’américaine a ses fondements dans une attitude individualiste face au monde et à la société. Aide-toi et le Ciel t’aidera. D’autre part, le succès matériel en est le signe d’élection. On a raison d’être égoïste, nonobstant des bouffées hystériques et dégoulinantes d’altruisme évangélique, parce que Dieu le veut. L’insurrection à l’américaine a ses sources dans les mouvements anabaptistes, calvinistes, religieux, qui ont secoué la Vieille Europe et ont tenté de la détruire. Cette « insurrection » américaine est l’antithèse de l’esprit européen, qui est une tentative utopique de retour à une société organique.
Le reaganisme, dont se réclame maintenant une certaine « droite de la droite », qui ne se sépare du sarkozysme dur que par l’épaisseur d’un bulletin de vote, sous couvert d’un conservatisme qui fait illusion aux européens enivrés par les mots, poursuit et achève la destruction économique, écologique, identitaire du monde, par un libéralisme stupide, un laisser-faire criminel et une politique impérialiste criminelle. L’Amérique ne peut pas faire autre chose, car ce délire, issu des Lumières, est inscrit dans ses gênes.
Le peuple d’en bas, de France et d’autres pays européens, ne veut plus de ces discours antifiscalistes, antibureaucratiques, individualistes, inégalitaires, qui fleurent bon une vieille droite obnubilée par l’esprit capitalistique. Si insurrection il doit y avoir, c’est aussi bien contre la bêtise socialiste que contre celle du capitalisme, les deux étant les fruits empoisonnés d’une certaine modernité, dont on voit les dégâts. Il est donc périlleux de vouloir importer, comme Disneyland, le coca cola et le nouveau management, les concepts et la rhétorique outre atlantique. Nous avons notre spécificité, nos traditions, notre mémoire. Le mouvement d’indépendance doit se servir de ce qui constitue l’originalité de notre Histoire, qui est un mélange d’initiatives individuelles, de gestion raisonnée de l’économie par des interventions étatique, de redistribution juste des richesses nationales, et de la protection des compatriotes les plus faibles, et enfin de références constantes à notre identité. De l’Empire romain à la République, en passant par le catholicisme, telle a été notre destin.