Moscou : le péril orange-brun
Moscou a été, ces dernières semaines, le lieu d’affrontements inter-ethniques beaucoup moins spontanés qu’ils ont pu le paraître.
Pour comprendre ce qui s’est passé, il convient de revoir tout d’abord la situation.
Le 6 décembre dernier, une rixe entre supporters de clubs de football, oppose quelques jeunes moscovites fans du Spartak à d’autres jeunes issus du Caucase. On relève un mort, un moscovite. La police qui est intervenue rapidement interpelle six personnes. Après enquête, elle identifie le meurtrier comme étant un jeune Caucasien. Dans la soirée, des supporters du Spartak en colère envahissent la Perspective Leningradski en scandant des slogans nationalistes. Le 11 décembre, après un cortège funèbre pacifique, les mêmes supporters organisent un pogrom sur la Place du Manège, passant à tabac tous ceux dont l’apparence ne leur parait pas russe. Le 15, une manifestation est organisée à la station de métro Smolenskaïa avec comme but annoncé d’aller en découdre avec les Caucasiens qui fréquentent en nombre le centre commercial Evropeïski proche. Si le 11 la police anti-émeute avait été débordée, le 15 elle ne sera pas surprise et saura gérer au mieux la situation.
Une fois les faits connus, voyons comment tout s’est déroulé en coulisse. Le quotidien Kommersant dans sa relation des événement met l’accent sur l’usage de twitter et des réseaux sociaux pour organiser ces manifestations.
Mieux que cela, on dispose, grâce à Ilia Kramnik, un analyste militaire de Ria Novosti, d’une synthèse sur leur utilisation. Il n’est pas inutile de la citer :
« Les événements de la semaine dernière ont montré l’extrême vulnérabilité de la société actuelle face aux fausses informations. Les affrontements ethniques à Moscou et certaines autres villes ont été principalement provoqués par de nombreux messages de provocation.
Les événements de la place du Manège ont été le point de départ d’une avalanche informationnelle qui s’est abattue sur les blogs et les forums. Le même jour, sur l’un des forums où viennent généralement discuter les ressortissants caucasiens, le fameux message est apparu commençant par « Salam, chers frères et chères sœurs !… », dont l’auteur anonyme a invité les Caucasiens à s’armer et se rassembler dans la soirée du 15 décembre près du centre commercial Evropeïsky à Moscou, afin de « décider de la suite des événements sur place. »
Ce message a été immédiatement suivi par de nombreux autres, dont les auteurs poussaient directement à commettre des crimes, en proposant de se réunir par petits groupes avec des armes blanches afin d’attaquer les passants dans le métro.
C’était une provocation évidente : l’auteur du message initial a mis dans la liste [accessible à tous] des « destinataires » de prétendus « dirigeants » pour « assurer la coordination » des principales ethnies caucasiennes. En vérifiant, la majorité de ces noms étaient soit des noms de personnes très connues, soit l’inverse, des combinaisons aléatoires de noms et de prénoms. (…) Pour le lecteur non averti, notamment convaincu de la russophobie pernicieuse répandue dans l’ensemble du Caucase, le document sonnait vrai, et c’est là que la seconde détonation a suivi. En même temps, des appels à se rassembler pour faire payer les Caucasiens sont apparus sur plusieurs forums russes. Ils n’ont pas tous été intentionnellement mis en ligne par des provocateurs, seuls les premiers messages auraient joué ce rôle en tombant comme un flambeau sur l’herbe arrosée avec de l’essence.
L’avalanche d’informations s’est poursuivie en prenant de l’ampleur : l’information transmise revenait sous une forme exagérée par rapport au message initial des diffuseurs qui n’étant pas forcément des provocateurs convaincus recevaient des « confirmations » de leur « légitimité » et contribuaient à l’activité informationnelle. A cette étape, l’avalanche a même touché des personnes ne possédant pas internet.
(…) Les événements sur la place de Kiev ont ajouté de l’huile dans le feu : des provocateurs « travaillaient » sur la place en faisant le salut nazi devant les caméras. »
Et Ilia Kramnik de conclure « l’ensemble a incité à parler de guerre de l’information contre la société russe ».
L’excellent site Zebra Station Polaire (http://zebrastationpolaire.over-blog.com) complète utilement l’analyse d’Ilia Kramnik en nous révélant qui sont les provocateurs et qui sont ceux qui ont le plus attisé les flammes et appelé les jeunes Moscovites à « casser du Caucasien ».
Il s’agit de deux groupuscules que l’on pourrait classer à l’extrême droite identitaire : le Mouvement contre l’immigration illégale et l’Alliance nationale démocratique. Du premier, j’ai eu l’occasion de parler à de nombreuses reprises tant sur ce site que dans les colonnes de Flash. Rappelons que ce groupe défend un nationalisme ethnique qui s’oppose au nationalisme d’État de la Fédération de Russie. C’est ainsi que les membres du Mouvement contre l’immigration illégale ne luttent pas contre une immigration africaine ou asiatique mais contre les mouvements de population internes à la Fédération de Russie. Ainsi, ils considèrent les ressortissants des républiques du Caucase ou de Sibérie comme des « immigrés ». Une situation aussi absurde que si des nationalistes français organisaient un mouvement d’opinion pour lutter contre l’immigration corse, flamande, basque ou alsacienne à Paris !
Les partisans du Nouvel ordre mondial ont bien compris l’intérêt de ce groupe qui est de nature à créer des divisions et des affrontements au sein de la Russie et donc de l’affaiblir. Cela fait que ce mouvement, très provocateur dans son apparence et ses discours, bénéficie de soutiens qui semblent, à premier abord, paradoxaux. A Moscou, c’est un secret de polichinelle que l’oligarque exilé en Grande-Bretagne, Boris Berezovsky, le finance en sous main. Il est aussi signifiant que le maximum de battage médiatique autour de ses activités soit fait par la chaîne REN TV, une télévision privée d’orientation libérale, ouvertement anti-Poutine et anti-kremlin, dont le capital est, comme par hasard, majoritairement non-russe.
L’Alliance nationale démocratique, pour sa part, a un programme des plus « sympathique » et fort similaire à celui de nos « identitaires » français : support total à l’État d’ Israël, revendication de l’intégration de la Russie dans l’OTAN, demande d’une révision des accords bilatéraux Russo-Chinois, exigence d’une fragmentation de la Fédération de Russie en plusieurs républiques « ethniques » et de l’accord d’une large autonomie aux régions, références à une économie ultra-libérale.
Ces deux groupes de prétendus nationalistes russes font parti de l’Union civique russe, une organisation- parapluie qui, naturellement, a apporté son soutien aux récents troubles qui ont suivi la proclamation des résultats de l’élection en Biélorussie à Minsk où Alexandre Loukachenko le candidat anti-occidentaliste l’a emporté haut la main…
Il n’est pas inutile de relever non plus, pour compléter le tableau, que l’Alliance nationale démocratique fait cause commune, depuis juin 2010, avec les démocrates russes de Stratégie 31 de Garry Kasparov et Boris Nemtsov ennemis rabiques de Vladimir Poutine et dont les manifestations sont habituellement largement médiatisés par la presse occidentale .
Comme le relève Zebra Station Polaire, bien sur, le meurtre d’un supporter de football ne peut pas être mis sur le compte d’un structure et être planifiés, il n’en demeure pas moins que ces attaques répétées via internet et les réseaux sociaux traduisent l’existence de « cellules de veille » sur les périphéries de la Russie - probablement encadrés par certains services occidentaux - qui sont prêtes à exploiter et à aviver des tensions ethniques et sociales à l’intérieur du pays en manipulant des extrémistes Russes tous prêts à se laisser manipuler.
La réponse ferme des autorités Russes tant à Moscou qu’en Province n’en est que plus justifiée à l’aune des menaces que de tels troubles peuvent générer pour l’unité de la Fédération de Russie , un fait qui vient d’être rappelé par la dyarchie Medvedev- Poutine et les chefs spirituels Orthodoxes et Musulmans de la Fédération de Russie. Les autorités Moscovites viennent ainsi de créer un nouveau département de sécurité régionale et le service de police de Moscou met en place des unités de lutte contre la criminalité ethnique. Ça c’est pour le traitement des symptômes, quand à l’origine du mal c’est bien aux services, au FSB et au SVR, de s’en occuper.
Quand à nous nous n’aurons de cesse d’écrire et de dire, qu’à Moscou comme à Paris, les « identitaires » ne travaillent pas pour les intérêts de leurs nations mais pour ceux de forces extérieures qui se ressemblent beaucoup, et qu’à ce titre ils doivent être dénoncés et combattus.
Illustration : militants du Mouvement contre l’immigration illégale. |