Bosnie-Herzégovine : l’"antisémitisme" s’étend
Selon la Communauté juive de Bosnie-Herzégovine, Sarajevo ne compte plus aujourd’hui que 700 Juifs, et aucune naissance n’a été enregistrée dans la capitale bosnienne depuis plus de quatre ans. Pourtant des graffitis antisémites sont apparus dans les rues de la capitale, et les appels à la haine se multiplient sur Internet. La dénonciation de la politique israélienne se transforme souvent en antisémitisme revendiqué.
Les graffitis à caractère politique sont nombreux depuis longtemps dans les rues de Sarajevo. Cependant, les graffitis apparus récemment sont porteurs d’un message inhabituel. À côté de la silhouette, connu de tous, d’un homme qui jette une croix gammée dans une poubelle est apparue celle d’une personne qui jette l’étoile de David. Le dessin est signé « la contre-attitude » ! Il n’est pas dit qu’il s’agisse, dans ce cas, uniquement d’une manifestation contre la politique d’Israël. En effet, l’étoile de David symbolise l’ensemble de la communauté juive.
L’opinion a longtemps ignoré ces phénomènes. Ainsi, on a peu parlé des adolescents qui ont crié « Écrase, écrase les Juifs », lors d’une manifestation contre l’offensive américaine en Irak en 2003. À cette occasion, ils avaient distribué des tracts dans les universités, appelant à boycotter les produits des entreprises dont les propriétaires sont juifs, à organiser des conférences et des cours pour dénoncer le sionisme. Ils ont également brandi des banderoles sur lesquelles l’étoile de David se confond avec la croix gammée. Et que dire de ces slogans : « Hajber, hajber ja Jehud ! Džejš Muhammed Seje’ud ! [ce qui signifie : « Attention à vous, attention, Ô Juifs ! L’armée de Mahomet arrive ! »].
Sur Facebook, nous pouvons lire des commentaires significatifs de jeunes. Ainsi, Amer Marwan El-Mordeha pense que « ce peuple [juif] a planifié les événements du 11 septembre pour que puisse commencer la chasse aux Arabes, les traitant de terroristes… Ce sont eux qui ont déclenché la guerre en Irak afin d’éviter à Saddam de défendre la Palestine mais également pour se protéger de l’Iran… Les vrais fascistes sont sur la terre sainte et Hitler a sauvé l’Allemagne pour que les Allemands ne soient pas des esclaves comme les Américains aujourd’hui… La mort de ce peuple, c’est la liberté des autres peuples… ».
Un autre participant – au surnom très inventif, Gorchin Bogomilian – en critiquant le courant antifasciste, note : « Nous avons le roi Tvrtko que vous et vos pères communistes avez contesté… Nous avons le lys qui a mille ans de plus que vous, sales communistes, et que vous avez contesté… Nous sommes la nation la plus ancienne, nous avons des racines gothiques que vous avez contesté et vous nous avez poussé vers les Slaves voire pire encore, vers les Turcs… Mais c’est fini tout ça, plus jamais ensemble ! ».
Un certain Aid Burko se demande : « Je suis fasciste… Je hais les Juifs… Et quoi ? Où le problème ? Dites-moi qui aime les Juifs aujourd’hui ? ». Sur le forum du site Sarajevo-x.com, les réactions aux événements qui se produisent à Gaza dépasse la simple réaction à l’agression israélienne : « Sales Juifs, vous représentez 0,20% des personnes dans le monde, nous pouvons vous effacer de la surface de la terre ». « Lorsque les Américains n’auront plus d’intérêt à les protéger, les arabes les mangeront pour dessert en une nuit. Je pense que beaucoup de Chrétiens se joindront à eux au cours de ce banquet !! Les catholiques, évidemment, et pas les déchets de l’autre côté de la Drina [c’est-à-dire les orthodoxes, NdT] », prévoit l’un des internautes, Ante.
Bien sûr, il faut souligner que nous tombons également sur des commentaires de ce type qui accordent l’entier soutien à l’action israélienne à Gaza, ne représentant pas l’opinion majoritaire. Néanmoins, ce que nous pouvons remarquer, c’est que ces pensées sont loin d’être des phénomènes marginaux. En d’autres termes, l’antisémitisme à Sarajevo et en Bosnie-Herzégovine n’est pas uniquement l’expression d’adolescents frustrés. Les idées qu’ils expriment ne viennent pas seulement d’eux mais ce sont les conséquences d’un climat social marqué par le fanatisme, de l’« histoire familiale », qui dans la plupart des cas contient des éléments qui ont trait au fascisme, lorsqu’il s’agit de juger les origines de l’Autre.
Enfin, l’éditorialiste de l’ancien hebdomadaire Walter, Fatmir Alispahić, n’a pas été le seul à remettre en question l’Holocauste par sa célèbre phrase : « Il est dit que les dépôts de cendres n’ont jamais été découverts, alors que si six millions de Juifs avaient été brûlés, il y aurait au moins une colline de cendres ».
« Il existe une prière dans les temples juifs », nous raconte Moris Albahari, un chargé de la tradition juive au sein de la Communauté juive, « qui remercie Dieu pour avoir permis au sultan Selim Ier de les avoir accueillis et sauvés. Toutefois, l’animosité envers les Juifs continue d’exister. Nous nous sommes habitués à cela. Dès qu’il se passe quelque chose dans le monde arabe, je trouve dessinée sur ma porte une croix gammée. De même, on nous appelle souvent par téléphone et on nous menace : « Qu’est-ce que vous faites ici, vous les radins ? ». Je ne sais pas pourquoi ils font cela. Je ne suis pas Israélien – je suis plus âgé que l’État d’Israël. Et puis sur le bâtiment de la Communauté juive, nous trouvons également des graffitis en arabe : « Vous brûlerez en enfer ! », donc nous subissons une vraie pression psychologique, comme si nous étions responsables de tout cela. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, sur 14.000 Juifs, chaque quinzième personne est restée en vie et nous sommes restés ici et avons donné à ce pays des intellectuels, des professeurs mais ils ne nous considèrent toujours pas comme faisant partie des leurs ».
Tous ces événements montrent que l’antisémitisme à Sarajevo existe tel un phénomène qu’on ne peut plus faire reculer et que les positions de départ – l’opposition à la politique israélienne – se transforment en des positions antijuives.
Vuk Bačanović est un militant antifasciste, son texte (abrégé) est cité ici comme illustration d'une situation et doit être lu avec un esprit critique. |