La France des énarques et des manants
Autrefois, le Front national, c’était un peu comme le Beaujolais nouveau : il était de bon ton de le critiquer, mais beaucoup de monde le goûtait. Si on ne le trouvait pas si désagréable que ça, on l’avouait toutefois difficilement. Aux autres surtout et un peu à soi-même aussi. À peine si on l’admettait du bout des lèvres, si on l’avouait de mauvaise grâce, comme une maladie honteuse à défaut d’un plaisir du même nom, en prenant bien garde que cela ne sache pas… pas trop !
Un peu comme les revues cochonnes qu’on n’achète jamais, mais qui se vendent beaucoup, qui n’intéressent personne et surtout pas soi-même, n’est-ce pas !, qu’on condamne fermement… mais que tout homme aimant un tant soi peu les dames feuillette tout aussi évidemment quand l’occasion se présente… en évitant de les laisser ensuite traîner dans son salon de peur que son voisin, ses amis ou Belle-maman découvrent la terrible vérité !
En un quart de siècle, un Français sur trois, a-t-on enquêté, avait finit par se laisser faire une douce violence lepeniste jusqu’au bulletin de vote. Au moins une fois, voire deux, en affirmant que cela n’avait pas d’importance, que c’était pour donner une leçon « aux autres », mais non, bien sûr, qu’il n’adhère pas. Enfin pas vraiment, pas à tout. Surtout pas à certaines de ses idées – généralement à celles dont on l’accuse plus qu’à celles qu’il revendique – et encore moins aux dérapages de son chef… et puis, façon de clore le débat, ces « électeurs perdus »-là affirmaient de façon péremptoire : le « Front », de toute façon, n’est pas un Parti de gouvernement. L’UMPS gouverne mal. Très mal, même. Tout le monde le voit bien, mais il sait « faire gouvernement » ; pas le FN !
Le Front national, c’était le défouloir, le Père fouettard qu’on évoquait pour faire manger leur soupe aux petits enfants capricieux. En l’occurrence, pour faire pression sur les élus politiques afin qu’ils pillent un peu moins les fonds publics et se préoccupent davantage des difficultés du pays…
Et il y eut le 21 avril 2002 et la présence d’El Diabolito au second tour de l’élection… Depuis, avouer qu’on a voté Le Pen – ou qu’on va le faire – n’est guère honteux. Ça a même, chez beaucoup, un de ses petits côtés « provos » de derrière les urnes et un arrière-goût fripon de « Remettez-moi ça en 2007, patron ! » à faire cauchemarder le couple de l’année, la bête Nicolas Royal et la Belle Ségolène Sarko !
Et puis, brusquement, depuis cet automne, les choses s’accélèrent.
Il y a d’abord ceux qui « pètent les plombs », façon Georges Frêche ou Pascal Sevran et se retrouvent harcelés par les professionnels de l’anti-racisme…
Il y a ensuite ceux qui remettent désormais ouvertement en cause les lieux communs de l’humanitarisme politiquement correct, tel l’acteur François Berléand à qui l’on demandait son opinion sur les « sans-papiers » et qui, même s’il ne voulait pas tenir des propos « à la droite de l’extrême droite », considérait quand même que la naturalisation des sans-papiers était finalement un « puit sans fond ». Cet homme-là doute même ouvertement que la France ait les moyens de naturaliser tous les miséreux de la terre ad vitam aeternam. Du Michel Rocard dans le texte… et un peu de lepénisme de comptoir, non ?
Il y a encore ceux qui, brusquement, découvrent qu’ils ont été trompés, cocufiés, pris pour des cons et pire à les entendre…
Le plus célèbre d’entre eux a nom Dieudonné.
Monsieur M’bala M’bala à l’état-civil, a risqué sa vie en se rendant à la dernière fête des Bleu Blanc Rouge où on lui avait tant dit qu’on pendait les Noirs aux réverbères en chantant Heili-Heilo et autres joyeusetés que les plus de soixante ans ont bien connues…
Comme il en est ressorti vivant, lui et ses copains, sans avoir rien vu, ni entendu de ce qu’on lui avait enseigné, qu’il a même plutôt été salué poliment par certains et acclamé avec enthousiasme par tous les autres, il a gardé de cette visite cet « arrière-goût de pisse dans la bouche » (suivant une expression utilisée dans l’un de ses sketchs) du gars qui a été manipulé pendant des années.
Jany Le Pen, Bruno Gollnisch, Alain Soral et quelques dizaines d’autres nationaux-fontistes lui ont rendu la politesse en venant applaudir son dernier spectacle (« en date » insiste l’intéressé), lundi dernier. La salle du Zénith s’est alors trouvée toute « Black Blanc Beur & Bleu Blanc Rouge », réalisant ainsi cette Union des patriotes que réclame Jean-Marie le Pen.
Son erreur avait été de la chercher du côté de cet énarque et vicomte au nom qui fleure si bon la gagne : Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon !
Seulement, le seigneur du château a jeté l’offre lepeniste dans les orties de son bocage. C’est la France des banlieues qui a répondu à son appel ! Qu’on le regrette ou non, les jeux sont faits et les dés roulent…
En 2002, on avait découvert la France d’en haut et la France d’en bas. Que certains réalisent avec stupéfaction et horreur qu’il y a surtout la France des énarques et la France des manants est assez cocasse.
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