Qu’on se rassure, je ne suis tombé en amour pour l’agité du bocal élyséen.
Songera-t-on d’ailleurs assez que la force du système tient avant tout à ce faux choix entre deux mirages ? Pourvu qu’à l’Assemblée soient installés, par un savant rituel électoraliste, deux camps censés se combattre, jacobins et girondins, gauche et droite, étatistes et libéraux, progressistes et conservateurs, les poussées de fièvre sociales et politiques connaîtront leur apaisement dans la perspective d’une alternance. Depuis quelque temps déjà, la gigantomachie de l’ère révolutionnaire a laissé la place à une rhétorique de nains, et les flots de sang à une logorrhée médiatique.
Les amateurs de théâtre pourront juger du talent des uns et des autres. Cependant, il faudrait vraiment être bon public pour que s’esquissassent, oyant tel discours, quelque friselis de l’épiderme et des hauts le cœur, tellement les comédiens qui nous gouvernent n’ont hérité de leurs ancêtres tribuns que l’outrecuidance, sans en avoir le talent.
On joue encore la lutte des classes, comme, au Puy du Fou, en la lice, les jouteurs. On est assuré que c’est pour de faux, dixit l’enfant qui voit le roi nu. Et qui ne dira qu’une colossale journée de protestation, saturée de fonctionnaires et de vacarme, n’a la vertu de cracher aux caméras une rage qui ne demanderait qu’à se déverser ailleurs, avec plus de danger pour un système dont font partie les syndicats ?
Car cela fait longtemps que le couteau entre les dents a été remplacé par la cuiller entre les lèvres. Si la fonction présidentielle est désormais un job, bureaucrate syndicaliste en est un autre, avec bagnole et chauffeur, costard cravate, doigté relationnel et bouche en cul de poule pour « manager » les luttes « légitimes ». Les troubles maquignonnages et maquereautages dans cette foire aux revendications et aux combinazioni ont défrayé la chronique il y a peu. Je n’accuserai personne, de peur de risquer la correctionnelle. Rien n’a été jugé, et je respecte la présomption d’innocence.
Il n’en demeure pas moins qu’il est fort possible que d’aucuns chiassent dans leur cachemire à l’effroyable idée que les enragés de toutes sortes, les baisés du Capital, les Cocus du socialisme rose bonbon, les évincés des bagnes industriels, les frustrés de travail, les privés de consommation, les orphelins de la délocalisation, les jeunes désespérément en quête d’exploitation, ne s’avisent de conjuguer, de coaguler leur hargne et leur bave pour faire péter la marmite.
De là cette soupape de sécurité que constitue une journée de grève montée en vapeur par nos tristes Messieurs (et dames) Loyal de la presse.
Loyal à qui ?
On nous la joue, vous dis-je !
On se la joue !
Ce n’est pas le grand soir, comme l’annoncent depuis 40 ans les clowns de la Ligue communiste (auto dissoute) et assimilés. Ce n’est même pas la fanfare bon enfant du Front popu. C’est simplement le troupeau des ruminants (leur mauvaise humeur) qui se retrouvent sur le pavé. Pas de quoi fouetter un poulet ! Et puis on se regardera à la télé, le soir, comme on était beau sous les drapeaux multicolores, bleus, blancs, beur, avec les ballons qui s’envolent dans le vent printanier.
Pendant ce temps, la France coule, encore gouvernée par un pilote américanisé, ricanisé, ricanant. En attendant, depuis Clovis, depuis toujours, jamais l’orgueil français n’a aliéné autant sa liberté, son indépendance. On devrait pleurer, se tordre les mains de honte, se battre la poitrine, grincer des dents, fourbir les armes, durcir le regard, tremper nos cerveaux dans le feu et la haine.
N’y aurait-il personne, parmi notre soi-disant élite, pour avoir le courage de sacrifier ses intérêts, sa carrière, son confort, pour ramasser le drapeau lâché, piétiné, blasphémé, et le porter haut, jusqu’au faîte de la révolte ?
En aurons-nous assez de ces mascarades, des tripatouilleurs qui nous roulent dans la farine ?