L’utilité est toujours l’alibi de la médiocrité ou de la capitulation. Elle s’oppose à la beauté, qui est gratuite, parce que grâce. Elle s’impose sans peine à elle, car, pourvoyeuse alimentaire et maquerelle de nos besoins, elle porte avec elle toute la tristesse de la viande et la gloire vaine de l’astuce mécanique.
Judas aura raison jusqu’à la fin du temps. Il préférait rassasier l’estomac des impécunieux plutôt que de parfumer un dieu. L’utilité a souvent la morale pour elle, si elle n’a l’ivresse de la prodigalité.
Nous avons nous aussi nos apôtres de l’efficacité économique, nos amateurs de pommes de terre, nos calculateurs pointilleux, nos maniaques du tiroir-caisse, nos mystiques de la statistique, nos intoxiqués de la bourse, nos éternels adulateurs du bon sens monnayé.
Il y en a pour qui une autoroute aura beaucoup plus de charme qu’une départementale, et qui seront plus heureux dans un couloir stérilisé de bureaux enfiévrés plutôt que sur un chemin humant la terre nourrie de bouse et de pas lents.
Ce n’est plus Babel. C’est désormais la liquéfaction universelle, l’Océan glauque des misères achetées et vendues, la surrection grouilleuse de Messer Gaster.
Tout pour la tripe ! Et hardie la matière fécale à l’assaut des continents !
Et la fange s’étend, dévorant les vertes prairies de nos enfances submergées, noyant la Terre, décomposant nos âmes, et nous transformant tous en insectes nauséabonds et pataugeant, comme des scolopendres unijambistes.
Dans la soupe puante où clapotent les agioteurs, les traders, les cadres dynamités et les dopés d’objectifs exquis comme des cadavres, la bandaison a quelque chose de l’anguille chloroformée, et les économistes infestent leurs éponges cervicales de racontars chiffrées et d’alcool de contrebande. La raison marchande régurgite ses vérités dans une gourde mélopée de borborygmes, que déglutit la vase adipeuse des profits.
Le globish est cette fugue visqueuse qui coagule le tout, anglosaxonnisation vocalisée de nos contraintes laborieuses, glossolalie sacrée de la boutique, ritournelle obligée, aussi fatale que le cliquetis sourd des chaînes d’esclaves.
Pourquoi taire nos répugnances et notre haine ?
Le globish est ainsi devenu, pour les hommes sombres aux costards de pluie, pour ces « officiers » sérieux et volontiers sermonneurs, ces ombres serpentant parmi les ordinateurs nauséeux, le SIGNE, la carte d’entrée au paradis des modernes. Hors de là, point de salut ! Honte aux énergumènes ignorants ! On organise des stages, pour eux, les autochtones patoisant un français ringard, pour les ineptes, les handicapés de la performance, les non motivés, les païens que la langue de la City n’a pas encore léchés, pour ces pauvres mignons des bancs d’école, qui aimeraient tant ébattre leur fraîcheur en lisant des poèmes de Ronsard !
Parce que l’anglais, c’est la nouvelle échelle de Jacob, l’ascenseur pour le strapontin dérisoire, la nouvelle paulette, la savonnette à vilains des boutonneux socialcommercialisés, entrés en crabes gavés de hamburgers dans la vie suractive.
« Je parle anglais, donc le suis ».
Et malheur au récalcitrant, à l’âne têtu rivé à son lopin de patrie !
Qu’on se le dise : l’anglais doit devenir notre langue maternelle !
La langue de nos mères !
Et merde !