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Dimanche, 1 Mars 2009
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Lettre ouverte aux professeurs de lettres sur la censure
Claude Bourrinet
Tribune libre
Lettre ouverte aux professeurs de lettres sur la censure
Je ne voudrais pas revenir sur les lacunes manifestes et innombrables des élèves, et qui traduisent une réalité qui ne laisse pas d’inquiéter, non seulement si l’on considère l’état de l’enseignement actuel, mais aussi si l’on se représente le niveau de compréhension global et les capacités de lecture et d’expression requis par le métier de citoyen. L’avenir, à cette aune, s’annonce sous des auspices relativement sinistres.
Il est un point au demeurant sur lequel je voudrais insister, quoiqu’il ne concerne somme toute qu’une partie des élèves, bien qu’on ne puisse assurer qu’il soit étranger aux autres. Il arrive en effet, dans cette singulière aventure intellectuelle que constitue la correction de copies littéraires, que l’on touche du doigt, si j’ose dire, pour ainsi dire de façon très concrète, trop concrète pour ne pas susciter irritation et malaise, l’imbécillité sûre d’elle-même, triomphante et s’étalant de tout son long sur la blancheur candide de la feuille. Pour prendre une analogie éclairante, il ne s’agit ni plus ni moins que de la rencontre avec ce qu’il y a de mécanique en l’homme, lequel possède une parenté certaine avec le perroquet ou la machine. Descartes et Pascal avaient vu juste : nous possédons une dimension automatique, sur quoi se greffe la nature (l’habitude, aurait dit Pascal) la plus inhumaine de l’homme, la plus proche du conditionnement, du réflexe conditionné, du réflexe mortifère, pour les autres et pour soi-même.

Je veux parler, bien sûr, de ce fameux problème de la « censure » sous l’Ancien Régime, concept opératoire pour hussard de la République en mal d’inspiration, et recette assurée pour noircir des pages sans surmenage des méninges.

Il est quand même incroyable que des devoirs de français, qui demandent finesse et clairvoyance, se fourvoient ainsi dans les tranchées boueuses de l’idéologie la plus surannée et d’une rhétorique aussi piètre qu’un journal télévisé.

Je vais donner sommairement une liste non exhaustive des erreurs les plus fréquentes :

-Les élèves n’envisagent la littérature que dans l’optique de la production argumentative, qu’elle soit didactique ou dénonciatrice. Ils ne voient pas, ou bien oublient, que la littérature « engagée » ne concerne qu’une fraction d’un art, celui du verbe, destiné avant tout au plaisir de l’âme et des sens, à la beauté, à l’évocation d’émotions profondes et humaines échappant au champ politique (au sens large et au sens étroit). Sans compter que, même en distinguant ce genre, ou ce type de textes, il n’est pas inconcevable (je n’ai pas compté) d’en trouver plus qui louent, glorifient, voire flattent les pouvoirs ou les Grands, que les autres, qui les dénigrent et les conspuent.

-En même temps, il est indispensable d’identifier ce qui est vraiment critiqué. Il est scandaleux de constater que la grille de lecture des textes anciens se trouve singulièrement déformée. Pour les élèves, les écrivains sont nécessairement anti-monarchistes, révolutionnaires ou de « gauche » etc., quand il est manifeste que c’est faux, même si l’on considère le XVIIIe siècle, pour eux une espèce de paradigme interprétatif source d’erreurs. Inutile de rappeler que chez pratiquement tous les écrivains antérieurs à 89, et bien souvent après, chez les « contre modernes » notamment, la démocratie fut considérée comme le pire des régime (voir la fable « Les Membres et l’estomac », d’un La Fontaine qui avait approuvé la Révocation de l’édit de Nantes, voir aussi les propos de Flaubert, Baudelaire, Balzac etc.). Rappelons au passage que Voltaire et Diderot prônaient le « despotisme éclairé ». On trouve donc sous la plume inculte des élèves des affirmations qui font sursauter. Certes, on peut en vouloir à la monarchie, aux nobles etc. Mais j’aime davantage la vérité que mon frère, comme disait Aristote dans l’Ethique à Nicomaque. Et l’idéal de l’enseignement de la littérature n’est pas de déformer des être, au point d’en faire des militants bornés au front obtus, mais de les former pour développer en eux sensibilité et intelligence critique ; non d’en faire des moulins à prières politiquement correctes, mais d’en faire des individus libres.

-A ce compte-là, quoi qu’écrive le fabuliste, que ce soit Le bûcheron et ses enfants, ou la Cigale et la Fourmi, encouragé par la mauvaise foi et une impossibilité granitique à voir ce que le texte proclame, contre toute logique, on dénichera toujours une critique de la monarchie, des nobles etc. Le résultat est mécaniquement inévitable, tant on possède dans le cerveau un appareil automatique qui se déclenche dès lors qu’on saute le fil fatidique de 1789 dans le sens inverse des aiguilles du progrès.

-Et quand bien même on se trouve avec une critique véritable, comme dans la satire de la cour proposée par La Bruyère, on élargit outrageusement, et la dénonciation de l’absolutisme devient, sous la plume du précepteur du petit-fils du Grand Condé, celle de la monarchie, la critique de l’idolâtrie et du culte de la personnalité celle de la Religion.

-Evidemment, la question de la censure se révèle une approche éminemment fructueuse (si l’on veut), voire la seule dans certains devoirs. Au point, bien sûr, qu’on émet des contre vérités. Non, La Bruyère, bien qu’il ait publié, dans la première édition, Les Caractères de façon anonyme (mais tout le monde savait !), n’a pas craint la censure, et n’a jamais été censuré. Non, La Fontaine ne s’est jamais dit : « Comment couillonner Louis XIV ? Par les fables, mais c’est bien sûr ! » Si La Fontaine a été inquiété à un moment, c’est pour des contes fripons. Mais il n’est pas difficile de comprendre comment on est tenté, l’ignorance aidant, de n’appréhender l’histoire littéraire que par le petit bout de la lorgnette, et de sombrer obsessionnellement dans la manie conspirationniste, voire policière, avec si possible une dose de moraline pour apprendre à voir claire. La littérature comprend un espace naturellement dévolu à l’émotion, aux sensations, et à une pensée qui ne se réduit pas à la politique, surtout dans son sens le plus étroit. S’il suffisait d’une posture oppositionnelle, même cryptée, pour engendrer l’œuvre géniale, les librairies et les bibliothèques seraient encore plus garnies que maintenant, et les contestataires professionnels seraient assurés de l’immortalité. Cela n’empêche pas l’institution de proposer, tant dans les programmes que dans les sujets d’examens, quantité de d’œuvres, intégrales ou fragmentées et de sujets de ce calibre, ce qui ne manque pas de fausser la vision qu’on devrait détenir de l’histoire de la pensée, de la littérature, et, plus simplement, des intentions de tel ou tel écrivain.

-Certes, la « censure » s’est exercée parfois. Pour faire bonne mesure, citons des cas célèbres : Diderot fut condamné à trois mois d’emprisonnement après la publication, en 1749, de sa Lettre sur les aveugles, La Mettrie fut banni en 1746, les Lettres philosophiques de Voltaire furent brûlées en 1735, ainsi que l'Émile de Jean-Jacques Rousseau en 1762 et l'Histoire des Indes de l'abbé Raynal en 1770. Pour échapper à ces sanctions, des textes, tels De l'esprit des lois (1748) de Montesquieu, parurent à l'étranger sans nom d'auteur, à La Haye, Genève ou Londres. Quant au théâtre, des pièces furent censurées, dont le fameux Mahomet de Voltaire, qui aurait probablement subi le même sort aujourd’hui, n’était cependant la jurisprudence de l’affaire des caricatures du prophète. Mais encore une fois, remarquons que ces œuvres appartenaient à un âge de combat acharné, que le régime des Ordres jouait sa peau, et que, loin de clore une époque de répression et de diabolisation idéologique, il en annonçait l’avènement et le triomphe. Gardons-nous des anachronismes, et de la tentation de projeter sur les siècles antérieurs au XVIIIe siècle des caractéristiques qui nous sont désormais, et parfois pour notre malheur, familières. Néanmoins, il faut avouer qu’en définitive, la censure s’exerçait assez rarement. D’une part, il ne faut pas oublier que les XVIIe et XVIIIe siècles ont été agités par des quasi guerres civiles (La Fronde par exemple) ou par un jeu de rapports de force parfois tendu (par exemple entre jansénistes et jésuites, entre jésuites et déistes ou athées). Il s’agit de ne pas faire de généralités, et tout dépend du moment et des intérêts en présence. Louis XIV a soutenu Molière, mais tout puissant qu’il fût, il ne pouvait tout faire : la Compagnie du Saint Sacrement, le Parlement et son président, Guillaume Lamoignon, étaient bien trop puissants. Certes, le privilège préalable avait été institué par Richelieu en 1629. Mais cela n’a pas empêché la floraison de chefs-d’œuvre. D’autre part, on sait qu’il existait, même dans l’Etat (perçu souvent, de manière mélodramatique, comme un ramassis de père fouettards, comme des disciples du Divin Marquis !), des connivences, des fragments des classes dirigeantes qui sympathisaient avec les contestataires. Voltaire avait mis toute la cour dans sa poche, à la fin de sa vie ! Le phénomène bobo ne date pas que de notre époque ! Malesherbes, par exemple, qui dirigeait les bureaux de la censure à partir de 1750, était un ami de Rousseau, lequel sera par ailleurs la victime de la fureur « philosophique », ses anciens camarades enchantés alors de sa persécution par le Parlement de Paris (qui ne représentait pas la Cour). Que dire de l’intolérance de certains opposants à l’absolutisme ? Leurs adeptes n’ont-ils pas sévi quelques années plus tard, et imposé un régime autrement plus impitoyable? Il y eut plus d’exécutions capitales sous la Terreur que durant tout le siècle dit « des Lumières » !

-La vérité, pour qui se documente sérieusement, en lisant des ouvrages substantiels (comme l’Histoire de la littérature du XVIIe siècle, d’Antoine Adam), c’est qu’il existait, qu’il a toujours existé, une certaine liberté d’expression en France, et infiniment plus de richesse qu’on l’enseigne dans les cours. La densité et la qualité des écrivains, qui ont illustré le « Grand siècle », dont il ne s’était pas vu une telle quantité depuis le siècle d’Auguste, ne devraient-elle pas nous inciter à réfléchir, surtout en regard de la médiocrité des « penseurs » médiatisés contemporains ? Un régime hiérarchique et autoritaire ne serait-il pas, finalement, favorable à l’éclosion du goût et de l’intelligence ? Contrairement à notre époque mercantile, grossière et relativiste, la littérature y était en quelque sorte sacrée, et elle touchait (Ah ! la caste dirigeante actuelle, si vulgaire et inculte !) une élite dont faisaient partie les classes aisées (noblesse et bourgeoisie), et qu’il eût été ridicule, absurde, dangereux pour la popularité de l’Etat, d’interdire des ouvrages qui manifestaient l’excellence du goût et de l’esprit. Et d’ailleurs, pourquoi l’aurait-on fait ? La démangeaison militante n’avait pas encore infesté les mains de nos écrivains, et la posture radicale, si elle existait, ne suffisait pas à faire son « intellectuel ». En outre, cette société prétendument « fermée » était tributaire, depuis des millénaires, d’une tradition critique, qui étaient devenue, sous la forme de diverses déclinaisons, une source de topoï. Il s’agit de faire la part, dans les ouvrages satiriques, de ce qui relève du discours philosophique antique (stoïcisme, épicurisme, cynisme…) et de ce qui appartient à la veine chrétienne, les deux d’ailleurs se mêlant parfois. Les rois et nobles avaient l’habitude d’entendre, dans la bouche de Bossuet et d’autres prédicateurs, sinon même de la part de leurs confesseurs, des sermons virulents. Toute la littérature s’inspirant de la bible en est imbibée ! Au fond, les philosophes des Lumières, bien qu’apparemment hostiles au christianisme, ne peuvent se comprendre sans cette mentalité religieuse. Ils n’ont fait qu’en séculariser les principes, et présentaient des arguments parfois aussi simplistes (le soi-disant et fantasmatique droit de cuissage, par exemple, dénoncé dans le Mariage de Figaro, en dit plus sur celui qui l’a invoqué que sur ceux qu’il vise !).

-Enfin, ce qui échappe aux élèves, c’est la notion de code. En effet, adopter une forme, un type, c’est se plier à des contraintes, stylistiques, lexicales, structurelles, ce qui relativise fortement l’illusion qu’on eût choisi tel type d’écriture pour « échapper à la censure » (il ne faut pas prendre non plus les autorités pour des imbéciles, pour des téléspectateurs du journal télévisé actuels, lesquels sont moins préparés à digérer des informations tordues que les membres d’une élite qui étaient passés par l’excellent enseignement des Jésuites !). L’éventail de choix est alors réduit. La Fontaine au fond ne fait que reconduire des fables qui existaient bien avant lui, comme La Bruyère s’inspira de très près de Théophraste. L’audace de La Fontaine tint à ce qu’il les mît en vers agréables, plaisants et variés. Le conte philosophique, comme la satire, possède aussi ses obligations, et tout lecteur qui les connaît n’est pas dupe !

-J’aimerais terminer sur une nécessaire interrogation portant sur le monde issu d’une révolution (héritière, d’une certaine façon, selon Tocqueville, de l’Ancien régime) qui n’a, quand bien même elle en assurât le contraire, pas instauré une liberté digne de ce nom, c’est le moins qu’on puisse dire ! La censure fut-elle, au XIX e siècle et au XXe siècle, plus ou moins virulente que sous l’Ancien Régime ? Baudelaire et Flaubert témoigneront à leur façon. Il y eut d’autres cas, que je n’ai pas comptabilisés, et qui sont aussi nombreux que de tout temps. Qui sait que la loi de 1955 sur la loi d’urgence, à l’occasion de la Guerre d’Algérie, est encore en vigueur ? Encore est-il nécessaire d’affiner par quelques considérations qui rendent la censure actuelle encore plus efficace que dans les temps anciens (ne serait-ce que par le progrès des techniques et des sciences cognitives ou « logosphériques »). Tocqueville faisait remarquer, dans son ouvrage consacré à la démocratie en Amérique, que le régime populaire est bien plus conservateur que l’aristocratique. La loi du grand nombre est impérieuse, égalisatrice, ennemie mortelle de l’esprit, du goût et de l’excellence, de l’originalité, sans laquelle il n’est guère de génie. Cette puissante logique se traduit, dans les médias et le monde de l’édition, par un écrasement ou une occultation massive des ouvrages les plus talentueux, au profit d’ouvrages médiocres, mais pouvant recevoir les suffrages du plus grand nombre. Par ailleurs, il est manifeste qu’il existe encore à notre époque des interdits, même d’ordre politique, et des lois pour les incarner. Je n’en dirai pas plus. Les tribunaux parfois ont autant d’efficacité que la Bastille (voir l’affaire Edgar Morin), sans compter la dissuasion par l’amende et l’arbitraire administratif – Aymeric Chauprade en sait quelque chose ! – et politique (voir l’exclusion de Pascal Boniface du Parti socialiste) Etc. Sans parler de l’auto-censure…Il faut se rendre à l’évidence que la société de masse, en faisant éclater toutes les cloisons, a noyé les esprits forts, audacieux, et l’esprit critique dans une sorte de logorrhée stéréotypée qui s’insinue partout, dans les esprits ayant perdu toute imperméabilité à la propagande, dont nos chères têtes plus ou moins blondes sont les victimes les plus pathétiques.
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