Admettons que Jean-Pierre Treiber soit l’assassin de Géraldine Giraud et de Katia Lherbier. Le dossier est opaque, la chose n’est pas jugée, et de toute façon tout accusé est présumé innocent. Si Treiber est criminel, en regard de la loi humaine, il doit bien sûr payer.
Je n’aime pas la justice contemporaine, froide, sournoise, à géométrie variable, molle pour les puissants, dure pour les petits, à moins que ce soit parfois le contraire, ou bien qu’elle verse dans le pire laxisme : bref, de quelle justice parle-on ? Peut-être au fond en existe-t-il plusieurs ? Ou pas du tout ?
Au fond, la vendetta, la gjakmarrja albanaise, est plus claire. On met un couteau dans la main du fils, ou de la fille, qui doit venger le père, le frère, le cousin. Coutume peut-être aussi peu moins « juste » que la précédente, mais qui a pour elle la légitimité arithmétique : un sang = un sang. Et cela resserre les liens familiaux. C’est déjà beaucoup dans notre société déliquescente, qui voit familles éclatées, enfants perdus, fils attaquants pères et mères, parents indignes et jem’enfoutisme généralisé. Le risque d’être le fils de, le frère de, le cousin de, finalement, donne du piment à l’existence. Ne sortir jamais sans le pistolet dans sa poche ou son sac à main, et manger au restaurant face à la porte d’entrée… ça occupe, et si la minute qu’on vit est la dernière (peut-être), quelle intensité sensorielle ! un ragoût pour existentialiste attardé ! Mais qu’est devenue notre justice à l’âge de Kafka ? Un labyrinthe interminable, des procédures à donner des cheveux blancs à tout condamné à mort, des manipulations, des ronds de manches et autres parlottes démocratiques et chafouines… un rabbin y perdrait son hébreu !
Bref, le recours aux forêts est net comme un coup de fusil au petit matin, quand la grive s’esquive dans la rosée.
Ce n’est pas tous les jours qu’on se trouve un Robin des bois ! Voyez par exemple Cesare Battisti, qui fuit au Brésil après avoir vadrouillé jadis au Mexique. Voilà quelqu’un qui a profité largement du soutien de la gauche morale, sans être caviardé ! et même de l’aide opportune d’un président, du Pouvoir !, malgré des crimes (nécessairement dignes d’oublis, puisque de la « sinistra », selon le langage ultramontain). Treiber, lui, choisit de rester au pays (forêt de Bombon, proche de Bréau). Dans cette forêt où il exerçait un métier passionnant, vrai, loin des humidités glauques du milieu (je veux parler du monde des people, du milieu cinématographique à l’indignation variable comme des ailes de mirage – voyez l’affaire Polanski…, et jadis, le regretté Genet, sauvé par l’agité du bocal…).
Encore une fois, Treiber est peut-être coupable. C’est l’affaire de la justice, pas la mienne. La police fait son boulot en le pourchassant. Chacun son rôle. Les cow-boys contre les Indiens, Zorro versus salauds, Robin des Bois dans sa forêt de Sherwood faisant la nique aux troupes de l’usurpateur…
Et comme ses ancêtres hors-la-loi, il s’apprête à passer pour un héros. Vous voyez la malice ? Il paraît que la population locale, la France d’en bas, le soutient, passivement ou activement, éprouvant pour l’ancien garde-forestier une sympathie probablement plus vraie que celle qui dégouline de nos lucarnes magiques à longueur de soirées, pour les causes les plus éculées ou les plus douteuses.
Entre nous, c’est probablement ce que l’on reprochera le plus à Treiber.
Et la légende va bon train, via les media. On aurait vu Treiber, des caméras automatiques l’auraient filmé, et même l’amour s’y mêle, avec son arbre gravé d’un gros cœur, et des missives secrètes. On n’est pas plus romantique…De quoi renverser la libido de Margot…
Qu’importe ! Treiber fait un bras d’honneur à la société contemporaine, lui le frustre, le bandit, l’homme des bois. Même s’il vit ses derniers jours de liberté, quelle saveur que ces petits matins glacés, les feuilles qui sentent l’humus, le renard pris au piège qu’on fait griller pour calmer la faim, les champignons, les fruits, le pain que des amis laissent au fugitif, qu’on dévore avidement en perdant son regard dans les interstices des branches, par lesquels s’infiltre, comme l’Absolu dans notre vie, parfois…, l’éclat ineffable du Soleil… de la Liberté…