Ceux d’une certaine génération, celle des années 70-80, connaissent François de Closet, en tout cas sa voix, grave et creuse, assez didactique pour donner l’impression d’enseigner quelque chose, assez cabotine et dramatisée pour capter les oreilles blasées, assez infatuée pour en imposer aux téléspectateurs à qui l’achat éventuel d’un best-seller pouvait laisser croire que la pensée était accessible à tous.
En vérité, François de Closet est comme ces nez renifleurs de la légende pétrolière, qui soi-disant auraient capté les poches de gisements : il flaire la nappe de poncifs, et plante son petit derrick. Ou plutôt est-il comme un caméléon : là où la palette bariolée de l’arc-en-ciel, comme le monde riche et complexe, présente une infinité de nuances, il s’empare d’une couleur et en fait un événement. Bref, il est un enfonceur de portes ouvertes. Et ça fait un peu de bruit dans les rédactions.
Par exemple, il s’est fait le champion de la lutte contre les « conservatismes » franchouillards, contre les élites paralysantes, contre le consensus de l’Etat providence etc. Combats qui ont un petit air de libéralisme bien dans le tempo stéréotypé des refrains assénés journellement par une rhétorique bien-pensante. Il faut être résolument « moderne ».
Les journalistes en raffolent parce qu’il est de leur monde, qu’il est assez superficiel pour passer à la télé et parce que les concepts qu’il manie leur sont compréhensibles. On sait que dans les écoles de journalisme, on ne recherche ni la profondeur, ni les livres qui la creusent. On ne demande pas cela à des recycleurs de clichés, à des vides greniers jonchés de d’exemplaires du Reader’s digest, à des tricoteurs de passe-partout, à des embaumeurs d’idées. Le plus difficile est plutôt de se caser, de se faire une niche (non seulement à la manière des chiens chers à Mitterrand, mais à celle des marchands), enfin d’être à soi seul une marque. Ainsi existe-t-il la marque déposée « François de Clozet », certes un peu désuète maintenant.
Du prêt à penser quelque peu vieillot.
Illustration.
Que dit-il, notre professeur Tourneplume, dans son dernier opuscule intitulé « Zéro faute » ? Un entretien au journal La Montagne, édition datée du lundi 7 septembre, nous en livre la substantifique moelle, sous le titre prétentieux : « Penser l’orthographe à l’heure de nouveaux modes d’écriture ».
On sent déjà le fumet de restau rapide.
Du fumeux.
Extrait : « Avant, les jeunes [pourquoi les « jeunes » ? Et les « vieux », alors ?] étaient entretenus dans l’idée que l’orthographe était sacrée. Aujourd’hui, ils utilisent sans cesse leurs portables pour faire des SMS… ».
Pour un scoop, c’est un scoop.
Vous remarquerez que tous nos commentateurs de la modernité mettent chapeau bas devant le fait accompli. Une sorte d’hégélianisme vulgaire : seul le réel (dégradé) est le vrai. Regardez donc autour de vous… Eh bien, c’est vous ! Pas possible qu’il en soit autrement, et d’en sortir ! Il ne faut pas aller chercher plus loin. La volonté, l’écart par rapport à l’inacceptable, l’exercice de la liberté, politique ou non, c’est bon pour les cabots.
La preuve ?
« Dire aux professeurs « vous devez continuer à apprendre l’orthographe à tous les petits Français » alors que l’on sait que ce n’est pas possible, c’est créer une désespérance. »
Dire aux lycéens qu’ils peuvent élever leur niveau, c’est créer une désespérance.
Dire aux ouvriers et employés qu’ils peuvent combattre les délocalisations et la destruction libérale de l’emploi, c’est créer la désespérance.
Dire aux paysans qu’ils peuvent nourrir la population sans passer par le marché mondial qui va les détruire, c’est créer la désespérance.
Dire aux Français qu’ils ont la possibilité, pour peu qu’ils fassent un effort, de relever la tête, c’est créer la désespérance.
Dire à ses mêmes Français, et aux vrais Européens, qu’ils peuvent se libérer du joug américain et sioniste, c’est créer la désespérance.
Dire à François de Clozet qu’il est un grand penseur, c’est le désespérer à coup sûr.