Le ridicule ne tue pas, c’est connu et en abuser ne semble même pas lasser les journalistes qui n’hésitent pas à abuser des radios-trottoirs ; ceux-ci atteignent pourtant des sommets de débilités assez surréalistes.
Sensés donner le point de vue de madame Michu et de monsieur Dugenou sur tout le monde, sur tout ce qui se passe et même sur ce qui n’est pas arrivé ou n’arrivera pas, ils débitent – forts contents de ce quart d’heure de célébrités annoncé par Andy Warhol comme un droit pour tous grâce à la télévision – une succession de lieux communs dans lesquels chacun est sensé finir par se reconnaître.
Si ce n’est pas le cas, j’imagine qu’on n’est alors pas vraiment « citoyen » ou simplement « interpellé », qu’on n’est en tout cas qu’un sale égoïste, de plus fort présomptueux et en tout cas pas « dans le coup ».
L’actuelle crise financière offre ainsi aux médias un boulevard inespéré pour distraire le téléspectateur à moindre frais et offrir à leurs annonceurs de juteuses plages horaires pour le matraquage publicitaire.
Alors, entre deux interviews de professionnels de la finance et trois de politiciens en mal de notoriété, chaque jour nous apporte les jugements avisés du couple Michu-Dugenou sur la tourmente née à Wall Street.
L’une, bonne mère de famille, explique qu’elle a retiré de la banque toutes ses liquidités. Elle parle comme un chevalier d’industrie, un de ses grands patrons du CAC 40 qui jonglent avec les investissements et les millions à longueur de temps. Mais le sac à commission estampillée Leader price qu’elle tient à bout de bras laisse sceptique sur le montant réel des dites « liquidités » : ses trois euros, six sous, cinquante-trois centimes étaient sans nul doute fort menacés par les requins de la finance mondiale. Comme on la comprend d’avoir été les retirer à temps pour les mettre à l’abri non plus dans la lessiveuse de sa grand-mère, mais plus probablement dans un gros cochon en porcelaine rose retranché sous son lit.
Mais tout le monde n’est pas madame Michu : Monsieur Dugenou, lui, est pris en considération médiatique à la sortie d’une agence de la Caisse d’Épargne. A-t-il quelques craintes pour son livret A et sa poignée d’actions natexis ? Bien sûr que non ! Monsieur Dugenou reste droit dans ses bottes, tel un Alain Juppé d’avant condamnation. Il assure qu’il ne craint rien pour ses économies. Pourquoi ? Mais « parce que la Caisse d’Épargne est une banque tellement ancienne et tellement sérieuse ». C’est un argument, en effet ! Et c’est tout de même monsieur Dugenou qui le dit !
À eux deux, ce couple sensé être représentatif de l’ensemble de la population sont les vedettes du show médiatique quotidien.
Avec Madame Michu, nos politiciens sont assurés de leur avenir électoral : tremblez, ma bonne Dame, nous veillons sur votre consommation… Bravo, Monsieur Dugenou, avec vous, les banquiers ont encore de belles spéculations en perspectives.
Et avec vous deux réunis, les médias n’ont pas à s’en faire pour harponner le téléspectateur : votre couple ne coûte rien et rapporte gros. Sinon à tout le monde, en tout cas à beaucoup de monde ! Même si ce n’est pas forcément du beau monde…