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Enseignants, encore un effort pour être … républicains !
Claude Bourrinet |
Politique
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Comme en chimie, où les corps purs ne sont qu’une vue de l’esprit ou un effet de laboratoire, on ne trouvera pas dans les combinaisons sociales, souvent réactives, des expressions absolues de catégories idéologiques. Aussi les jugements personnels sur tel ou tel corps professionnel sont-ils souvent contaminés par des préjugés, des critères politiques traditionnels, des situations économiques particulières.
C’est le cas des fonctionnaires de l’Education nationale, qui sont vilipendés par les uns, courtisés par les autres, qui peuvent mériter les injures qu’on leur assène ou subir injustement des jugements à l’emporte-pièce, qu’il s’agit de peser sérieusement si l’on ne veut pas soi-même se fourvoyer dans un combat douteux.
On notera cependant que les éloges à leur sujet se font de plus en plus rares, tant à droite qu’à gauche. Pourquoi donc ?
LE GRAND TOURNANT
Les grèves de l’Education nationale sont un peu comme les saisons. Avec plus ou moins de retard, elles ne manquent pas, chaque année, de revenir. Les syndicats solennisent le moment par des litanies traditionnelles, des appels à l’Etat providence pour obtenir des mânes, et par des processions précédées par le haut clergé laïciste. On marque ainsi son territoire, même si les ouailles boudent les adhésions.
Les syndicats enseignants, qui se prélassaient jadis en touchant benoîtement une rente quasi automatique, à l’époque bénie du communisme réel, se trouvèrent bien démunis quand la bise libérale fut venue. Le vent mauvais tout à coup laissait à nu l’appareil, tandis que les jeunes générations de professeurs, hérétiques en diable, s’égayaient dans le néo-paradis des appétits consuméristes. Foin des soutanes militantes et des millénarismes surannés, il fallait prendre ses désirs pour des réalités !
De leur côté, les contempteurs du mammouth triomphaient. Les discours anti-fiscalistes redevenaient audibles, et l’opinion elle-même, au moment où la mode tournait au travail et au costume cravate, s’inquiétait des mois de vacances généreusement (1) offerts à des centaines de milliers de fainéants voraces.
Les gouvernements de droite et de gauche, progressivement séduits par la mondialisation libérale et l’américanisme, allaient jouer sur du velours. D’Allègre à Darcos, la comptabilité et les nécessités de se plier à la nouvelle société (celle de « l’an 2000 » - grotesque idée d’associer une civilisation à un calendrier !) deviendraient des leitmotivs. Ajoutons à cette cuisine l’ingrédient immigrationniste, la perte des repères, l’effondrement du niveau (même si on veut l’exorciser en prétendant le contraire), le putsch des pédagomaniaque, on aura un cocktail susceptible d’empoisonner définitivement le pachyderme antédiluvien.
UN BAS CLERGE LAIC
Les « enseignants » sont bien des êtres décevants, méprisables, haïssables. Je serais tenté de dire : un peu comme tous les Français. Mais il est vrai qu’ils pâtissent de circonstances aggravantes : ils détiennent, en principe, le savoir. Mais ces scoli sont tombés dans tous les panneaux mortifères des cent dernières années ! Ils sont animés d’intentions généreuses, de gauche. Mais ils obéissent, dans leur vie personnelle, à une stratégie savamment égoïste, à un confortable repli dans une niche protégée de toute agression économique. Ils se flattent, à la suite des philosophes des Lumières, de défendre la tolérance, l’objectivité, l’esprit critique. Mais ils sont aussi hautains, fanatiques, borgnes que leurs illustres modèles. On trouve chez eux autant de certitude que dans un café du commerce. Ce bas clergé partage avec les prêtres d’antan la démarche pateline, la vanité des cuistres et l’attitude onctueuse et condescendante de ceux qui ont la clé du salut.
UNE VISION ETRIQUEE
Cela étant, que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre ! Quelle catégorie sociale, dans notre peuple de râleurs débrouillards, généreux et égoïste, phraseur et opportuniste, ce peuple de rapaces mineurs lorsqu’il n’a pas l’idée de se confier à un aigle, quelle profession ne mériterait pas l’opprobre ?
Il faut, non seulement si l’on veut comprendre quoi que ce soit à ce qui est en train de se produire, mais de même si l’on veut être juste, prendre un peu plus de hauteur.
Il est bien entendu, donc, que les syndicats enseignants mettent systématiquement en avant des revendications corporatives, insistant davantage sur des préoccupations concrètes (les « moyens ») que sur une véritable réflexion sur les finalités du métier.
Ou plutôt, ils font comme si cette finalité avait été admise une bonne fois pour toutes, et par tout le monde, à savoir la « démocratisation » de l’enseignement et, depuis quelque temps, la « réussite pour tous ». Comme ces objectifs sont revendiqués aussi bien par eux que par l’Etat, le combat ne se déroule que sur la stratégie pour les atteindre.
Or, ce sont justement ces fins qui sont discutables, et, beaucoup plus largement, le type de civilisation que l’on désire réaliser.
UN EGALITARISME DEVASTATEUR
Depuis le 11 juillet 1975, depuis que la loi Haby a instauré le collège unique, il va de soi que l’enseignement doit obéir à la nécessité d’égaliser les conditions d’apprentissage. On tend actuellement vers le lycée unique. Toute l’évolution des trente dernières années a consisté à niveler vers le bas les exigences scolaires, à abattre les écluse sélectives d’entrée aux niveaux supérieurs du cursus scolaire, à bouleverser les pratiques professorales, inadaptées à des élèves (on parle maintenant de « public », et même de « clientèle » !) de plus en plus détachés de la haute culture, ou déstructurés par une immigration de masse et les aliénations médiatiques.
L’égalitarisme, qui sous-tend cette politique, se réclamait d’une tradition gauchère qui, pourtant, avait instauré, avec Jules Ferry, une école républicaine élitiste et sélective. En mai 68, c’est sa composante libertaire, longtemps tenue à l’écart, qui l’emporte, et un rousseauisme vulgaire, qui veut que tout enfant soit bon et intelligent, et capable de se construire, pragmatiquement, lui-même. De là la fameuse théorie de l’élève au centre du système éducatif.
Depuis la chute du mur de Berlin et ses conséquences idéologiques, la droite a emboîté le pas à ce courant. Les bobos béotiens amateurs de hip hop et de tags et les petits cadres illettrés aficionados de feuilletons américains et de Patrick Sébastien se sont retrouvés pour stigmatiser la haute culture ennuyeuse et ringarde. Les uns ont vu dans cette attaque une opportunité pour faire jaillir une potentialité richement humaine, les autres un moyen pour se plier à des tâches utilitaires, vouées aux nécessités économiques les plus abrutissantes. Tout ce beau monde a finalement communié dans un cynisme machiavélique, qui instrumentalise l’opinion pour parvenir à des fins inavouables.
UNE RUPTURE RADICALE
La conséquence a été un désastre intellectuel sans précédent, un arrêt soudain de la transmission d’un patrimoine artistique, littéraire, historique, philosophique qui n’a eu de précédent que dans les âges barbares du haut moyen-âge. Encore l’élite des ces temps sombres éprouvait-elle de la dilection pour un corpus prestigieux que lui léguaient Rome et la Grèce, et qu’elle allait porter jusqu’à nous, de Cassiodore aux intellectuels carolingiens, en passant par les scriptoria bénédictines (la fonction publique de l’époque !), des écoles cathédrales aux universités scolastiques, des humanistes aux hussards noirs de la République, en passant par les Jésuites.
C’est enfin cette culture, une cultura animi, une culture de l’âme, génialement proposée par ce père de l’Europe (parmi d’autres) qu’était Cicéron, qui a fait notre être, qui a bâti notre demeure, notre patrie, l’Europe. Car nous y retrouvons toutes nos valeurs de liberté, de sensibilité à l’humain (l’humanitas), d’attachement au terroir, aux paysages variés de notre continent, nous y puisons toute l’intelligence de l’homme, ses secrets avouables ou non, nous y sondons son cœur, nous y captons des raisons de vivre et de mourir, d’agir ou de rêver, nous y savourons le sel de la langue, l’épice du style, la musique des mots, la profondeur terreuse de nos racines. C’est dans cette culture, qui a maintenant 2800 ans que nous nous retrouvons nous-mêmes.
LE DECES DE L’EUROPE ?
Dernièrement est paru un rapport, le rapport Pochard, qui annonce le lycée de demain, et, plus largement, le métier d’enseignant à venir. On y apprend que les classes disparaîtront, que les enseignants deviendront des tuteurs animant des groupes de besoins (savoir taper sur un clavier, construire un plan, rédiger un rapport, travailler en groupe, persuader un acheteur…), que les techniques informatiques seront centrales, que la haute culture, la littérature, l’Histoire, la philosophie, ne correspondant plus aux goûts contemporains et n’étant d’aucune utilité pour la vie pratique, doivent devenir secondaires, et même disparaître, que l’essentiel est l’adaptation à la vie professionnelle, que, d’ailleurs, les enseignants tuteurs seraient mal avisés de considérer leur métier comme une vocation, qu’ils seront dans l’obligation d’en changer régulièrement (on vendra des hamburgers après avoir fait étudier – ce qui ne sera d’ailleurs plus vraisemblable- Corneille), que, somme toute, cet enseignant n’est qu’un homme (ou une femme, soyons paritaire) comme un (une) autre, qu’il n’a pas la science infuse, qu’il n’est pas supérieur, qu’il n’a pas à donner de leçons…
Bref, ce qu’on propose, c’est tout bonnement la mort d’un enseignement, ou plutôt d’une ambition vieille de plusieurs millénaires, et, partant, le décès de l’Europe, de son essence.
UNE NOUVELLE UTOPIE DELETERE
On objectera que cela n’est pas nouveau, et que c’est même programmé, notamment dans les diverses réunions qui se sont tenus régulièrement depuis une ou deux décennies, sous l’égide de l’O.C.D.E.
Il est vrai que la caste atlantiste qui nous gère, et qui place sa progéniture dans des établissements privés où l’on travaille vraiment, à l’étranger surtout, à Londres ou à New York, n’a pas d’autre ambition que de supprimer toute référence, toute attache à un passé aboli, source de tous les malheurs, passés ou à venir. Il est vrai aussi que la lecture de Plutarque, de César, De Stendhal, de Flaubert, de Baudelaire, de Rabelais etc., la mise simplement en présence d’une beauté que l’on comparerait avec la laideur du monde présent, peuvent s’avérer dangereuses à la longue. Il est préférable d’avoir des crétins se nourrissant du foin médiatique et des poncifs bien-pensants.
Et ne vit-on pas, dorénavant, dans une utopie salvatrice ? Le monde n’est-il pas né il y a deux cents ans, peut-être en 1789, plus sûrement en 1776, à ce moment béni par Yahvé où les pères fondateurs ont, contre la vieille Europe, jeté les fondements d’une société pure, lavée de toute souillure du passé, une nouvelle Terre sainte ?
Alors, au diable la culture !
1- Je rappelle que les deux mois de vacances estivales, selon une convention des années cinquante, ne sont pas payés ! Une année d’enseignement est rémunérée sur dix mois, répartis sur douze mois. |
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