Une caricature gouverne la France.
Une caricature qui en remplace une autre, d’un autre style, on en conviendra, mais finalement tout aussi nuisible que celles qui se sont succédées sur les perrons de l’Elysée (comme disent les journalistes). A croire que la démocratie d’opinions ne saurait engendrer que ces monstres. On pousserait même le vice de la malignité jusqu’à penser que la médiocrité, intellectuelle, sinon de vision, est l’apanage des élus, surtout au sommet de l’Etat. La machine ne fonctionne-t-elle pas que par le roulement, et la permanence ne rappelle-t-elle pas fâcheusement le règne, c’est-à-dire la royauté ? On jette donc les présidents comme des objets de supermarchés, obsolètes après s’être usés ou consommés. Et finalement, on se dit en régurgitant que tout tenait dans l’emballage.
Sarkozy n’est qu’enveloppe, étiquette, et on y cherchera vainement un aliment consistant pour la pensée. Il remplace l’action par l’agitation, les res gestae par la gesticulation, le Verbe par les petits mots, la politique par la publicité. Mais au fond, on se dit qu’il n’y a là rien de nouveau sous le soleil, sauf que l’ « Empereur » maintenant est vraiment nu, nul pour ainsi dire.
Comme le peuple est ce qu’il est, c’est-à-dire rien, il n’est pas difficile de le mener avec des riens. Quelques signes jetés, même contradictoires, assez grossiers pour que ça passe, des jets d’encre destinés à provoquer les stimuli, une trajectoire à grands coups de gouvernails, comme on mène un bateau ivre, en fonction des vents, des écueils, et le tour est joué, surtout si l’équipage B de rechange s’avise de critiquer le timonier, pour faire la paire. Pendant ce temps, ça souque ferme dans les cales.
Qu’allons-nous faire dans cette galère ?
Les récentes journées parlementaires du Parti socialistes, à Pau, dévoilent une part de la réalité politique du moment, en mettant en évidence la duplicité de l’opposition, et l’artificialité d’un antisarkozysme un peu trop attendu par le scénariste de ces messieurs-dames. Comme nous l’enseignait ce stalinien pur souche, Brecht, qui savait de quoi il parlait, chaque pièce possède son gestus, c’est-à-dire ce signe dramatique (une parole, un geste, une attitude, un regard…) qui révèle la réalité crue, auparavant cachée par un voile idéologique. L’occasion fut en l’occurrence le discours du démographe économiste Emmanuel Todd, lequel prône un protectionnisme européen. Au grand désappointement des libre-échangistes socialistes, strauss kahniens en tête, comme Gérard Colomb, comme Jean Noël Guérini, comme l’ensemble de l’assistance (les élus ps), si l’on en croit la timidité des applaudissements qui accueillirent le discours de Todd. On aurait préféré une charge sévère contre le « fascisme » sarkozien . Et voilà ce chien galeux de Todd qui bouscule les quilles !
Que rappelle donc son discours ? « Le Parti socialiste n’a pas de programme économique ». Probablement de l’ironie, car il en un, bien sûr, et Todd le sait bien… Il évoque en outre une « société atomisée », un monde rétréci, bref, un désastre évident causé par la mondialisation marchande. Que lui répond-on ? Que lui rétorque Guérini ? « Il faut que l’Europe s’ouvre, tout en préservant nos propres acquis. Être socialiste et de gauche, c’est s’ouvrir. » » On voit poindre la rhétorique écœurante des tenants du libéralisme, qui n’ont que ces faux mots à la bouche, « modernisation », « ouverture », « souplesse » etc., au nom de l’efficacité économique et de la liberté.
L’efficacité, on peut en parler. La crise y répond crûment. Quant à la liberté, les peuples apprécieront. En tout cas, ce n’est pas avec ces « masques » (comme on disait à Venise) qu’on peut rêver d’un monde qui fût le nôtre.