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Mercredi, 17 Janvier 2007 |
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Quelques vœux du peuple au pays et à ceux qui aspirent à le gouverner
Jacques Marlaud |
Tribune libre
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Il est d'usage, en ce début d'année, d'entendre des vœux de haut en bas. Notre président, nos élus, nos autorités politiques, administratives, économiques et sociales présentent leurs bons souhaits au peuple avec un degré de condescendance proportionné à leur échelon hiérarchique. En face d’eux un parterre débonnaire d’invités et de médias attend une perspective, une orientation, quelques éclaircissements sur l’avenir politique incertain de la nation face aux turbulences locales et aux mutations mondiales. La plupart du temps, cet espoir est déçu : la présentation officielle des vœux est aussi creuse et insipide qu’une remise de décoration, la fanfare en moins.
Et si l’on imaginait l’exercice inverse, la présentation des vœux du peuple aux puissants supposés être élus pour le servir ? Dans notre démocratie présidentielle souvent si éloignée de son objectif originel (l’intérêt général) au point que certains se sentent obligés de lui coller l’étiquette « participative » pour tenter de sauver les apparences d’un Ancien Régime en voie de décomposition, cela pourrait donner a contrario la mesure de ce que nous avons perdu, de notre chute vers l’autocratie, la corruption, l’incivisme, la négligence venus d’en haut…
Mais écouter le peuple plutôt que les sectes, les lobbies, les coteries, les partis et les idéologies, fait mauvais genre. Alors on parle à sa place pour dire que tout ira mieux dans le meilleur des mondes si …l’on vote pour moi et pour ma famille politique. On prend le peuple pour un ramassis d’imbéciles en lui débitant de telles banalités, au risque d’oublier ses réactions lorsque sonne l’heure des comptes.
En attendant, tentons d’imaginer ce que le peuple serait en droit d’attendre en l’an de grâce 2007 d’un candidat à la magistrature suprême dans le contexte qui est le nôtre. C’est très simple et pourtant très exigeant compte tenu de la démission actuelle des élites, de leur trahison.
Qui choisir ?
Le profil d’un candidat apte à occuper la fonction présidentielle du point de vue du peuple est d’abord celui d’un homme ou d’une femme dont l’histoire et la carrière démontrent un attachement indéfectible à l’intérêt général, un dévouement sans bornes à la cause publique qui implique une vraie rupture avec les sérails et les clans auxquels il a pu appartenir.
Vous en connaissez un ?
Sa force de caractère, sa probité, la sûreté et la sérénité de son jugement le destinent naturellement aux postes de responsabilité élevée. La « vertu » civique lui colle à la peau comme une seconde nature. Il la cultive, l’encourage et s ‘entoure de collaborateurs tout aussi « vertueux » (au sens latin) qui feront toujours primer le Bien Commun sur l’intérêt particulier.
Plus que l’homme (ou la femme), plus que le parti ou l’idéologie, c’est la vision du monde, le projet de société, l’orientation qu’il indiquera à la nation qui retiendront l’attention des électeurs et feront l’objet de débats dans les médias ou au Café du Commerce.
Quel modèle de société ?
En politique intérieure on attend de lui (ou d’elle) qu’il soit fidèle à son appartenance sans toutefois mépriser les autres, qu’il serve d’abord les siens (au sens de l’intérêt général de la nation) sans cesser de traiter l’étranger avec humanité. L’appartenance à la France et, plus largement, à l’Europe n’est pas une question de « préférence nationale », ce qui supposerait qu’on puisse avoir d’autres préférences, mais d’enracinement dans l’histoire et la tradition de la patrie. Priorité naturelle, devoir de fidélité non négociable inhérent à la fonction de service public, a fortiori à la plus élevée.(1)
Le sujet de l’immigration ne doit pas être pour lui l’enjeu discursif médiatisé d’un faux débat entre un humanitarisme utopique un nationalisme paranoïde, ni la bonne conscience du laisser-faire capitaliste à la recherche de main d’œuvre sous-payée. À l’ère du déracinement généralisé, renforcé par la frénésie productiviste et consommatrice du libéralisme mondialisateur, et par les guerres impérialistes qu’il suscite, ce sujet ne doit pas devenir un expédient électoraliste destiné à capter telle ou telle clientèle. Il constitue une priorité politique qui doit être traitée avec fermeté et humanité, sur le long terme. Mais ce sujet n’est lui-même que la conséquence, secondaire bien qu’importante, d’un autre thème majeur : la question de l’identité qu’il convient de traiter en premier en répondant à la question : à quelle conception de la patrie, de l’État, de l’Europe adhérons-nous ? Le savent-elles seulement, le disent-elles nos graines de président ?
La même démarche s’applique aux autres grandes questions de société qui, au lieu d’en rester au stade du match de ping-pong démagogique entre « solutions » partisanes, partiales et partielles, devraient être posées sur le fond dans le cadre des orientations politiques -- c’est-à-dire d’intérêt général aux divers niveaux de subsidiarité : local ou régional, national et européen -- concrètes et efficaces pour les cinq prochaines années et bien au-delà. On pense à l’effritement de notre modèle social, notamment aux nouvelles « pathologies », à l’apparition fréquente de « zones » de non-droit, à la croissance des économies parallèles et maffieuses, aux exclus volontaires, à la généralisation des drogues aliénantes, à l’exigence de sécurité des citoyens face à la banalisation de formes de violence et de délinquance inédite, au traitement à long terme d’un chômage massif et durable, au déclin indéniable et inquiétant de l’éducation nationale. On pense à l’implosion démographique catastrophique de tous les pays d’Europe qui subissent comme une colonisation inversée les pressions démographiques des autres continents. On ne peut que constater la quasi-disparition de la famille et la montée concomitante de l’individualisme égoïste d’une société qui rassemble une forte proportion de célibataires, de divorcés, de chômeurs et d’étrangers ou de néo-citoyens partiellement intégrés. Hétérogénéité qui accroît l’indifférence politique contemporaine et menace les sociétés européennes bien plus que tous les terrorismes en les privant des ressources nécessaires à leur survie.
Il n’est plus question de nous demander si nous sommes un pays en déclin mais jusqu’à quel point et quels remèdes politiques, s’il y en a, seraient susceptibles d’enrayer la tendance.
Dans tous ces domaines et leurs extensions, le peuple souhaite qu’on lui montre la voie d’une restauration de ses forces vives. Il ne saurait se contenter des slogans à l’emporte-pièce concoctés par des politiciens arrivistes (et leurs maîtres-communicateurs) qui prétendent damer le pion aux vieux caciques impuissants en appelant au rassemblement derrière eux alors qu’une fois déblayé ce fatras de formules creuses et de postures photogéniques, leur besace semble encore plus vide d’idées, de volonté et de vertus politiques réelles, que celle de leurs aînés.
Il ne se contentera plus non plus des formules doctrinales du libéralisme au socialisme, après le communisme, voire de l’écologisme – qu’il ne faut pas confondre avec l’écologie – qui depuis une bonne trentaine d’années n’ont fait que savonner la pente de la décadence actuelle.
Avons-nous seulement entendu l’esquisse d’une ébauche de programme (hormis les expédients fiscaux et juridiques de dernière minute) qui rendrait aux familles le goût de vivre et d’entreprendre, de rester unies et de donner au pays les enfants dont il a besoin ? Ce serait pourtant un bon début.
Quelle politique internationale ?
Mais depuis toujours, c’est par sa présence en politique extérieure qu’on reconnaît le prince. C’est face aux dangers et aux ennemis potentiels que se déploie son autorité et celle de sa nation (De Gaulle disait sa « grandeur ») rayonnant au-delà de son pouvoir réel et prévenant autant que faire se peut, par une diplomatie active et perspicace, l’usage de la force brutale. (2) Or, jamais la France et l’Europe n’ont été aussi démunies de volonté et d’imagination politique propres face au nouveau désordre mondial initié et entretenu, de la Baltique à l’Asie centrale en passant par le Caucase et le Moyen-Orient, par les États-Unis. L’un de nos présidents en herbe est allé à New York faire acte d’allégeance aux maîtres du monde qui savent désormais qu’ils auront, s’il est élu, un élève docile à Paris comme c’est déjà le cas à Berlin, à Londres et à Bruxelles. Une autre impétrante est allé au Moyen-Orient et en Chine sans prononcer la moindre allusion à ce que pourrait être la stratégie géopolitique, la diplomatie intelligente d’une grande nation et de ses partenaires européens face aux enjeux régionaux. On entend bien ça et là quelques timides critiques de la politique américaine, mais rien n’est entrepris pour stopper l’engrenage de la guerre dans lequel nous entraîne l’Empire du bien en pleine débâcle, qui tente de retarder et masque sa chute finale en se lançant dans une agression tous azimuts à outrance.
On demande un positionnement de la France au sein de l’Europe, et de l’Europe dans les affaires mondiales. On demande une réévaluation et un rééquilibrage des forces en présence. Un nouvel équilibre mondial, multipolaire, reflété par les instances internationales, Une redéfinition de l’ONU, sa délocalisation géographique hors des États-Unis, en terrain neutre. Une abolition de l’OTAN, instrument de l’impérialisme états-unien en Europe. Une stratégie géopolitique méditerranéenne et moyen-orientale fondée sur de puissantes alliances régionales (Turquie, Égypte, Iran, Syrie, Libye…) capable de faire pendant aux réseaux d’influence de l’axe impérialiste Washington-Tel-Aviv et ses États clients.
Un futur président de la République française conscient des enjeux internationaux qui l’attendent devrait s’entourer d’un Conseil supérieur de Géopolitique chargé d’élaborer, en concertation avec ses homologues européens, les grandes orientations du quinquennat en cette matière vitale.
On demande une Europe-projet distincte du Projet pour un nouveau siècle américain (PNAC), une Europe-puissance indépendante du dispositif américanocentré qui la chapeaute aujourd’hui. Il est grand temps d’organiser une véritable concertation collective sur les valeurs de l’Europe et son positionnement géopolitique au-delà des divisions de clocher et des incantations stériles à propos des « droits de l’homme » du terrorisme, du soi-disant racisme ou antisémitisme, et de toute autre « signaléthique » destinée à occulter les vrais enjeux. (3)
À la recherche d’un esprit européen
L’enjeu ultime pour l’Europe, consiste à « devenir ce qu’elle est », à renouer avec les interrogations philosophiques et spirituelles qui ont innervé sa culture commune depuis la plus haute antiquité et qui, par delà l’affirmation d’une défense identitaire essentiellement réactive et négative (comme celle mise en avant par l’états-unien Samuel Huntington dans son who are we ?), nous redonnerait une âme, un souci de l’être du monde et de sa beauté que nous sommes en train de saccager, au mépris de tous ses habitants et des enfants à naître, au nom d’un progrès technicien et économique qui a fini par nous rattraper et nous asservir. Notre liberté, l’impératif de qualité (plus que le niveau) de vie exige aujourd’hui, pour les immigrés de la modernité que nous sommes tous, une politique active du retour « au pays des vertes années ».
Notre prochain(e) président(e) aura-t-il (elle) la sensibilité nécessaire pour comprendre le langage de l’âme, entendre ces sentiments d’abandon, de déshérence, ce vide de sens qui s’élèvent vers lui comme un « au-secours ! », comme un cri qui espère autre chose qu’une simple réponse administrative ou un échafaudage constitutionnel ?
En ce début d’année 2007, aucun des candidats déclarés ou présumés ne semble, de près ou de loin, en mesure de répondre à de telles attentes. Beaucoup ont du bagout, certains ont même du panache, mais aucun ne paraît avoir la stature, la grande santé et l’intelligence nécessaires pour affronter avec courage et imagination les défis de la crise actuelle. Sauf erreur, aucun n’incarne un possible retournement de tendance.
Souhaitons à notre pays, à l’Europe, à la cause universelle de la paix, que notre jugement soit erroné, que derrière le jeu de masques des mesquines batailles politiciennes, apparaissent à nouveau dans notre civilisation tardive quelques spécimens de l’espèce, rare et précieuse, qu’on appelait naguère l’homme d’État.
Meilleurs vœux !
Jacques Marlaud est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication.
1 - L’étymologie latine « publicus » est proche du « politikon » de l’antiquité grecque. Toutes deux sont apparentées au « populus », le peuple, le « demos » que sont toujours censées servir nos démocraties vieillissantes.
2 - La distinction est d’origine romaine. Pour Cicéron, la potestas, le pouvoir ultime de décision, était aux mains du peuple tandis que le Sénat était le détenteur légitime de l’auctoritas , des orientations politiques proprement dites. Contrairement à l’aristodémocratie qu’était la République romaine, nos États modernes, et plus que tout autre, le modèle jacobin français, sont un concentré de pouvoirs excessifs sans « autorité » à la hauteur des fantastiques machines administratives et fiscales. Après beaucoup d’autres, l’auteur national-libéral Nicolas Baverez souligne cette carence dans son dernier livre (Que faire ?Agenda 2007, Perrin, septembre 2006). Sans être dénuées d’intérêt, les réformes qu’il propose restent confinées au cadre idéologique libéral « mondialiste » qui est le sien et dont la référence est le modèle économique anglo-saxon.
Dans l’esprit gréco-romain à la source de la notion de politique ( Carl Schmitt, Julien Freund), les moyens, l’intendance (au sens gaullien ou napoléonien) doivent « suivre » et non précéder la décision géopolitique, contrairement à l’exemple donné actuellement par les États-Unis consistant à dégainer son revolver avant de savoir sur qui il faut tirer, pourquoi, ni comment la cible ripostera éventuellement.
3 - Jacques Marlaud, « La Signaléthique : stade ultime de la morale occidentale » in Interpellations. Questionnements métapolitiques, Dualpha, Paris, 2004. |
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