L’Eglise, expression institutionnelle d’une religion prosélyte, a naturellement toujours « communiqué », dans le but d’universaliser le message évangélique. Le projet de persuader, dans la mesure même où, selon Saint Paul, le christianisme se présente comme une folie, et se pique moins de convaincre par la raison que de toucher par le cœur, sinon par l’imagination, n’a pas été sans conséquences pour l’histoire brillante de l’art occidental. Il est vrai cependant que, sauf les courants spirituels prônant l’iconoclasme, le langage visuel se présente comme une source pédagogique particulièrement efficace. Vitraux, fresques, bas-reliefs, chapiteaux historiés, statues en ronde bosse, enluminures, étaient considérés au moyen-âge comme des moyens pour instruire les illettrés. La plupart de ces créations possèdent un charme certain, même pour les mécréants, et nous transmettent des leçons qui sont parfois profondément humaines. Sans évoquer les icônes byzantines, dont le hiératisme projette directement dans une relation intense, quasi verticale, avec le divin, le réalisme de la pars occidentalis de la chrétienté a donné au corpus biblique une charge humaine particulièrement émouvante. De Giotto au Caravage, et des anges de la cathédrale de Reims à la Sainte Thérèse du Bernin, la dramaturgie catholique sollicite l’affectivité de l’homme moyen, qui y voit, et la lit par les sens, inscrite dans la matière, la légende chrétienne, avec son pathétique et sa poésie.
Bien sûr, cette volonté de popularité, d’être entendu et compris par tous, singulièrement par les plus humbles, ambition explicitement revendiquée par Jésus lui-même, lorsqu’il utilisait la parabole pour rendre visible et lisible son discours, ne saurait être incarnée sans présenter certains dangers, dont certains mortels pour l’Eglise éternelle. Car l’Eglise historique, qui évolue dans le temps des hommes, et en suit les linéaments, les caractéristiques et les mutations, en subit aussi les tendances à la médiocrité, voire à la bassesse. On peut considérer comme un miracle la hauteur d’intention et d’exécution d’un grand nombre d’artistes chrétiens qui, rarement, se laissaient aller à des concessions de goût. On peut alléguer que beaucoup ont été les éducateurs du peuple en ce qui concerne la Beauté. Le baroque, en revanche, fruit esthétique d’une entreprise propagandiste décidée à la suite du Concile de Trente, ne pouvait maintenir cette « innocence » corrigée par un soin tout païen de la forme. Ce qui comptera alors avant tout sera le message, et la portée didactique l’emportera fâcheusement sur la gratuité du geste. Même un Poussin, qui par ailleurs synthétise maintes qualités, en dessinateur et coloriste qu’il était, de l’art classique, n’a pu éviter, à mon sens, certaines lourdeurs allégoriques.
Dès l’instant, donc, où le souci prédicateur prend le pas sur l’art en lui-même, que l’Eglise n’a d’ailleurs jamais prôné, puisqu’il était pour elle comme la philosophie pour la théologie, à savoir un auxiliaire, un serviteur, il est évident qu’une tension peut naître entre le fond et la forme, celle-ci se voyant négligée, comme on peut s’en rendre compte avec l’ « art » sulpicien.
Autant dire que la pédagogie chrétienne doit s’adapter, c’est-à-dire se « moderniser ».
Ce terme très connoté évoque bien évidemment les discours chargés d’idéologie libérale. Il faut « moderniser » l’économie, le lycée, la fonction publique etc. Pourquoi pas l’Eglise ? Why not ?
La dernière campagne publicitaire de l’Eglise de France, qui cherche à recruter des prêtres et à promouvoir le « denier du culte » entre dans cette perspective cruellement contemporaine. Car s’adapter, c’est refléter ce qu’est la société. La nôtre porte un nom : marchandise.
Les propos tenus sur une fréquence radio par le publiciste qui a conçu la campagne de « communication » étaient particulièrement piquants car, malgré les réactions indignées du journaliste qui l’interrogeait, il tenait à comparer le style et la facture de son produit à une publicité vantant les mérites d’une banque. En effet, dans les deux cas, nous avons affaire à des acteurs (des mannequins, plus précisément, pour ce qui est de la pub pour l’Eglise), et, de toute façon, c’est bien le résultat qui compte.
La société marchande est en effet celle du spectacle, du simulacre, de l’image en lieu et place de l’être.
Aussi bien cette image doit-elle tenir compte de la nature des clients. Nous avions constaté, déjà, qu’à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse, les foules de « djeuns’ » qui ovationnaient Jean-Paul II étaient plus préoccupés d’empathie émotionnelle que de théologie et d’eschatologie, probablement trop austères pour les collégiens et lycéens qu’ils étaient.
Car ce qui n’est désormais plus visible dans l’Eglise actuelle, c’est la dimension mystique, la dimension transcendante de la religion, et même le projet de déification de l’homme, qu’on trouve encore très présent dans l’orthodoxie, et qui est à l’origine du christianisme. En se sécularisant, il semblerait que l’Eglise catholique devienne un parti comme un autre, une association caritative, un organisme social d’entraide, et, pourquoi pas (Why not ?) un club de rencontres.
Il n’est pas surprenant que ce soit un langage « cool », bas de gamme, « sympa », un rien « humoristique » qui soit employé. Et quoi de plus « moderne » que l’anglais (et ça fait djeuns’) : par exemple : au revers du pardessus d’un jeune homme souriant (le prêtre, id est le mannequin !), sur un badge : "Jesus is my boss". Une autre inscription : Why not ?
On nous affirme aussi qu’avec la religion, on vit bien sa vie. Cela fait penser à certaines sectes qui offrent d’être « bien dans sa peau », ou comme les évangélistes qui promettent une existence en lévitation euphorique. L’orgie eucharistique n’est pas loin. De même, on nous dit que le prêtre, représentant du Christ, est là pour nous accompagner dans tous les instants de notre vie ? Un coach, en quelque sorte.
Je ne suis pas chrétien, mais il me semble pourtant avoir retenu du message christique que la vie n’était pas une vallée de roses, qu’il ne s’agissait pas de la gérer, mais de la sauver. Memento mori !
Mais, va-t-on rétorquer, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre !
Seulement, il paraît que le Christ, lui, en a bu tout son saoul, du vinaigre !