Michael Jackson, ou les dieux sont tombés sur la tête
Il aura été dit que l’annonce de la mort programmée (par un trépassage chronique) de Michael Jackson aura précédé de peu l’envahissement des rues parisienne par la version locale de la Gay pride et un défilé exhibitionniste d’Evangélistes en mal d’amour.
Le point commun entre ces trois évènements n’est pas seulement qu’ils nous viennent d’Amérique, mais aussi qu’ils présentent le même mauvais goût, la même force d’empathie régressive, le même prosélytisme infantilisant.
Clint Eastwood a dit que le seul apport culturel des USA au monde fut le Western et le jazz. Bien qu’on puisse identifier les racines du premier dans la Chanson de geste européenne, il est vrai que le jazz n’a pas son équivalent chez nous. On notera cependant qu’il est né dans une aire musicale fortement imprégnée par la culture française, et que l’histoire de ce courant, fort vaste au demeurant, balance entre un apollinisme assez occidental, voire très proche de la musique « savante » ou « contemporaine », et un retour aux racines dionysiaques de la source africaine. Duke Ellington côtoie Charlie Parker et Dizzy Gillespie, Bill Evans coexiste avec Art Blakey, Charlie Mingus avec le jazz de la West Coast, celui de Stan Getz, de Jimmy Giuffre, de Paul Desmond, de Jerry Mulligan, si sophistiqué, sans parler d’Eric Dolphy, de Lenny Tristano, dont la musique frise l’atonalité, musiciens qui ne démentent pas, au contraire, le free Jazz, auquel John Coltrane avait aussi ouvert la voie, avec Ornette Coleman, Cecil Taylor, dont l’expressionnisme rejoignait les revendication émancipatrices et identitaires afro-américaine les plus radicales, portées politiquement par le mouvement Blak Power.
Notons que ces musiciens possédaient souvent une culture musicale « classique » solide et approfondie.
Il est paradoxal de constater l’importance d’un tel courant musical et identitaire dans un pays qui le reconnaît et l’exporte dans le monde quand justement il exprime et revendique dans le fond la critique de son origine blanche et WASP, et lui rappelle sans cesse le traumatisme de sa naissance, à savoir qu’il fut un Etat esclavagiste, pratiquant la déportation et le travail servile, dont la violence est consubstantielle à la spoliation qui priva les Amérindiens de leur Terre, brutalité qui se saisit encore dans la prolifération des bagnes, des armes à feu et des entreprises de domination mondiale.
Il est un autre paradoxe, c’est celui de l’universalisation irrésistible, sous une variété de formes dont la base est le blues, le rhythm and blues, puis le rock, d’une machine envahissante portée par des canaux médiatiques d’une efficacité redoutable, par la radio, le disque, la télévision, la toile, qui arasa presque tout sur son passage, prenant la place des expression musicales ethniques des divers peuples du monde, et aboutissant à une régression artistique dont l’équivalent peut être, dans un autre domaine, l’invasion triomphale du hamburger et du coca cola.
L’autre résultat, au niveau comportemental, fut une infantilisation de la jeunesse. Loin d’être une occasion de recueillement poétique, une délectation fine et sensorielle des sons et des formes, une captation du langage silencieux qui se cache derrière l’émission rythmique et mélodique dont la source et le cœur et l’intelligence, ce qu’est encore le jazz, cette production médiatico-commerciale a puisé dans ce que l’individu avait de plus frustre et d’animal en lui, privilégiant les pulsions physiques et sexuelles, le clinquant et la puissance sonore, les prouesses de saltimbanques et le mauvais goût des paillettes, du brillant, d’un baroque lourd et frappant, produisant, outre une fâcheuse surdité chez les plus enragés, un étourdissement bienheureux, aidé parfois de prises de substances stupéfiantes.
Pourtant, nous avions à notre disposition, parmi toute la palette musicale du « Vieux continent » et d’ailleurs, des traditions aussi enivrantes que les musiques celtique, balkanique, slave, grecque etc. Le jazz a tenté en partie de s’inspirer de ces sources, puisqu’on a le jazz musette, avec Galliano, le jazz manouche avec Django Reinhardt ou Bireli Lagrene, le jazz tango avec Astor Piazzolla, le jazz latino etc., mais rien de comparable avec les déversements populaires animés d’une frénésie qui rappelle les fameuses empathies qui prenaient les foules entre les deux guerres mondiales !
Il est vrai que l’art Jacksonien, venant du funk, se nourrit autant des talents de « performer », de bête de scène, du video-clip sidérant, du matraquage, de l’inauthenticité de l’image fabriquée et stéréotypée, d’une réussite vertigineuse traduite par des quantités astronomiques de disques vendus et de millions de dollars engloutis. De quoi construire une people story, comme les aiment les masses. Pour pimenter cette cuisine peu ragoûtante, saupoudrez d’un peu d’anecdotes graveleuses et d’un déséquilibre mortifère, à base d’hésitation identitaire et de pigmentation équivoque de la peau, et vous aurez l’image que veut se donner actuellement un monde dominé par la puissance destructrice yankee.
On nous explique que Michael Jackson était un mutant. Il annonce donc l’homme du futur. Il se peut bien, le pire étant toujours assez sûr avec l’espèce humaine.
Encore serait-il plus juste de distinguer plusieurs sortes d’hommes, à l’encontre de l’idéologie égalitariste et uniformisante du monde marchand et mondialiste. Non seulement l’homme futur, par réaction épidermique à cette décadence, peut s’avérer être différencié, mais il peut aussi, grâce à un effort surhumain, à une prise de conscience tragique de son destin, à une reconquête de son âme et de son être, produire en son sein des individus dont la tâche et l’honneur seront de restituer à la musique (sans laquelle, selon le mot de Nietzsche, la vie serait inutile), l’intégrité et l’authenticité existentielles qui lui sont dues.
La tâche étant de remettre les dieux à l’endroit !