En ce temps-là, la vie était plus belle et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui. Les printemps étaient frais, les automnes étaient chauds. Le principe de précaution n’était pas encore inscrit dans la loi fondamentale. La gauche était plutôt de gauche, la droite plutôt de droite. Et, justement, de temps à autre, histoire de se rappeler au bon souvenir des électeurs, de montrer qu’ils existaient, de donner l’impression d’agir et de meubler le vide sidéral de leur incurie, les gouvernements « de droite » sortaient de leurs tiroirs quelque projet vite fait mal fait, ni pensé, ni préparé, ni efficace, ni nécessaire, qu’ils baptisaient « réforme », pour faire joli. Réforme de l’enseignement supérieur, réforme du système des retraites, réforme du droit du travail.

Aussitôt, partis de gauche, syndicats, intellectuels, grandes consciences et belles âmes, suivant un rituel parfaitement rodé, entraient en effervescence. Interventions à l’Assemblée, tribunes dans les journaux, appels à la grève, cortèges de manifestants, de République à Nation ou de la Nation à République et parfois même de la Bastille à l’Opéra… Rien n’y faisait. Impavide, inflexible, inexorable, et surtout bien droit dans ses bottes, l’interchangeable Premier ministre de service, qu’il ait nom Chirac, Balladur, Juppé ou Villepin, affirmait à la tribune de la Chambre, face à l’opposition déchaînée, que la réforme attaquée était la grande pensée de son ministère et qu’il n’était pas question de céder à la pression de la rue. Ah, mais…
Alors, Julien Dray, Jean-Christophe Cambadélis, David Assouline, Delphine Batho, Bruno Julliard et autres présidents ou anciens présidents de l’UNEF ou de la FIDL mettaient en branle leurs réseaux. Ainsi gagnaient–ils leurs galons de députés, de sénateurs ou de ministres. D’abord vaguelette, puis vague, puis lame de fond, puis raz-de-marée, l’agitation naissait, grandissait, se propageait de bahut en bahut, de fac en fac, gagnait peu à peu l’ensemble du système scolaire et universitaire. Comme Napoléon sa Vieille Garde, la gauche faisait donner sa belle jeunesse. Par dizaines, par centaines de milliers, les « jeunes » arpentaient le pavé des villes qu’ils emplissaient de slogans inventifs et sans cesse renouvelés tels que « Devaquet, t’es foutu, la jeunesse est dans la rue » ou « Villepin, si tu savais, ta réforme, où on se la met » et affrontaient courageusement une police féroce mais surtout terrifiée à la seule idée qu’un seul de ces jeunes gens, avenir de la nation, prennent un mauvais coup. Après avoir tergiversé et fait mine de résister quelques jours, le gouvernement pliait, rengainait sa réforme, et les choses rentraient dans l’ordre, ou plutôt le désordre ordinaire, jusqu’à la prochaine.
C’est le même processus qui vient de s’enclencher, et qui produira bien sûr les mêmes effets – que dis-je : qui les a déjà produits. Certains esprits sourcilleux observeront que le projet de « réforme » du travail concocté par Emmanuel Macron, pris en main par Manuel Valls et soutenu, à son corps défendant, par Myriam El Khomri, ne concerne pas directement – en tout cas immédiatement -, étudiants et lycéens. À proprement parler, c’est exact. Mais étant donné l’état de notre économie et de notre société, il n’est pas surprenant que les générations qui arriveront bientôt sur le marché du travail soient obsédées par la crainte du chômage. Vu sous cet angle, il est clair que le dispositif primitivement envisagé sera de nul effet en termes d’emploi et, surtout, que les représentants du patronat ont fait preuve d’une insigne maladresse – on peut même parler de provocation – en insistant lourdement non sur la possibilité d’embaucher mais sur la facilité accrue de licencier. Exaltante perspective pour les uns, chiffon rouge pour les autres.
Quoi qu’il en soit, pour la première fois, un gouvernement dit « de gauche » voit se retourner contre lui la tactique qui lui a si souvent réussi dans le passé. François Hollande avait déjà contre lui les cadres, les ouvriers, les artisans, les employés, les paysans, l’extrême droite, la droite, le centre, la gauche traditionnelle et l’extrême gauche, les hommes, les femmes, les vieux, les adultes – ce qui fait, sauf erreur, du monde. Voilà qu’à leur tour, les « jeunes » se dressent contre lui. C’est l’arroseur arrosé, un classique du burlesque. On ne pleurera pas.
P.S : Parmi les commentaires acerbes, hostiles, apitoyés, condescendants, voire franchement injurieux que m’a valus un article consacré à Donald Trump dont le curriculum vitae, l’élégance, la classe, les prises de position ont séduit un certain nombre de nos lecteurs qui en font peut-être un peu vite leur nouvelle idole, il en est un auquel je tiens à répondre.
M. Jean-Claude Bonnot, aubergiste, s’étonne (je le cite) « que [je semble] jouir d’une gracieuse tribune » sur ce site, et me recommande « de ne pas en abuser ». Il est vrai que je suis assez souvent présent sur Boulevard Voltaire. Peut-être est-ce, entre autres raisons, parce que j’en ai été le cofondateur, avec Robert Ménard, il y a plus de trois ans, et que j’en suis actuellement le directeur.