Armée islamique ou Armée américaine ?
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05/09/04 |
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16.02 t.u. |
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Christian Bouchet |
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« Les groupes liés à al-Qaida prennent leurs ordres à Washington ou chez les services de puissances européennes »
Ali Yunesi, ministre iranien de l’information
(Tehrantimes, le 01.09.2004)
Le 2 septembre dernier voxnr.com a diffusé sur le net une analyse concernant le problème des otages français en Irak. Intitulée « A qui profite le crime ? » celle-ci désignait un coupable : Washington, accusé d’avoir créé à son profit une pseudo armée islamique.
Le 3 septembre, le quotidien italien Rinascita faisait une analyse globalement similaire dans un article de première page intitulé « Une armée islamique très américaine ».
En France, de nouveau, l’hebdomadaire Minute publiait lui un dessin de Konk concernant les otages qui faisait retomber, de manière humoristique, la reponsabilité sur le Mossad et la CIA.
Last, but not least, le quotidien du Réseau Voltaire publiait au même moment un « Décryptage » allant exactement dans le même sens et apportant une série de nouvelles information.
Je ne peux m’empêcher d’en citer les meilleurs extraits au bénéfice des lecteurs de cette chronique, tout en leur conseillant de suivre au plus prêt le quotidien de Thierry Meyssan dont beaucoup d’analyses rejoignent les nôtres (ce qui prouve bien que des recompositions s’effectuent et que de nouveaux clivages se mettent en place).
« Une analyse rigoureuse de l'affaire des otages français montre que la soi-disant « Armée islamique en Irak » n'est ni islamique, ni irakienne. Inconnue des organisations d'opposition, elle n'a établi de contacts revendiqués qu'avec le gouvernement d'Iyad Allaoui et sert les intérêts de la Coalition. C'est pourquoi les autorités françaises, loin d'entrer dans la logique voulue par les ravisseurs, ont déployé tous leurs réseaux diplomatiques pour transformer ce drame en mobilisation internationale contre le projet états-unien de guerre des civilisations. »
(...)
« Ainsi que le précise Hassan Gharib, auteur de l'ouvrage de référence sur les groupes politiques publics et clandestins en Irak, la dénomination « Armée islamique en Irak » ne renvoie à aucune organisation connue sur le terrain par les forces d'opposition. Elle n'en existe pas moins médiatiquement depuis qu'elle aurait fait plier le gouvernement philippin. Dans un communiqué vidéo, diffusé le 10 juillet par Al-Jazira, Angelo de la Cruz, se déclarait otage de la dite « Armée islamique en Irak » et demandait à la présidente Gloria Arroyo de retirer ses troupes dans les 72 heures faute de quoi, il serait exécuté par ses ravisseurs. Les Philippines cèdèrent au chantage, le 12 juillet. Leurs troupes furent entièrement retirées au 20 juillet et l'otage fut relâché. De nombreux membres de la Coalition déplorèrent la faiblesse de Manille, tandis que « l'Armée islamique en Irak » apparaissait comme le seul groupe de résistance ayant vaincu un contingent étranger. Mais, il s'agissait à l'évidence d'une mise en scène. La prétendue « Armée islamique en Irak », pour libérer son pays occupé par plus de 200 000 militaires et mercenaires étrangers, avait pris pour cible le contingent philippin composé de 80 hommes. Il avait exigé leur retrait avant le 20 juillet, alors que celui-ci était déjà amorcé et devait être fini le 20 août. Dans les faits, il a simplement obtenu qu'une trentaine de policiers philippins soient délocalisés sur le Koweït avec un mois d'avance. Les Philippines, qui sont une ancienne colonie états-unienne, n'ont notoirement aucune marge de manoeuvre en matière de politique étrangère et leur armée est entièrement formée, encadrée et équipée par le Pentagone. La présidente Gloria Arroyo a été choisie par Bill Clinton dont elle avait été l'amie intime lors de leurs études universitaires. En d'autres termes, le retrait anticipé n'avait aucune signification sur le terrain et sa décision n'a pas pu être prise sans l'aval de Washington, quelles que soient les remontrances émises pour la galerie.
Plus surprenant encore : pendant les dix jours de crise, des négociations ont été conduites entre le gouvernement philippin et « l'Armée islamique en Irak » par l'entremise du gouvernement d'Iyad Allaoui. À ce jour, le gouvernement de Collaboration reste le seul canal ayant ouvertement revendiqué avoir établi un contact avec ces preneurs d'otages. La chose était alors parue si limpide, que l'ayatollah Ali Khamenei, dont chacun admet qu'il est fort bien informé de ce qui se passe en Irak, déclarait soupçonner « l'Armée islamique en Irak » d'être composée d'agents travaillant pour le compte des États-Unis et d'Israël. »
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« La revendication d'abrogation de « la loi sur le voile », réclamée par l'organisation en échange de la vie des otages français, est déconnectée de la réalité irakienne. Alors que le pays est occupé par des puissances étrangères, « l'Armée islamique en Irak » se préoccupe de modifier une loi dans un pays ami. Il serait donc surprenant que les commanditaires soient irakiens.
Les ravisseurs sont informés que la rentrée scolaire, qui marquera le début d'application de cette législation, aura lieu le 6 septembre et que les décisions doivent être prises avant le week-end. »
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« De ces premiers éléments, nous pouvons tirer les premières conclusions. Comme l'avait déjà noté l'ayatollah Ali Khamenei, «l'Armée islamique en Irak » n'est manifestement pas composée de musulmans irakiens. Elle n'a pas de contact avec les autres mouvements d'opposition, publics ou clandestins, et ne discute officiellement qu'avec le gouvernement Allaoui qu'elle prétend pourtant combattre. Dans cette nouvelle affaire, elle ne cherche pas à libérer l'Irak, mais à s'immiscer dans la vie politique française. »
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« Le Premier ministre, Iyad Allaoui, qui ne cache pas avoir été employé par le MI6 britannique, la CIA états-unienne, mais aussi les services égyptiens et jordaniens, s'est confié à quelques journalistes occidentaux au cours d'une discussion à bâtons rompus. Le Monde en a donné une version reconstituée artificiellement sous la forme d'interview. Les propos rapportés ne sont pas confirmés dans les mêmes termes par les journalistes anglo-saxons ayant assisté à la discussion. Ils ne sont pas infirmés non plus, ni par eux, ni par M. Allaoui. Le Premier ministre, qui rappelons-le est la seule personnalité à avoir revendiqué un contact direct avec « l'Armée islamique en Irak » explique que le refus français de soutenir la Coalition ne protége pas Paris du terrorisme. Au contraire, selon lui, des attentats se produiront dans les États qui refusent de soutenir la Coalition, voire dans les villes états-uniennes qui ont pris position pour le retrait des troupes US. Bref, M. Allaoui fréquente suffisamment « l'Armée islamique en Irak » pour savoir quelles seront ses prochaines cibles. Et il menace d'attentats les États et collectivités opposés à la Coalition, non seulement contre leurs intérêts en Irak, mais sur leurs territoires. »
Alors, quelque soit l’issue de l’affaire des journalistes français otages en Irak, il convient de ne pas tomber dans le piège qu’on nous tend et de poser les vraies questions.
La question centrale est : à qui profite le crime ?
On peut aussi se demander : qui a intérêt à gêner le travail des journalistes ? qui a intérêt à disqualifier le combat de la résistance nationale irakienne ? qui cherche à « punir » la France pour son rôle diplomatique dans la crise irakienne ? qui veut donner vie au mythe du choc des civilisations ? etc.
Poser ces questions, c’est y répondre.
D’une manière ou d’une autre, l’enlèvement des journalistes français sert la politique de Washington.
Une fois de plus le mythe d’al-Qaida et le tout aussi insaisissable « terrorisme islamique » sert les USA. Le « fil vert » du terrorisme a remplacé pour eux le « fil rouge » et les Etats-Unis trouvent dans un « fondamentalisme islamiste » qu'ils ont largement contribué à créer - quand ils n’ont pas inventé certaines de ses structures de toute pièce - un repoussoir de nature à justifier et à pérenniser leur volonté d'hégémonie planétaire. C'est le principe même du racket, du chantage à la protection.
Quant aux drame que vient de connaître la Russie, avec un commando là aussi islamiste, soyons convaincu que d’une manière ou d’un autre, directement ou indirectement, le responsable initial est le même.
Christian Bouchet
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