D’autres raisons de dire non à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne
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07/09/03 |
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14.37 t.u. |
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Christian Bouchet |
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Pourquoi doit-on s’opposer à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne ? Est-ce du au fait que ce pays est musulman et que son premier ministre est sensé être un islamiste ? Tel est en tous les cas un des arguments que l’on entend le plus fréquemment dans les milieux nationaux et dont le simplisme m’a toujours agacé.
A mes yeux, la véritable raison est toute autre. La Turquie n’a pas sa place dans l’UE puisque - quelle que soit sa religion - elle y serait un cheval de Troie des USA et elle ouvrirait les vannes d’une série de demandes qui permettraient de transformer l’Europe, d’un projet politique impérial en une simple zone économique.
Lisant récemment la revue « France-Arménie » j’y ai trouvé sous la plume de monsieur Jules Mardirossian une analyse fort claire et argumentée, qui résume la situation bien mieux que je ne saurais le faire.
Plutôt que la parodier plus ou moins bien, je vous propose de la découvrir ci-dessous.
Dire non à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, susciter un mouvement d’opinion qui grippe la mécanique, est un devoir pour tous. Je souhaite que la lecture de ce texte aide chacun à y contribuer.
Christian Bouchet.
Vers un nouveau colonialisme
L’Union européenne en "s'appropriant" ce pays, certes à la demande de ses dirigeants, mais aussi sur pression constante des Etats-Unis, le désolidarise structurellement de l'aire socio-politique et géographique du Moyen-Orient dont il fait partie. De cette manière, elle prive quasiment cette zone géopolitique de sa composante la plus importante avec ses 780 576 km2 et ses 68 millions d'habitants représentant près du tiers de la population de cette région du monde qui souffre de ses antagonismes et de son manque de cohésion. Ainsi la Turquie ne pourra plus contribuer à part entière à la structuration du Moyen-Orient qui devra néanmoins à terme, créer une entité régionale autonome cohérente et en paix, avec des critères qui lui sont propres. Par ailleurs, les multiples interventions américaines (contre le consensus européen sur la Cour pénale internationale, contre les projets d'armements européens, pour la guerre en Irak, pour l'intégration de la Turquie ... ) contrarient le développement d'un projet politique de l'Union et laisse, aux Etats-Unis en particulier, le champ pratiquement libre dans cette région où les Européens ont toujours été présents.
Ce type d'approche américaine désagrégeante, créant une disparité dangereuse pour cette zone, perturbera de surcroît l'amorce d'un dialogue Nord-Sud qui pourrait s'établir à l'avenir entre les entités européenne et moyen-orientale futures, de même nature structurelle.
Par contre ce schéma est intégré dans les trois priorités stratégiques du président Georges Bush : développement des capacités militaires américaines, accroissement des ressources pétrolières des Etats Unis et guerre anti-terroriste généralisée. Dans ce cadre, l'entrée de la Turquie conférera à Washington six atouts importants :
1 - Meilleure intégration de la défense européenne dans l'OTAN qui renforcera ses positions en Turquie afin d'accroître les possibilités d'interventions militaires surtout américaines en Irak et dans tout le Moyen-Orient si besoin. Le Pentagone demande déjà d'installer en Turquie 90 000 hommes et huit bases aériennes supplémentaires.
2 - Renforcement économique, militaire et politique de la Turquie, donc de l'influence déséquilibrante de ce pays dans le Moyen-Orient mais aussi en Transcaucasie particulièrement pauvre, afin de mieux asseoir l'hégémonie américaine dans ces deux régions en faisant payer une partie de la note aux Européens. La Turquie bénéficie aussi largement de l'aide financière américaine.
3 - Dilution et affaiblissement de la cohérence de l'Union européenne qui, avec ses dix nouveaux membres mais surtout, lestée de la Turquie, prendra certainement le chemin d'une zone de libre échange rêvée par la Grande-Bre-tagne, condamnant définitivement l'Union à l'impuissance politique. N'est-ce pas un commissaire européen qui ironisait "Plus les frontières de l'Europe seront étendue mieux ce sera pour les intérêts américains. Vous imaginezvous leur réaction si on leur disait de s'élargir au Mexique ?"
4 - Création d'un environnement sécurisé pour la production et l'acheminement pétrolier sous la houlette de Washington qui lui permettrait de manoeuvrer à son avantage les pays producteurs du Moyen-Orient et de mieux profiter de la réserve mondiale d'or noir représentée par le bassin de la mer Caspienne. En effet, les Etats-Unis, devant accroître leurs importations de pétrole de 60 % d'ici 2020, sont condamnés à diversifier leurs sources d'approvisionnement. Il est enfin important de noter que les réserves du sol américain seront épuisées dans les années 2010.
5 - Extension de l'influence américaine en Transcaucasie à travers entre autres la nouvelle puissance turque afin de mieux évincer la Russie et l'Iran de ressources énergétiques de la Caspienne. Depuis Clinton, le ministère américain de la Défense fourni des armes et de l'entraînement aux forces armées d'Azerbaïdjan, de Géorgie, du Kazakhstan du Kirghizistan et de l'Ouzbékistan; depuis le 11 septembre 2001, Bush a intensifié les efforts dans cette région.
6 - Nouveaux positionnements militaro-stratégique des Etats-Unis accentuant leur présence dans certains pays dont la Turquie, afin de mieux surveille et éradiquer les nids terroristes qui, d'après les Américains, sont dispersés en Iran, Irak, Syrie et Arabie saoudite (Israël angoissé par sa sécurité fait le ménage en Palestine).
Enfin, le PIB/habitant en PPA de la Turquie est aujourd'hui 2,7 fois supérieur à celui de ses voisins. La manne européenne va encore très sensiblement accroître cette distorsion qui peut, à terme, mettre tout le Caucase sous tutelle économique de l'Etat turc, lui permettant ainsi de réaliser son rêve panturquiste car il sera relié de fait aux pays turcophones de l'Asie centrale.
L’Union européenne ne doit pas favoriser malgré elle une logique d"'Empire ottoman moderne". Elle doit aider à créer entre partenaires libres du Moyen-Orient, incluant la Turquie, et sans disparité disproportionnelle engendrée de l'extérieur, une entité socio-politique et économique cohérente avec laquelle elle aurait des relations et des accords privilégiés.
Jules Mardirossian
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