16/12/03 5.55 t.u. Christian Bouchet

Ceux qui me connaissent, ceux qui ont l’habitude de me lire, peuvent se douter que le week end passé a été maussade.

L’arrestation de Saddam Hussein, même si l’on peut s’étonner qu’elle n’ait pas eu plus tôt, ne pouvait que m’affecter, comme elle a affecté tous ceux qui luttent, chacun à leur manière, contre le « grand Satan ».

Cela écrit, je me suis souvenu, en voyant des extraits de la vidéo du Raïs après sa capture, des protestations des officiels yankees quand de courts reportages sur des GI’s prisonniers avaient été diffusés. Ils avaient fait appel aux conventions de Genève et rappelé, avec de hauts cris, que l’on ne devait diffuser en aucun cas des images de prisonniers pouvant être dégradantes. Et nos journaleux de se lancer alors dans de longs débats sur le droits à l’information, sur la nécessaire autocensure et sur le respect de la déontologie et de l’éthique des journalistes.

Cette déontologie et cette éthique, une fois de plus ils se sont assis dessus. Une fois de plus, ils nous ont convaincus qu’ils étaient - dans leur immense majorité - des merdes et des kollabos des yankees.

Quand au niveau des analyses et des investigations, n’en parlons pas ! C’est dans la presse indépendante on-line que l’on a pu lire les premières réflexions intéressantes et utiles. Parmi celles-ci, l’idée que cette capture était peut-être bien une victoire à la Pyrrhus pour Bush. Utile à court terme dans une optique électorale (au point que certains se demandent même si sa date n’a pas été « choisie »), elle peut se révéler dévastatrice si un procès est réellement organisé. On s’imagine tout ce que Saddam Hussein pourrait révéler à la barre et on se dit que Milosevic, a côté, est un bien menu fretin. Mais y aura-t-il procès ? Il est parfois des crises cardiaques providentielles...

Cette arrestation m’a un peu éloigné du thème qui m’avait semblé le plus évident, jusqu'à samedi, pour cette chronique : celui de la laïcité.

J’avais lu le rapport Stasi avec effarement mais non pas, en réalité, avec étonnement.

Pour qui se tient un peu au courant de l’actualité, il y avait anguille sous roche depuis quelques temps. Alors que les affaires de voile sont devenues très marginales en terme de statistique, pourquoi cette insistance autour d’elles (1) ? pourquoi ces campagnes médiatiques ? pourquoi cette agitation du mouvement des «Ni putes, ni soumises » fort complaisamment relayée par la presse ?

Tout simplement pour aboutir à cela...

Non pas à une défense de l’identité nationale, mais à une attaque encore plus prononcée contre celle-ci et dans le même temps a une négation de celle des immigrés.

Tout est dans la symétrie des fausses fenêtres. Plus de voile et plus de signes apparents de la religion des Français de souche... une égalité des fêtes religieuses allochtones et autochtones... Selon les mots d’un des rapporteurs de la commission : « un geste de la République pour que tous les élèves apprennent la tolérance et le pluralisme », selon les nôtres une nouvelle mesure entraînant la perte des repères identitaires chez tous et favorisant le relativisme généralisé.

En clair, un pas de plus vers le « monde moderne », vers la grand indifférenciation, vers le « règne de la quantité », vers un monde de consommateurs « libres et égaux » .

A ce propos tous les nationaux qui hurlaient avec les loups contre le voile auront été, une fois de plus, des « idiots utiles ». Bruno Mégret à l’air malin qui se félicite du rapport pour une partie tout en en critiquant une autre sans comprendre qu’il s’agit d’un tout. Décidément, l’islamophobie à la del Valle et à la Faye ronge le cerveau !

Le FN, lui ,au moins, aura eu, dès le départ, une position intelligente. Que ce soit Jean-Marie Le Pen affirmant : «Le problème ce n'est pas le voile mais la masse grandissante et incontrôlée de l'immigration étrangère», Bernard Antony, dénonçant un projet tendant à «imposer une société laïque, revenant à interdire, selon le vieil idéal totalitaire et jacobin, tout enseignement et toute expression publique du catholicisme [...] Sous le prétexte d'interdire le voile à l'école aux jeunes musulmanes, ce sont en fait les signes de la présence chrétienne que l'on veut effacer. La manoeuvre est grossière» ou Carl Lang, déclarant qu’il ne veut pas «d'une loi sur la laïcité, arme de guerre contre les religions traditionnelles françaises».

Cela dit, c’est demain que Chirac donnera son avis et fera les véritables propositions.

On nous dit, déjà, qu’elles seront notablement différentes du rapport de la commission Stasi.

Il se peut. Mais on sait aussi à quoi servent ces rapports et les vagues médiatiques qui sont faites autour : à préparer l’opinion... pour demain ou pour après-demain !

Christian Bouchet

1 - « Selon les services d’Hanifa Cherifi, la médiatrice de l’Education nationale, le nombre des "incidents" lié au port du foulard à l’école est en diminution constante depuis 10 ans. Nous sommes en effet passés de 2000 cas recensés par an il y a dix ans à 150 aujourd’hui; la plupart d’entre-eux étant réglés au sein de l’établissement sans recours au conseil de discipline. Les expulsions restent à l’heure actuelle très rares (moins d’une dizaine par an sur environ 12 millions d’enfants scolarisés). Ce chiffrage du problème n’est pas inutile pour bien saisir le décalage entre la véhémence des propos de certains prohibitionnistes qui fustigent la montée du "péril communautaire" téléguidé par le "fondamentalisme islamiste" et la réalité des faits. Contrairement au discours politico-médiatique dominant, la République française n’est pas confrontée à une "offensive islamiste" opérant à travers l’instrumentalisation violente de jeunes filles scolarisées. Toute analyse concrète de la situation montre au contraire que les éléments de l’islam fondamentaliste (qui bien entendu existent) sont ultra-minoritaires au sein de la population musulmane et française, et absents des institutions républicaines. Comment dans ces conditions peut-on parler de "complot islamiste" contre l’école de la République ? N’est-ce pas là faire preuve d’un étrange renversement des rapports de force et de pouvoir réels ? » Philippe Marlière, Maître de conférences en sciences politiques à l’université de Londres, in Politique, revue de débats (Bruxelles), no 32, décembre 2003. Le même auteur constate : «[ce projet ne sert] qu’à occulter la crise profonde du modèle républicain . (...) Pour la fraction social-libérale du Parti socialiste qui, au pouvoir, a contribué au creusement des inégalités en mettant en oeuvre des politiques néolibérales, ce combat pour la pureté laïque est une aubaine. Elle lui permet de réaffirmer auprès des classes moyennes une identité "de gauche" qu’elle ne parvient pas à imposer sur les questions sociales et économiques. Comment ne pas voir dans ces situations de misère sociale, culturelle et sexuelle, les conséquences de décennies de déclin du modèle d’intégration républicain, battu en brèche par l’individualisme mercantile que les gouvernements de gauche et de droite ont favorisé depuis une vingtaine d’années ? Le port du foulard se manifeste au sein d’un système éducatif qui ne constitue plus pour les enfants d’immigrés un tremplin vers une intégration et une ascension sociale ».