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:::::::: textes idéologiques :: douguine ::

Eurasie contre Amérique

03/11/04 8.53 t.u.
Justin Cowgill

« Nous sommes partis sérieusement et pour longtemps. Personne et rien ne peut nous stopper, parce que les rythmes de la Russie (de l’Eurasie) battent souverainement et impérieusement dans nos cœurs. L’eurasisme incarne une nouvelle étape triomphale dans le développement de l’idée nationale, de l’histoire nationale. Nous avons confiance en notre victoire, parce que pour nous ‘l’Eurasie est au-dessus de tout’. »
(Alexandre Dugin)

Le plus grande masse de terre du monde, le continent eurasien, relie l’Orient et l’Occident par les communications, les transports, et les routes commerciales. Plus important, l’Eurasie a longtemps été considérée comme le cœur géopolitique du monde, un espace nécessaire pour toute future puissance mondiale. Du fait de son sens historique de l’identité, de ses vastes ressources, d’une population capable, et de sa situation au cœur de l’Eurasie, la Mère Russie est la nation ayant le plus de chances de prendre sa juste place à la tête d’une nouvelle structure de puissance eurasienne destinée à compenser l’influence américaine dans le monde et à faire dérailler le Nouvel Ordre Mondial en créant un monde multipolaire. L’idée eurasiste deviendra probablement l’idéologie nationale post-soviétique officielle de la Russie et la bannière sous laquelle les peuples opprimés du monde pourront combattre.

LES EURASISTES ARRIVENT

L’idée eurasiste n’est pas une idée nouvelle, même si elle pourrait actuellement être plus appropriée que jamais auparavant. Le mouvement eurasiste de la Russie a ses racines au 18ème siècle dans le conflit historique entre les « réformateurs » pro-occidentaux, qui souhaitaient moderniser la Russie en adoptant des solutions politiques occidentales pour résoudre les problèmes russes, et les slavophiles, qui voyaient la Russie comme une nation unique distincte à la fois de l’Occident et de l’Orient, et qui devait trouver sa propre voie. La question de savoir si la Russie fait partie de l’Europe, de l’Asie, ou de quelque chose d’unique a eu une énorme influence sur l’esprit national russe. Les slavophiles ne regardaient pas le matérialisme occidental avec bienveillance et considéraient les Lumières comme une source de décadence morale qui détruisait les valeurs russes traditionnelles.

Bien que les panslaves rejetaient ce qu’ils voyaient comme une influence occidentale, beaucoup de leurs idées étaient d’origine occidentale. Les idées panslaves furent largement créées par des émigrés russes en Europe, et le nationalisme était un produit européen. Avec une idée nationale largement basée sur le christianisme orthodoxe, la Russie se voyait elle-même comme la continuation du Saint Empire Romain, dont la torche avait été transmise à la Russie après la chute de Byzance face aux envahisseurs musulmans, et c’est de là que vient le supposé élément messianique de l’âme russe. La Russie en tant qu’empire fut créée sur un modèle européen, avec tout le pouvoir centré dans la ville de Moscou, et ensuite Saint-Pétersbourg, avec le russe comme langue officielle, et dominée par les Russes. Les Grand-russes poussèrent vers l’est et le sud pour subjuguer les autres nations et les incorporer à l’empire. A cet égard, l’empire russe ne fut pas différent des autres empires européens.

Les Russes, cependant, du fait de leur géographie, ont été influencés par l’Orient aussi bien que par l’Occident. Bien que cela pourrait déplaire à certains, le fait est que la Russie fut dominée par le Joug Mongol et sa Horde d’Or pendant environ 300 ans, ce qui laissa des traces et contribua à créer ce que nous appelons aujourd’hui la mentalité, l’âme, et l’apparence « slaves ». L’ethnographe russe et partisan des idées eurasistes, Nikolaï Troubetskoï, dit : « On oublie habituellement que nos ‘frères’ (sinon de langue ou de foi, alors de sang, de caractère et de culture) sont non seulement les Slaves mais aussi les Touraniens… », et « le sang turc se mélange dans les veines russes avec celui des Finno-ougriens et des Slaves » [1]. Les Russes sont un peuple unique. L’idée que les Russes forment une ethnie particulière située au cœur de l’Eurasie est largement acceptée parmi la population russe. Un récent sondage a montré que 71% des citoyens russes pensent que la Russie appartient à une civilisation « eurasienne » ou orthodoxe particulière, qui doit suivre son propre chemin de développement, alors que 13% considèrent la Russie comme une civilisation occidentale [2].

L’ALLEMAGNE ET LA RUSSIE : DEUX FRERES EUROPEENS

Les intellectuels russes n’étaient pas les seuls à défendre des idées eurasistes. Pendant la Révolution Conservatrice en Allemagne, certains auteurs allemands voyaient la Russie comme l’allié naturel de l’Allemagne, parmi lesquels Oswald Spengler, Arthur Moeller van den Bruck, et Ernst Jünger. Les familles royales russe et allemande se mariaient souvent entre elles. Un monument à Leipzig en Allemagne témoigne de la bataille historique de 1812 quand soldats prussiens et russes vainquirent l’un des plus grands chefs militaires de tous les temps, Napoléon. Quand D.H. Lawrence visita l’Allemagne en 1924, il déclara que « la grande inclination de l’esprit germanique est une fois de plus orientée vers l’Est, vers la Russie » [3]. Parmi les nationaux-socialistes allemands, il y avait une aile du parti qui recommandait l’amitié avec la Russie. Joseph Goebbels lui-même encouragea initialement des liens plus étroits avec la Russie. Il salua l’Union Soviétique comme « un allié que la nature nous a donné contre la tentation et la corruption diaboliques de l’Occident ».

Sous les restrictions du traité de Versailles imposées à l’Allemagne, l’élite militaire prussienne conclut que la coopération entre l’Allemagne capitaliste et la Russie communiste était dans l’intérêt naturel des deux pays, qui avaient tous deux été mal traités par les Alliés victorieux. Le partenariat secret germano-allemand fut codifié dans le Pacte de Rapallo en avril 1922. Le général Hans von Seeckt, chef du Haut Commandement allemand, négocia un accord pour que des officiers allemands se rendent en Union Soviétique afin de tester de nouvelles armes et entraîner des soldats allemands tout en partageant leurs compétences avec l’Armée Rouge. L’Union Soviétique recevait une assistance militaire et contribuait à reconstruire son économie d’après-guerre, pendant que les militaires allemands profitaient des grands espaces de la Russie, qui étaient utilisés pour effectuer des manœuvres militaires conjointes. Les industriels allemands passèrent des accords avec le gouvernement soviétique pour établir des usines en Russie afin de produire du gaz de combat, des blindés, des avions, des armes lourdes et des explosifs, en violation du traité de Versailles. On pourrait penser que les différences idéologiques auraient empêché une telle coopération ; pourtant, les facteurs géopolitiques naturels se révélèrent plus importants, ce qui est habituellement le cas en politique.

POLITIQUE D’APRES-GUERRE ET NOUVELLE DROITE EUROPEENNE

Après la défaite des puissances de l’Axe dans la seconde guerre mondiale et l’émergence de deux superpuissances situées des deux cotés de l’Europe, les idées eurasiennes trouvèrent une nouvelle vie grâce à ceux qui voyaient le « neutralisme » comme le seul moyen de sauver l’Europe et ceux qui considéraient la domination culturelle américaine comme une menace bien plus grave que la Russie soviétique, dont beaucoup pensaient qu’elle était un allié bien plus naturel. Bien que relativement inconnu des Américains, Alain de Benoist, un intellectuel français, fit beaucoup pour restructurer la droite européenne et défendit certaines idées eurasistes. A l’époque, la plupart des nationalistes européens étaient de la frange conservatrice et étaient hostiles à la Russie soviétique. S’opposant à la démocratie libérale, il [de Benoist] débuta dans le mouvement Jeune Nation, qui fut plus tard interdit par le gouvernement français. Il devint ensuite le secrétaire du comité de rédaction d’Europe-Action, le mouvement successeur de Jeune Nation. Dans les années 60, de Benoist soutint l’intervention américaine au Vietnam et l’apartheid en Afrique du Sud. Fondamentalement, il était un nationaliste conservateur de droite. Cependant, en 1984, de Benoist montra à quel point il avait évolué idéologiquement lorsqu’il vota pour le Parti Communiste Français lors des élections législatives européennes pour montrer son dégoût envers tout le processus politique français.

D’un conservateur de droite traditionnel, de Benoist se transforma en l’un des principaux intellectuels de la dénommée « Nouvelle Droite ». Son glissement idéologique fut « le commencement d’une ‘longue marche’, d’une évolution intellectuelle » [4]. De Benoist et ses collègues affirmaient l’importance de mener une guerre des idées sur le champ de bataille culturel, une chose qu’ils considéraient comme nécessaire pour tout changement politique réel.

De Benoist s’opposa ensuite au système de libre-échange capitaliste, qu’il critiqua comme étant le produit du libéralisme, une idéologie d’une société de consommation qui était totalitaire à cause de sa tendance à tout réduire au royaume de l’économie et de l’utilité. Comme beaucoup d’autres leaders nationalistes d’après-guerre, de Benoist pensait que l’Amérique était pour l’Europe une menace plus grande que l’Union Soviétique à cause de son impérialisme culturel. En 1982, il écrivit : « Il vaut mieux porter le casque d’un soldat de l’Armée Rouge que vivre en mangeant des hamburgers à Brooklyn ». Il continua en disant que la société de consommation de masse était une sorte de « totalitarisme soft », un enfer avec ‘l’air conditionné’, qui tue l’âme » [5].

Les idées de la Nouvelle Droite et de la Nouvelle Gauche convergèrent quand de Benoist commença à défendre une Europe neutraliste et à s’opposer à l’intervention mondiale des USA. Quand la révolte des étudiants gauchistes de la Sorbonne eut lieu en 1968, de Benoist était en train de mettre en place son groupe de réflexion [think-tank].

Bien que certains nationalistes conservateurs français le voyaient comme un renégat parce qu’il avait adopté des idées de gauche, il était en avance sur son époque. Déjà en 1986, il utilisait exactement le même langage que les eurasistes utilisent aujourd’hui en Russie : « Au niveau international, la contradiction majeure n’est déjà plus entre droite et gauche, libéralisme et socialisme, fascisme et communisme, ‘totalitarisme’ et ‘démocratie’. Elle est entre ceux qui veulent un monde à une seule dimension et ceux qui soutiennent un monde pluriel fondé sur la diversité des cultures ». En utilisant le langage de l’ethnopluralisme contre le multiculturalisme, de Benoist démontra que les nationalistes européens et américains peuvent affirmer que ce sont eux qui combattent pour l’intégrité culturelle de chaque ethnie unique alors que leurs ennemis sont ceux qui tentent en fait de détruire la diversité en mélangeant des peuples entiers pour créer un village mondial et ceux qui détruisent l’environnement. L’opposition au mondialisme va main dans la main avec la lutte pour la préservation culturelle et avec le droit des peuples à exister.

LA SCENE POLITIQUE POST-SOVIETIQUE

Après la chute de l’Union Soviétique, comme beaucoup de nationalistes européens, de Benoist s’intéressa au paysage politique russe post-soviétique, qui semblait offrir beaucoup d’opportunités. En mars 1992, il se rendit en Russie et participa à plusieurs réunions publiques avec des politiciens russes. Les hôtes russes de de Benoist aimaient ce que le philosophe français avait à dire et appréciaient sa critique du mondialisme et l’idée que les Etats-Unis étaient l’ennemi suprême de l’Europe et de la Russie. D’autres intellectuels de la Nouvelle Droite comme Jean-Francois Thiriart [*] firent des visites en Russie au début des années 90. En août 1992, Thiriart conduisit une délégation de nationaux-communistes en Russie, rencontrant des politiciens importants comme Igor Ligachev, le leader conservateur dans le Politburo soviétique et vice-président du Parti Communiste jusqu’à ce que Gorbatchev se débarrasse de lui en 1990. Thiriart suggéra un partenariat continental pour unir l’Europe et la Russie en contrepoids aux Etats-Unis. « Eurasie contre Amérique » fut le thème des discussions entre Thiriart et les Russes, parmi lesquels se trouvait un jeune journaliste de trente ans nommé Alexandre Dugin, qui deviendrait plus tard l’une des figures les plus influentes dans la politique nationaliste russe et le principal défenseur de l’idée eurasiste en Russie. C’est ainsi que la Nouvelle Droite européenne atteignit un Russe qui comprit comment prendre certaines de ses idées et les adapter à la Russie.

ALEXANDRE DUGIN ET LE MOUVEMENT RUSSE NEO-EURASISTE

Alexandre Dugin peut être considéré comme la principale figure nationaliste en Russie, bien que je pense qu’il rejetterait le nom de « nationaliste ». Toujours en avance sur ses contemporains, Dugin est une étoile montante en Russie. Pendant la perestroïka et au début des années 90, Dugin fut impliqué dans le mouvement monarchiste Pamyat (« mémoire »). Après la chute de l’Union soviétique, Dugin contribua à rédiger la plate-forme du Parti Communiste de la Fédération Russe et commença immédiatement à injecter ses idées eurasistes dans la politique russe. Sous l’influence de Dugin, le leader du Parti Communiste, Gennadi Zyuganov parla de la Russie comme de la « nation rêveuse » et déclara : « Nous sommes la dernière puissance sur cette planète qui soit capable de lancer un défi au Nouvel Ordre Mondial – la dictature cosmopolite mondiale » [6]. Edouard Limonov, le fameux écrivain russe, co-fondateur du Parti National Bolchevik, et ancien associé de Dugin, décrivit Dugin comme « un homme paradoxal qui peut soutenir dix points de vue en même temps » [7].

Dugin est maintenant lié au mouvement eurasiste en Russie, qui s’est transformé en un parti politique officiellement reconnu : le Mouvement Social Politique EURASIA. La forme d’eurasisme de Dugin est parfois appelée néo-eurasiste parce qu’elle diffère de l’eurasisme traditionnel, qui est beaucoup plus proche du nationalisme slave ou des idées panslaves ou orthodoxes. La forme d’eurasisme de Dugin est beaucoup plus qu’une doctrine géopolitique. A la différence des partis traditionnels, le mouvement de Dugin ne tente pas de parvenir au pouvoir en participant au processus démocratique. Au lieu de cela, Dugin dirige une école de pensée pour exercer une influence sur les dirigeants russes politiques et militaires, de la même manière que les « think tanks » aux Etats-Unis, et cela semble réussir assez bien. « Nous ne combattons pas pour le pouvoir, mais pour influencer le pouvoir » déclara Dugin [8].

Dugin et les eurasistes soutiennent le président russe Vladimir Putin dans la mesure où il continue à aller dans une direction qu’ils considèrent comme étant dans l’intérêt à long terme de la Russie. On peut dire qu’ils sont des « compagnons de route ». Même si Putin peut exprimer devant les médias internationaux sa préoccupation concernant les dénommés « Etats voyous », les eurasistes se tiendront tranquilles tant qu’il continuera à renforcer les liens avec ces mêmes Etats. D’après le mouvement eurasiste, « A nos yeux, Putin est un supporter de la politique de puissance de l’Etat, un patriote renforçant la ligne verticale de l’autorité, un chrétien orthodoxe, fidèle aux racines spirituelles russes mais loyal aux autres confessions traditionnelles eurasiennes. Putin est pour nous le seul qui sauve le pays du séparatisme et de l’éclatement, et qui encourage le processus d’intégration dans le cadre de l’Union Economique Eurasienne (l’UEE et la CEI, l’un des pionniers de la création de l’UEE) » [9]. Pour Dugin, le président Putin est actuellement en train de suivre la même route que lui.

Dès que l’on étudie la politique, la politique russe en particulier, il est très important de prendre en considération que les choses sont souvent différentes de ce qu’elles semblent être. Cela ressemble à une partie d’échecs où les gens disent et font fréquemment des choses complètement différentes. Au premier coup d’œil, il semble qu’Alexandre Dugin soit beaucoup moins radical qu’il l’était autrefois, et cela pourrait bien être le cas ; néanmoins, il est beaucoup plus probable qu’il a choisi de rechercher une influence à long terme pour atteindre des buts stratégiques supérieurs à la marque de la fougueuse politique qu’il soutenait autrefois. Par exemple, le mouvement eurasiste n’utilise pas le langage flamboyant de partis comme le Parti National Bolchevik et semble être orienté vers les intellectuels. C’est l’un des avantages du fait de ne pas avoir à participer aux élections et à concentrer ses efforts pour influencer des dirigeants futurs ou actuels. Au lieu de proposer une révolution sanglante, Dugin encourage une transformation graduelle de la Russie en utilisant les structures de pouvoir existantes. Il soutient le gouvernement russe tant que celui-ci sert de « centre radical » recherchant les intérêts à long terme de la Russie plutôt que l’opportunisme politique. C’est comme une révolution de haut en bas. La plupart des « révolutions » ont peu à voir avec les masses, donc il est parfaitement indiqué de s’épargner tout ce théâtre.

Comme ses camarades de la Nouvelle Droite, Dugin utilise un langage différent pour parler des sujets de race, de religion et d’ethnicité. Il appelle à la préservation du « grand peuple russe » en restaurant ses valeurs familiales traditionnelles, ce qui est fondamentalement la même chose que de dire que les Russes doivent se préoccuper de leur population en diminution et qu’ils doivent avoir de plus grandes familles. Dugin a abandonné le Parti Communiste, mais le mouvement eurasiste recommande une économie mixte avec un capitalisme de petite taille et les secteurs stratégiques vitaux sous le contrôle de l’Etat.

Bien que le mouvement eurasiste ne se concentre pas strictement sur l’unité des peuples slaves ou sur une grande Russie, il partage des aspects avec d’autres formes de paneuropéisme et souligne l’importance de l’autodétermination ethnique contre le mondialisme, un autre trait partagé avec la Nouvelle Droite.

Même si le mouvement de Dugin ne peut être identifié d’une façon immédiate comme une forme de néo-fascisme ou de post-fascisme, à en juger par les commentaires alarmistes faits sur lui par certains groupes politiques juifs, il est considéré comme une menace par certains [10]. C’est une bonne indication que Dugin est sur la bonne voie et que ses ennemis le craignent ainsi que son influence croissante. Dugin est en effet un acteur dans la politique russe.

FONDEMENTS DU MOUVEMENT EURASISTE MODERNE

Au vu des récents événements mondiaux, l’eurasisme a de plus en plus de chances d’être la forme de nationalisme qui prévaudra en Russie et de devenir la nouvelle idée nationale de la Russie. De plus, l’eurasisme pourrait être une nouvelle bannière sous laquelle diverses nations pourront faire des alliances pour servir leurs propres intérêts. L’eurasisme pourrait remplacer le communisme comme idéologie pour contrer la domination américaine dans le monde. Les récentes guerres menées par les Américains ont porté beaucoup de gens à la conclusion que la seule superpuissance du monde, ou hyperpuissance, était hors de contrôle et ne reculera devant rien, quelle que soit l’opinion mondiale, ce qui accélérera probablement la création d’alliances politiques changeantes pour rivaliser avec l’Amérique.

Qu’est-ce exactement que le mouvement eurasiste ? La meilleure et la plus courte description de l’eurasisme est qu’il est un mouvement ayant ses racines dans la question historique du destin et du rôle de la Russie dans le monde, combinée avec l’opposition au mondialisme et à la domination américaine. Les dirigeants russes ont toujours débattu pour savoir si la Russie faisait ou non partie de l’Occident, de l’Orient, ou si elle était quelque chose d’uniquement russe. Comme cela a été dit plus haut, l’opposition entre slavophiles et réformateurs fut un premier exemple de cela. Les eurasistes soutiennent le point de vue géopolitique que le rôle de la Russie est celui d’un noyau intégrateur dans un bloc continental, le heartland [espace-noyau] eurasien [11]. L’objectif des eurasistes est de créer un bloc dominé par la Russie, s’étendant du Levant jusqu’à la région Asie-Pacifique. Reflétant les idées slavophiles, Dugin écrit que « l’originalité de la Russie, sa différence avec l’Occident comme avec l’Orient, est une valeur positive. Elle doit être sauvée, développée, et entretenue » [12].

Pour ces géopoliticiens, le monde est divisé entre terre et mer, entre civilisations continentales et océaniques. Des exemples historiques sont Carthage et Rome, Sparte et Athènes, et l’Angleterre et l’Allemagne. Traditionnellement, la Russie, l’Allemagne et la France ont rivalisé pour la domination du continent eurasien, ce qui bénéficia à l’Angleterre. Quand les géostratèges britanniques regardèrent leurs cartes aux 18ème et 19ème siècles, ils remarquèrent que l’Eurasie était de loin le plus grand continent du monde, et que pour établir un empire mondial ils devaient d’abord établir des positions sur le continent, ce qui entraîna un conflit avec la Russie. La Russie contrôlait l’Eurasie, et l’Eurasie était la clé pour un empire mondial. Au 19ème siècle et au début du 20ème siècle, le conflit entre la Russie et la Grande-Bretagne se déroula sur la frontière indienne, notamment en Afghanistan.

Si les puissances continentales devaient former un bloc unifié, l’Amérique et l’Angleterre verraient leur importance géopolitique radicalement réduite. Cela peut se voir dans les efforts de l’Administration américaine pour utiliser la Russie comme un contrepoids contre l’Union Européenne. Du fait de la géographie unique de la Russie, les eurasistes envisagent une Union eurasienne située entre l’Union Européenne et une Union est-asiatique. Dugin aimerait voir le Japon comme la puissance régionale en Asie, mais comprend que stratégiquement la Chine est beaucoup mieux placée pour former une alliance avec la Russie dans le futur proche et sera en position de défier militairement les Etats-Unis avant toute autre nation asiatique. On peut maintenant constater un renforcement des liens militaires et politiques entre la Russie et la Chine.

L’un des thèmes-clés du mouvement eurasiste est le multipolarisme, un terme qui est le plus souvent utilisé par des adversaires de la domination américaine dans le monde. Le but de ce multipolarisme est de compenser le mondialisme et de remplacer le monde unipolaire dominé par les USA. Le multipolarisme, selon les eurasistes, luttera contre le Nouvel Ordre Mondial. Dugin argue que « les intérêts stratégiques du peuple russe doivent être orientés dans un sens anti-occidental (dérivant de l’impératif de préserver l’identité de la civilisation russe) » [13]. Dès qu’on entend un politicien russe utiliser le mot « multipolarisme », on entend quelqu’un qui a très probablement été influencé par les idées eurasistes modernes. L’ancien Premier Ministre russe Evgueni Primakov, lui-même ancien maître-espion et défenseur des pays islamiques au Moyen-Orient, a souvent adopté les idées eurasistes et parlé de « multipolarité » dans le monde.

Certains nationalistes occidentaux pourraient être tentés de conclure que le mouvement eurasiste encourage le mélange des races et des cultures européenne et asiatique. Je dois souligner ici que Dugin ne défend pas la fusion des cultures et des peuples. Il n’est pas un internationaliste ni un multiculturaliste. Sans aucun doute, il pense qu’il vaut mieux laisser les questions ethniques aux mains de communautés ethniques autonomes [14] ; toutefois, les intérêts géopolitiques doivent être contrôlés par des élites géopolitiques. Chaque sphère d’influence aura son propre centre naturel. D’après les écrits eurasistes, il est clair que cette école de pensée considère le mondialisme et la culture consumériste d’exportation américaine comme des menaces majeures pour la préservation culturelle. Ces craintes sont partagées par la plupart des groupes nationalistes en Europe et par les pays du Tiers-Monde. Ce langage permet aux nationalistes de se présenter comme des libérateurs et des défenseurs des opprimés. Dugin reconnaît que les différentes régions du monde sont formées de civilisations distinctes, autonomes et incommensurables [15]. Le mouvement eurasiste affirme que chaque peuple et groupe ethnique dans le monde a une valeur en soi et a le droit à l’auto-préservation [16]. Il considère que l’extinction physique, la perte de la langue, l’assimilation et la perte de la culture traditionnelle sont des pertes irréparables pour l’humanité. D’après Dugin, « Personne n’a le droit d’obliger un peuple à perdre son unicité dans un ‘melting-pot mondial’ » [17].

L’EURASISME EN PRATIQUE

Il semble que le mouvement eurasiste fasse des progrès significatifs parmi les dirigeants politiques de la Russie. Dugin sert de conseiller en affaires internationales pour plusieurs dirigeants importants de la Douma, y compris le porte-parole communiste Gennady Selezniev ; un ancien conseiller en affaires étrangères du président Eltsine et l’actuel ambassadeur russe en Ouzbékistan, ainsi que le général Nikolaï Klokotov, ancien chef de l’Académie militaire de l’Etat-major, sont affiliés au mouvement eurasiste. Dugin lui-même est professeur de stratégie à l’Académie Militaire russe. Des experts du Conseil de Politique Etrangère et de Défense ont officiellement conclu que pour rétablir la puissance mondiale de la Russie, l’eurasisme doit être adopté [18]. L’ouvrage majeur de Dugin, Russia’s Geopolitical Future, Thinking According to Space [19], est une lecture conseillée dans les académies militaires russes.

L’influence de Dugin peut même être vue dans certaines mesures de politique étrangère du président russe Vladimir Putin. Contrairement à l’ancien président russe Eltsine, qui était généralement vu comme un serviteur des intérêts américains et un homme ayant causé une immense misère en Russie, du point de vue eurasiste Putin a réalisé plusieurs avancées géopolitiques très intelligentes. La Russie a utilisé ses livraisons de gaz naturel pour ramener l’Ukraine dans sa sphère d’influence et a fait savoir qu’elle pourrait cesser de fournir du gaz bon marché aux Etats baltes si elles continuaient à se rapprocher de l’Europe occidentale. Le gouvernement russe utilise également les livraisons de pétrole comme une arme dans ses relations avec la Géorgie et d’autres anciennes républiques soviétiques. Que cela leur plaise ou non, ces pays ont peu d’autre choix que de commercer avec leur voisin géant, parce qu’un embargo sur n’importe lequel de ces pays détruirait simplement son économie. La création de l’Union Economique Eurasienne (UEE) et le renforcement de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) sont deux exemples du renforcement de la position de la Russie. Presque comme si cette déclaration avait été rédigée par Dugin lui-même, Putin a déclaré que « la Russie s’est toujours vue comme une nation eurasiatique » [20]. En Asie Centrale, la Russie de Putin a regagné une partie de son influence de l’ère soviétique en créant une force régionale de réaction rapide sous commandement russe, ce qui donne à la Russie le rôle dirigeant pour la définition des politiques de sécurité de la région. La création de la Communauté Economique Eurasienne (CEE) donne à Moscou une nouvelle sphère d’influence économique.

La chute de l’Union Soviétique a créé une crise idéologique en Russie et dans le reste du monde. Bien qu’elle ait été considérée par beaucoup comme une simple chimère, l’Union Soviétique – et le communisme – était vue par beaucoup de peuples opprimés du Tiers Monde comme leur protectrice et leur donnait l’espoir d’un avenir meilleur et un motif pour combattre. En Russie, la scène politique post-soviétique a manqué d’une idée nationale cohérente pour unifier les Russes et leur donner une croyance autre que celle de la survie personnelle. Pour contribuer à ouvrir la voie à une nouvelle idée nationale, la récente restauration de l’hymne soviétique et du drapeau rouge dans l’Armée russe semble indiquer que Putin tente de créer une nouvelle idéologie pour la Russie en utilisant certains puissants symboles de l’Union Soviétique, ce qui a enchanté les communistes. Pour les Russes, ce sont de puissants rappels de ce qui existait autrefois, la puissance de l’Union Soviétique. De tels gestes symboliques contribuent à ouvrir la voie à une période de transition et à montrer que l’actuel gouvernement n’est pas ouvertement hostile aux idées auxquelles tant de gens ont cru pendant toute leur vie. De manière similaire, le Parti Communiste utilise le langage et les symboles communistes, mais il est en réalité un parti nationaliste russe. En Occident, beaucoup de gens n’aiment pas l’utilisation de symboles soviétiques en Russie. Les cris hystériques des médias occidentaux provoquent des sourires chez beaucoup de Russes.

Depuis que Putin est devenu président, les relations avec la Chine ont continué à se réchauffer, à la fois militairement et économiquement. L’accord d’« amitié et de coopération » à long terme avec la Chine montre les efforts russes pour créer un contrepoids à l’Amérique. Le 27 mai 2003, le président russe Vladimir Putin et le président chinois Hu Jingtao ont signé un accord pour construire un pipeline de 2,5 milliards de dollars pour amener le pétrole russe à travers la taïga sibérienne jusqu’en Chine. Le pipeline fera 2.400 kilomètres jusqu’à la ville de Daking au nord de la Chine. A partir de 2005, le pipeline pourra transporter 30 millions de tonnes de brut par an. Récemment, Putin a déclaré aux médias que « les relations entre la Russie et la Chine ont atteint leur plus haut niveau » [21]. D’après l’accord, qui est parsemé d’idées eurasistes, « la Russie et la Chine sont favorables à un ordre mondial multipolaire, juste et démocratique, [fondé] sur les principes communément reconnus de la loi internationale ». La Russie et la Chine, membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies, ont toutes deux pris position contre la récente guerre en Irak. Lors d’une conférence de presse avec Hu Jingtao, Putin a déclaré que le monde « peut et doit être multipolaire » [22]. Il semble que le président chinois soit prêt à adopter certains aspects de l’idée eurasiste, car elle donne à la Chine le statut de puissance régionale en Asie et un statut de parité pour la puissance mondiale. Le gouvernement chinois appelle souvent à la création d’un monde multipolaire.

Suivant la ligne du plan géopolitique de Dugin, Moscou a soigneusement veillé à renforcer le partenariat stratégique russo-iranien. En mars 2001, le président russe Putin et Mohammed Khatami ont signé un accord de coopération pour 7 milliards de dollars. Dugin aimerait voir l’Iran devenir la puissance régionale au Moyen-Orient, autour de laquelle gravitent plusieurs gouvernements de la région, ce qui oppose clairement la Russie à Israël et à son protecteur. On peut aussi voir la main de Dugin dans le renforcement des liens entre la Russie et l’Allemagne. Lui-même ancien officier du KGB stationné en Allemagne de l’Est, Putin est très apprécié en Allemagne. Après s’être adressé au Bundestag en allemand parfait, Putin a reçu une ovation. L’Allemagne est actuellement le plus grand investisseur en Russie. Durant la récente guerre contre l’Irak, la Russie s’est jointe à l’Allemagne et à la France pour s’y opposer. Tout en recherchant un appui diplomatique et des échanges commerciaux avec l’Allemagne, Moscou favorise aussi la dépendance européenne vis-à-vis des ressources d’énergie sous contrôle russe en Asie Centrale.

Les leaders politiques russes utilisent de plus en plus souvent les idées et le vocabulaire eurasistes dans leurs discours. L’idée multipolaire est particulièrement attractive et est le concept eurasiste le plus souvent entendu dans les médias russes. Le monde multipolaire doit remplacer le monde unipolaire sous domination américaine, ce qui s’oppose au mondialisme. Pour faire cela, Dugin recommande une série d’alliances stratégiques pour inverser le rapport de force au détriment des Etats-Unis. Il propose que la Russie ne recherche plus l’assistance des USA, ce qui était le cas sous Eltsine, et qu’elle doit plutôt conclure des traités avec l’Europe occidentale. Avec le récent renforcement des liens entre la Russie, la France et l’Allemagne, c’est bien ce qui semble se passer. Comparant l’eurasisme au mondialisme, Dugin écrit : « On pourrait dire que l’eurasisme est la philosophie de la mondialisation multipolaire, appelant à l’union de toutes les sociétés et de tous les peuples sur terre pour bâtir un monde original et authentique, dont chaque composant dérive organiquement de traditions historiques et de cultures locales » [23].

Il est important de remarquer que, bien qu’étant hautement critique envers la politique étrangère de l’Amérique, le mouvement eurasiste n’appelle pas à la destruction des Etats-Unis et considère que l’Amérique devra avoir un rôle régional dans un monde multipolaire. D’après le plan géopolitique eurasiste, le monde sera divisé en quatre zones géoéconomiques. La zone euro-africaine sera une sphère d’influence dominée par l’Europe, incluant l’Union Européenne, l’Afrique arabo-islamique et l’Afrique sub-tropicale. La zone Asie-Pacifique inclura les pays d’Asie du sud-est, l’Indochine, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La zone continentale eurasienne inclura la Russie, les pays de la Communauté des Etats Indépendants, certains pays islamiques, l’Inde et la Chine. La zone américaine inclura l’Amérique du Nord, l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud. A l’intérieur de chacune de ces zones économiques, Dugin envisage des sphères d’influence, ou ce qu’il appelle des « grands espaces ». Par exemple, il voit la Chine, l’Inde et la Russie comme trois « grands espaces » différents avec des traditions culturelles et historiques différentes. Dans ce nouveau monde multipolaire, l’Amérique jouera un rôle constructif dans l’hémisphère occidental et la Russie établira des relations avec les zones euro-africaine et Asie-Pacifique.

D’après Dugin, on peut soutenir les concepts du mouvement eurasiste sans être russe ni même européen. Même les Américains qui souhaitent voir un monde multipolaire et qui acceptent la vision eurasiste d’autodétermination et de pluralisme ethnique sont les bienvenus :

« Dans son sens le plus élevé et le plus large, l’eurasisme acquiert une nouvelle signification extraordinaire. Maintenant il n’est pas seulement la forme de l’idée nationale pour la Russie post-communiste (tel qu’il était considéré par les pères fondateurs du mouvement et les néo-eurasistes contemporains durant la première phase), mais un vaste programme d’importance universelle et planétaire dépassant de loin les frontières de la Russie du continent eurasien de la même façon que le concept d’américanisme peut être aujourd’hui appliqué à des régions géographiques se trouvant au-delà des frontières du continent américain. L’eurasisme signifie un choix civilisationnel, culturel, philosophique, stratégique particulier, qui peut être fait par n’importe quel représentant de l’humanité, quel que soit l’endroit de la planète où il vit, ou la culture nationale et spirituelle à laquelle il appartient. »

Par conséquent, l’idée eurasiste peut être soutenue par des non-Russes, même par nous Américains, aussi bien que les Russes.

Un aspect de l’idée eurasiste que beaucoup de nationalistes n’aimeront peut-être pas est l’acceptation de la fin de l’Etat-nation moderne. Je comprends que cela est très difficile pour beaucoup ; néanmoins, en termes de survie pure, il vaut mieux s’adapter et survivre plutôt que décliner en luttant contre le temps. En ce jour et en cette époque, le mondialisme ne peut être stoppé que par un mouvement de puissance égale. Les mouvements nationalistes indépendants peuvent faire beaucoup pour perturber l’actuelle tendance vers un Nouvel Ordre Mondial, mais très peu de pays ont les ressources et la puissance pour résister à la mondialisation. C’est un peu comme la différence entre un conservateur et un révolutionnaire. On peut en voir un bon exemple dans l’Union Européenne. La raison pour laquelle beaucoup de gens s’opposent à l’Union Européenne est celle des dommages qu’elle cause aux nations membres. Cependant, si l’Union Européenne était contrôlée par des leaders ayant à cœur les meilleurs intérêts de leur peuple, elle ne serait pas du tout une mauvaise idée. Les gens qu’il faut pourraient transformer l’Union Européenne en un organisme paneuropéen qui se penserait comme européen et se conduirait en conséquence. Les eurasistes pensent que la destruction de l’Etat-nation tel que nous le connaissons ne peut pas être empêché dans des conditions modernes et que la menace de la mondialisation ne permettra pas de simplement défendre le statu quo. Ils pensent que le futur verra de nouveaux organismes politiques combinant l’unification stratégique des sphères d’influence avec un système multidimensionnel complexe d’autonomies nationales, culturelles et économiques à l’intérieur de chaque sphère. Dugin donne les exemples suivants : l’empire romain, l’empire d’Alexandre le Grand, l’Union Européenne, et la Communauté des Etats Indépendants.

En réponse à la menace de mondialisation, Dugin pense que les Etats-nations ont le choix entre trois options : (1) auto-liquidation et intégration dans le Nouvel Ordre Mondial mondialisé sous domination américaine ; (2) tenter de s’opposer à la mondialisation et préserver les actuelles structures administratives ; ou (3) créer des organismes supra-étatiques sur la base de communautés historiques, civilisationnelles et stratégiques. Dugin pense que la meilleure option pour la survie est la troisième.

Les eurasistes suggèrent la division des pouvoirs suivante : locaux et stratégiques. Au niveau local, les gouvernements gouverneront en accord avec les autonomies, qui seront choisies en se basant sur la tradition et sur la volonté des « collectivités organiques », sociétés, groupes ethniques et organisations religieuses. Ces gouvernements locaux auront le contrôle des questions civiles et administratives, du domaine social, de l’éducation et de la médecine, et de l’économie locale. D’après les eurasistes, sous de tels gouvernements locaux, le niveau de liberté sera très élevé, et un développement créatif sera vu comme aucun auparavant. A l’intérieur de chaque sphère d’influence, comme une Union Eurasienne, les questions de sécurité stratégique et les activités internationales, ainsi que le contrôle des ressources stratégiques, seront contrôlées par un centre stratégique. On peut aisément deviner que la Russie sera le centre stratégique de l’Union Eurasienne.

Il peut sembler que les eurasistes se concentrent sur la politique étrangère russe et écrivent peu sur la politique intérieure. Si des partis politiques comme le PNB et le Parti Communiste sont plus centrés sur les problèmes intérieurs que les eurasistes, le mouvement de Dugin propose des priorités pour la politique intérieure russe, une économie mixte d’une part et une autonomie culturelle maximale d’autre part.

Le mouvement eurasiste est-il simplement un plan géopolitique ou est-il une véritable idéologie sous laquelle les gens peuvent s’unir ? En combinant des idées partagées par la plupart des gens et en habillant de vieilles idées sous de nouveaux noms, le mouvement eurasiste se transforme en une idéologie d’Etat sous laquelle la majorité des Russes peuvent s’unir et que les patriotes étrangers peuvent soutenir. L’eurasisme rejette beaucoup de choses que les communistes et les nationalistes rejettent. Il reprend l’idée slavophile selon laquelle la Russie doit suivre sa propre destinée unique. Il rejette le capitalisme mondial, le consumérisme et la démocratie libérale. Il vise à créer un Etat russe fort et centralisé et à élargir la sphère d’influence de Moscou. Il cherche à s’opposer à la domination politique américaine. Dans son article, « Pourquoi nous ne les aimons pas », Dugin remarque que « rien n’est aussi populaire aujourd’hui en Russie que de ne pas aimer l’Amérique ». Il écrit que la droite russe déteste les Etats-Unis pour leur libéralisme et leurs valeurs mondialistes, alors que la gauche russe déteste l’Amérique pour être le rempart du capitalisme international et de l’économie de marché, qui sont le résultat des réformes imposées à la Russie pendant les années 90, soutenues à fond par les Etats-Unis. Dans son article, Dugin conclut que « l’anti-américanisme pourrait être une plate-forme fiable pour la consolidation de toute la société russe ».

Le mouvement eurasiste appelle aussi à sévir contre les oligarques de l’époque Eltsine, ce que Putin tente effectivement de faire (même après que l’oligarque juif Boris Berezovsky ait contribué au financement de sa première campagne électorale, Putin n’eut pas de problème pour lancer des actions judiciaires contre lui). Il défend le droit à l’autodétermination ethnique, un trait qu’il partage avec la « Nouvelle Droite » en Europe avec son « pluralisme ethnique ». Il semble aussi mettre l’accent sur le christianisme orthodoxe comme religion russe traditionnelle, ce qui est essentiel pour tout mouvement politique important en Russie. Même le leader du Parti Communiste, Zyuganov, prétend être orthodoxe.

VERS L’EURASIE

Actuellement, le mouvement eurasiste semble être le mouvement nationaliste le plus à même de parvenir au pouvoir en Russie. Le fait qu’il court-circuite le processus électoral en influençant les gens qui font la politique étrangère lui donne un avantage sur les autres mouvements monarchistes, communistes ou nationalistes qui cherchent à atteindre le pouvoir par la démocratie. Il reste à voir si c’est simplement une phase ou si la Russie tentera réellement de mettre en œuvre le plan géopolitique de Dugin.

Si Putin est réélu pour un second mandat, ce qui sera presque certainement le cas, il aura les mains libres pour prendre des décisions audacieuses et pour installer plus de ses partisans dans la hiérarchie de pouvoir du gouvernement russe. Il pourra traiter avec les oligarques sans aucune crainte, ce qui le rendra extrêmement populaire ainsi que son gouvernement. Comme le gouvernement russe adopte beaucoup de la rhétorique politique des groupes nationalistes et répond à beaucoup de leurs préoccupations, il est peu probable qu’une organisation peu enracinée obtiendra assez de soutien populaire pour gagner assez de sièges à la Douma pour faire une différence. Le Parti Communiste pourrait devenir plus radical dans une tentative de déborder le gouvernement, mais il n’a pas d’espoir de battre le président Putin, qui est extrêmement populaire, dans la prochaine élection. Actuellement, le Parti Communiste est simplement une opposition utile pour le Kremlin. Il peut simplement espérer obliger le gouvernement russe à adopter certaines de ses idées. Il servira simplement de parti faire-valoir.

Le récent succès du bloc « Rodina » (« mère-patrie »), dirigé par des anciens membres du Parti Communiste, a démontré un glissement dans le paysage politique russe. Rodina a obtenu 9% des suffrages lors des élections pour la Douma en 2004, ce qui est plus que le score des deux partis « libéraux » soutenus par l’Occident, « Yabloko » et le SPS. Il y a beaucoup de spéculations autour de cette nouvelle force politique. Certains considèrent Rodina comme une création du Kremlin pour prendre des voix au Parti Communiste. D’autres voient Rodina comme un moyen de permettre au Kremlin d’apparaître « modéré » à coté d’une voix plus extrême – bien qu’amicale envers le Kremlin – proposant des mesures radicales. Rodina a proposé que l’Etat confisque les biens volés par les oligarques. De même, après le récent attentat à la bombe dans le métro, des membres de Rodina ont clamé leur appui à des mesures pour sévir contre les minorités ethniques illégales. Alors qu’on ne connaît pas grand-chose de Rodina, celui-ci semble être une force politique sérieuse. D’une certaine manière, il permet aux Russes de soutenir un parti qui propose une grande partie des choses proposées par le Parti Communiste, tout en n’étant pas « communiste ». Il a aussi, jusqu’ici, une image beaucoup plus sérieuse que Jirinovski et son LDPR [Parti libéral-démocrate].

La menace croissante de la domination et de l’agression américaines dans le monde permettra à la Russie de s’affirmer dans les affaires mondiales et lui permettra de remplir son rôle de « sauveur » en lequel les nationalistes russes ont si longtemps cru. La dénommée « vieille Europe » sera plus désireuse de passer des accords avec Moscou pour s’opposer à l’hyperpuissance. Des nations comme l’Iran, la Syrie et la Corée du Nord seront de plus en plus inquiètes pour leur sécurité et rechercheront l’assistance russe pour renforcer leurs défenses. Maintenant que la machine militaire américaine a détruit l’Irak et a des bases à portée de frappe de l’Iran et de la Syrie, Israël est la puissance dominante au Moyen-Orient, ce qui obligera d’autres pays de la région à rechercher une protection et à augmenter leurs dépenses militaires.

Il est évident que des changements géopolitiques majeurs se produiront bientôt, peut-être plus tôt que prévu. La politique américaine pourrait devenir plus isolationniste dans les années à venir, dès que le peuple américain comprendra à quel point la machine militaire américaine est en surtension et si les difficultés de l’économie américaine continuent à s’aggraver, en partie à cause des milliards de dollars qui seront nécessaires pour rebâtir l’Irak et poursuivre l’actuelle politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Il est hautement probable que le ressentiment s’accroîtra et que davantage d’attaques terroristes seront menées contre des cibles américaines. Les soldats américains continueront à mourir à un rythme régulier dans de longues guerres d’usure au Moyen-Orient et en Afghanistan. Les Etats-Unis seront obligés de faire un pas en arrière, et cela permettra un nouvel équilibre des forces et un monde multipolaire, que la Russie contribuera à créer.

Prédire l’avenir est très difficile. Lors de la prochaine élection présidentielle, nous en Amérique pourrions entendre des politiciens promettre de « ramener nos boys à la maison ». Les Américains pourraient commencer à se demander pourquoi tant d’argent est dépensé pour la croisade de l’Amérique et si cet argent ne pourrait pas être mieux utilisé pour reconstruire l’Amérique. Le cours des événements peut changer le climat politique de 180 degrés. Une chose est certaine : une forme de nationalisme russe émergera, et elle portera probablement le nom de démocratie. A mon avis, il n’y a pas de doute que la future Russie sera un Etat fort, autocratique, pro-russe et, au minimum, une puissance régionale. La Russie est actuellement la nation la plus riche en ressources dans le monde et a le potentiel pour devenir très riche. A ce niveau, c’est simplement une question de volonté.

FIN DE L’EMPIRE AMERICAIN = DEBUT D’UN NOUVEAU MONDE

Pour les patriotes américains, la chute de l’empire américain pourrait ne pas être une bonne nouvelle. Il est naturel pour un patriote de vouloir soutenir son gouvernement, surtout quand de jeunes hommes sont envoyés au casse-pipe, mais demandez-vous au profit de quels intérêts nos hommes meurent. Est-ce vraiment digne du sang des patriotes de protéger l’économie de marché, un apport régulier de pétrole, le multiculturalisme, la suprématie militaire, et l’Etat paria nommé Israël ? D’autres pourraient aimer l’idée d’un monde dominé par l’Amérique, avec partout le libre-échange et une culture cosmopolite, universelle, matérialiste. Nous devons nous rappeler que l’empire américain est loin d’être « américain » et que nos actuelles politiques culturelle et étrangère ont peu à voir avec ce qu’on considère traditionnellement comme américain et travaillent en réalité contre les meilleurs intérêts du peuple américain. Beaucoup de soi-disant « Américains » aimeraient installer des régimes fantoches amis d’Israël dans tous les Etats du Moyen-Orient et sont parfaitement prêts à sacrifier vos fils et vos filles dans ce but. Néanmoins, pour les Américains qui rêvent d’une Amérique patriotique recherchant d’abord ses propres intérêts et qui ne soit pas haïe par presque le monde entier, plus tôt finira l’empire américain, mieux cela vaudra. Un nouvel équilibre des forces serait vraiment une bonne nouvelle.

Il se pourrait très bien que le destin de « Troisième Rome » de la Mère Russie sauve effectivement l’Occident et que le monde devienne multipolaire. Tous les empires ont une fin, et l’empire américain attend simplement son tour. La diplomatie du dollar et la puissance militaire brutale peuvent être efficaces à court terme ; à long terme, cependant, l’Amérique sera dépassée, et de nombreuses nations, telles que la Russie, attendront leur chance de se réaffirmer dans les affaires mondiales. Bien sûr, cela pourrait simplement être un vœu pieux, et le monde pourrait passer par une période beaucoup plus douloureuse et sanglante avant que la situation ne s’améliore. Par exemple, certains pays dans le monde pourraient vouloir utiliser des armes nucléaires plutôt que de laisser changer l’actuel statu quo. C’est quelque chose que nous devons prendre sérieusement en compte et nous devons agir en conséquence. Cependant, il faut souhaiter que tout se passe au mieux et croire qu’un jour un monde meilleur pourra exister.

Bien que l’idée eurasiste pourrait n’être qu’un rêve utopique de plus, les rêves sont ce qui motive les gens et qui leur donne le courage de combattre plutôt que d’accepter simplement un lent et confortable suicide, ce qui est la situation où nous nous trouvons actuellement. Parce que je reconnais que l’idée eurasiste est une alternative au Nouvel Ordre Mondial sans âme où la culture est préemballée et que nous sommes des esclaves déracinés vivant dans le village mondial capitaliste dont rêvent les ennemis de notre peuple, et devant le choix entre s’adapter et entreprendre et simplement accepter que les choses demeurent les mêmes, toutes les idées nouvelles pour combattre la situation actuelle et créer un ordre différent dans le monde sont les bienvenues. Je ne peux que souhaiter le succès au mouvement eurasiste. Il semble être une lueur d’espoir dans ce monde obscur, troublé, dépressif, toujours changeant. Si les Russes peuvent changer cela, ça sera certainement mieux que l’alternative. Le temps de combattre est attendu depuis longtemps. Eurasie lève-toi !



[Personne ne peut douter que l’idée d’un monde multipolaire puisse offrir de l’espoir aux peuples du monde afin d’échapper au mondialisme agressif, à la perte d’identité et d’intégrité génétique, et à la domination de la prétendue élite juive qui domine actuellement les Etats-Unis. Mais le rejet relatif de la race biologique par Dugin est troublant, ainsi que son désir de courtiser le minuscule élément non-européen dans l’une des plus grandes nations blanches de la terre. Encore plus perturbant est son désir apparent, en 2001, de faire une alliance au moins théorique entre son « Eurasie » et Israël. Cependant, la politique est l’art du possible. Et pour le moment l’influence des idées de Dugin sur l’élite russe semble la préserver de l’absorption dans la structure de pouvoir pathologiquement anti-blanche qui, paradoxalement, est encore appelée « Occident » dans le langage populaire. – K.A.S.]


NOTES

1. N.S. Trubetzkoy, “The Upper and Lower Stories of Russian Culture,” in his The Legacy of Ghengis Khan and other Essays on Russia’s Identity, pp. 96, 99.
2. Sondage du VCIOM, Centre Pan-russe pour l’Etude de l’Opinion Publique, 2-5 novembre 2001.
3. “The Lure of the East,” Wiener Library Bulletin, avril 1962.
4. Trois interviews avec Alain de Benoist, Telos, hiver 1993-printemps 1994, p. 189.
5. Pierre-Andre Taguieff, “The New Right’s View of European Identity,” Telos, hiver 1993-printemps 1994, p. 108.
6. Zyuganov cité dans Spotlight, 20 mai 1996.
7. Martin Lee. The Beast Reawakens, p. 320. Je recommande fortement ce livre pour ceux qui s’intéressent aux mouvements nationalistes d’après la Seconde guerre en Europe et en Amérique. Bien qu’écrit d’un point de vue très critique, ce livre est une superbe source d’information.
8. Alexander Dugin, “The Eurasia Movement at a Difficult Stage.”
9. Alexander Dugin “The outcome of the political conference of the movement EURASIA,” 1er mars 2002.
10. fsumonitor
11. Je me rappelle avoir vu un film américain de propagande de la Seconde guerre qui affirmait que les géopoliticiens allemands avaient un plan secret pour dominer le monde en dominant d’abord le heartland eurasien. Il semble que la politique américaine de l’après-guerre ait largement été de diviser l’Europe. Beaucoup ont dit que le véritable but de l’OTAN était de garder l’Amérique dedans, les Russes dehors, et les Allemands en dessous. Nous entendons maintenant les termes « nouvelle » et « vieille » Europe utilisés pour décrire les pays qui soutiennent ou qui s’opposent à la politique de Washington.
12. Discours de Dugin au Congrès Constituant du Parti EURASIA le 1er mars 2002.
13. Alexander Dugin, Osnovi Geopolitiki: Geopoliticheskoyo Budushiye Rossii, p. 190.
14. L’histoire a prouvé que, si on leur laisse le choix, la plupart des gens tendent à se regrouper d’après la similarité. Les gens s’identifient de manière naturelle à de plus grands groupes et ne se considèrent pas eux-mêmes comme de simples consommateurs individuels.
15. Alexander Dugin, "Program and Statutes of the Political Party Eurasia."
16. Le problème évident ici est que quand deux groupes sont en conflit pour les mêmes ressources et la même zone géographique, il est très difficile de trouver une solution qui n’implique pas la violence ou l’assimilation de l’un des deux groupes. Cependant, en théorie, c’est un très bon idéal à prendre pour modèle et cela montre au moins que les eurasistes considèrent le droit à l’autodétermination comme fondamental.
17. Alexander Dugin, “Basic Principles of the Eurasist Doctrinal Platform” LIEN
18. RFE/Rl Security Watch, Vol. 2, No. 25, 28 juin 2001.
19. A ma connaissance, cet ouvrage n’a pas été traduit en anglais; cependant, c’est un projet que j’envisage actuellement.
20. Clover, Charles, "Dreams of the Eurasian Heartland," Foreign Affairs, Vol. 78, No. 2, mars-avril 1999, pp. 10-11.
21. Valeria Korchagina and Simon Saradzhyan, “Putin, Hu Sign Off on Oil Pipeline” the Moscow Times, may 28, 2003. La Chine et la Russie ont eu des relations historiquement difficiles et se sont souvent opposées l’une à l’autre. Cela fut exploité par les Etats-Unis, à savoir par Richard Nixon.
22. Ibid.
23. Alexander Dugin, “Basic Principles of the Eurasist (Eurasianism) Doctrinal Platform” LIEN

[*] Erreur de l’auteur; il s’agit bien sûr de Jean Thiriart, le géopoliticien belge, qui n’était d’ailleurs pas formellement membre de la Nouvelle Droite. (NDT)

Publié le 12 février 2004 sur National Vabguard

 
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