
 |
:::::::: histoire :: amérique latine ::
|
Juan Domingo Peron et la révolution cubaine
 |
04/06/02 |
 |
11.38 t.u. |
 |
Javier Iglesias |
|
La présente étude est consacrée à un aspect méconnu du péronisme : l'influence des théories de Peron sur les forces qui déclenchèrent la révolution cubaine dans les années 1940-1950 et notamment sur Fidel Castro.
L'intérêt d'un tel sujet pour nous n'est évidemment pas historique, notre objectif est politique : nous entendons restituer la dimension révolutionnaire, anti-oligarchique et anti-impérialiste de Juan Domingo Peron, ce message de liberté et de justice qui a franchi la frontière argentine pour s'étendre à l'Amérique latine et influer sur toutes les luttes de libération du tiers-monde. Historiquement, Peron est un révolutionnaire, à mille lieues du lion édenté que nous présentent les transfuges libéraux-ménémistes à la solde de l'impérialisme ou un certain néo-justicialisme rose, social-démocratisant qui, malgré ses critiques, partage les visées réactionnaires de Menem et n'aspire finalement à rien d'autre qu'une version petite-bourgeoise, intellectualiste du péronisme, que l'on aurait dépouillé de tous les idéaux nationaux, prolétaires, populaires, tiers-mondistes et révolutionnaires. Face à l'impérialisme et au réformisme des châtrés du centre-gauche argentin, et au faux nationalisme des anti-péronistes, nous entendons ici opposer les valeurs révolutionnaires du seul anti-capitalisme possible après la banqueroute des dictatures bureaucratiques communistes et le triomphe du bloc impérialiste conduit par les super-bandits américains : une troisième voix anticolonialiste, nationale et populaire.
Il faut rappeler ici le message révolutionnaire de Juan Domingo Peron, souligner son actualité et rappeler l'influence du justicialisme sur les premières phases de la révolution castriste : « Cuba peut exercer une influence positive sur la Grande Patrie latino-américaine si elle abandonne les vieilles rengaines marxistes pour reprendre le flambeau du nationalisme révolutionnaire de troisième voie du castrisme initial. Chaque peuple doit lutter pour son émancipation nationale et établir des relations de solidarité avec les autres nations opprimées par l'impérialisme, l'injustice et la réaction.1 »
INTRODUCTION
Le 26 juillet 1953, l'attaque par la guérilla castriste de la caserne Moncada braque l'attention de la presse internationale sur Cuba et sur le massacre, par la police de Batista, d'une centaine de militants révolutionnaires et d'opposants au régime du dictateur.
La réaction du pouvoir ne se fait pas attendre, et la répression est sanglante Plusieurs combattants castristes se réfugient dans l'ambassade argentine. C'est le cas de Raul Martinez Araracas et d'Antonio Lez, responsables d'une attaque contre la caserne de Baymo, menée conjointement à celle de Moncada visant à empêcher la garnison, forte de 400 hommes, de rejoindre les troupes opposées au groupe de Fidel Castro2.
L'ambassade argentine de La Havane accueille également bon nombre de syndicalistes du quotidien officiel Alerta et plusieurs dirigeants politiques suspectés d’être impliqués dans les opérations de guérilla. Ainsi José Pardo Llada, dirigeant du Parti du Peuple Cubain Orthodoxe (dans lequel milite Fidel Castro) et futur combattant de la Sierra Maestra. Llada compte dès cette époque parmi les défenseurs les plus acharnés du péronisme dans l'île caraïbe. Il est notamment l'auteur de plusieurs textes à la gloire d'une troisième voie justicialiste.3
L'évidente bonne volonté du gouvernement péroniste à l'égard des militants anti-Batista contraste avec la position de certains groupes supposés lutter contre la dictature et être animés de sentiments anti-impérialistes et révolutionnaires. C'est ainsi que le très communiste Parti Socialiste Populaire, philo-soviétique, lance contre le castrisme une condamnation sans appel. Dans une adresse aux cadres du parti datée du 30 août 1953, la Carta de la Comision Ejecutiva Nazional del PSP a todo los Organismos del Partido, il juge que l'attaque menée contre la Moncada est « un acte aventureux, désespéré, une tentative de coup d'état bien digne d'une petite bourgeoisie compromise avec le gangstérisme ». Les communistes ne modifieront leur position qu'en juillet 1958, quelques mois après le triomphe final de Fidel Castro, pour passer dans le camp des vainqueurs.
Carlos Franqui porte témoignage des relations entre la guérilla castriste et l'Argentine de Peron. Ce militant de la première heure qui anima la guérilla dans les centres urbains et la Sierra Maestra, avant de s'exiler et d'être nommé secrétaire exécutif du Comité du mouvement du 26 juillet dirigera le quotidien officiel Revolucion après la victoire castriste. Dans un de ses ouvrages4, il rappelle qu'« au début des années 1950 tout au moins, Fidel Castro sympathisait avec l'anti-impérialisme de Peron ». Une sympathie qui débouchera sur des contacts organiques et des rapports tout à fait concrets.
L'EXEMPLE DE LA REVOLUTION PERONISTE
Bien qu'il n'entre pas dans notre propos d'analyser en profondeur la révolution péroniste de 1945-1955, on ne peut comprendre son influence sur les débuts du castrisme si on n'appréhende pas correctement le contexte de l'époque dans toute l'Amérique latine.
Le péronisme s'est emparé du pouvoir contre la volonté des Etats-Unis et des oligarchies locales soutenant l'impérialisme américain. Le slogan « Braden ou Peron » qui symbolisa les débuts du Mouvement National Populaire, dont Peron prit rapidement la direction, trouva son aboutissement dans un anti-impérialisme éminemment concret. Le capitalisme multinational, qui représentait 15,4 % de l'économie argentine en 1945, vit sa portion réduite à 5,1 % dix ans plus tard. Dans le même temps, les profits des multinationales tombaient de 382 millions de dollars par an dans les années 1940-1945 à 34 millions en 1955. La nationalisation des voies de communication, des transports, du système bancaire, des assurances et du commerce extérieur, combinée à une politique volontariste d'industrialisation, eurent pour conséquence la réduction des importations, nécessaire pour rétablir l'indépendance économique qui est la base obligée de la souveraineté nationale et de la justice sociale.
Contre ceux qui affirmaient la nécessité pour les pays « à souveraineté limitée » du tiers-monde de recourir à un apport de capitaux étrangers (dans ce cas précis essentiellement anglo-américains), le péronisme démontra que l'indépendance économique pouvait entraîner une croissance sans précédent. En témoigne le produit national brut, qui passe de 164 millions en 1946 à 277 millions de pesos en 1955, soit un taux de croissance par année de 12 %. Dans le même temps, les chiffres de l'industrie pour les produits manufacturés, l'énergie, les transports et communications passent de 224,1 millions à 324,5 millions de pesos, soit un accroissement de 30 % en dix ans.
On conçoit dans ces conditions qu'à la différence de bien des pays capitalistes, l'Argentine ait joui alors d'une période de prospérité et de plein emploi.
L'indépendance économique et la souveraineté politique auxquelles elle accédait eurent des répercutions considérables sur la population. Le fait était unique dans l'histoire du continent sud-américain.
Le secteur salarié passa de 44,1 % à 57,4 % (il n'est plus aujourd'hui que de 20 %) et l'indice des salaires passa de 100 en 1945 à 164,7 dix ans plus tard. Encore faut-il y ajouter des avantages indirects, mais non moins palpables tels que les oeuvres sociales, les congés payés, les primes annuelles extraordinaires, les colonies de vacances, l'assistance médicale gratuite, la Fondation Eva Peron, la construction d'écoles, d'hôpitaux (114 000 chambres d'hôpital en 1951 contre 15 400 seulement en 1946), d'écoles techniques et d'universités, le contrôle des prix et les succès remportés contre l'analphabétisme qui tombe, en dix ans, de 15 à 3,9 %.
|
1 |
|
|