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Le KKK des années 20, un fascisme de gauche à l'américaine
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04/06/02 |
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4.21 t.u. |
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John Zerzan |
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L’article qui suit fut publié pour la première fois dans le numéro 37 (été 1993) de Anarchy : A Journal of Desire Armed. L’auteur - un anarchiste de premier plan aux USA - y montre que le Klan des années 20 était une force radicale dans la politique américaine et qu’il ne négligeait pas des alliances avec les socialistes, les syndicalistes, les féministes et les mouvements d’extrême-gauche ! Une histoire fascinante d’un proto-tercérisme à l’américaine.
Dans cet article sont présentés quelques aspects étonnants du Ku Klux Klan des années 20, la seule période où celui-ci fut un mouvement de masse. On ne doit en aucune manière considérer ce travail comme une approbation de certains aspects de l’idéologie ou de l’action du Klan à cette période. Cependant, la nature risible du Klan contemporain ne doit pas nous faire oublier ce qui s’est passé il y a 70 ans, souvent d’ailleurs contre la volonté et l’idéologie du Klan lui-même.
Aux USA, le racisme est certainement un des phénomènes les plus crûment réifié. Le Ku Klux Klan des années 20 y fut un des deux ou trois plus importants - et le plus ignoré - mouvement sociaux du XX° siècle. Ces deux point sont l’indispensable préface au travail qui suit.
Ecrivant au début de 1924, Stanley Frost définissait le Klan à l’apogée de sa puissance : «Le Ku Klux Klan est devenu la structure la plus importante, la plus vigoureuse et la plus active en dehors du monde des entreprises» (1). Suivant les sources, les effectifs du KKK varient en 1924 entre deux et huit millions (2).
Et cependant, la nature de ce mouvement a été largement inexplorée ou incomprise. Dans la littérature plutôt mince sur le sujet, le phénomène KKK est habituellement décrit simplement comme du «nativisme». Dans le lexique des historiens orthodoxes, le terme fait référence à un racisme irrationnel et arriéré supposé endémique dans les classes pauvres et peu-éduquées qui referait surface épisodiquement et avec violence. Le livre d’Emerson Loucks The Ku Klux Klan in Pennssylvania : A Study of Nativism est un exemple typique de cette vision des choses. Sa préface débute ainsi : «Le renouveau du KKK et son histoire mouvementée ne sont qu’un des chapitres du nativisme américain», le premier chapitre porte le titre « Les débuts du nativisme » et dans la conclusion de l’ouvrage nous apprenons que «Le nativisme a montré qu’il était éternel» (3).
Kenneth Jackson, dans son livre The Ku Klux Klan in the City, a été un des rares commentateurs à dépasser la thèse du nativisme et à remettre en cause les stéréotypes habituels concernant le Klan. Il affirme ainsi que «L’Empire Invisible des années 20 n’était ni majoritairement sudiste, ni rural, ni suprêmatiste blancs, ni violent» (4). Carl Degler corrobore le non-sudisme : «De manière significative, la seule loi dont on est sur qu’elle fut votée sous la pression du Klan est la loi scolaire d’Oregon. L’Etat le plus sous l’influence du Klan était celui de l’Indiana et celui qui comptait le plus grand nombre de membres du KKK était celui d’Ohio. D’un autre côté, dans certains Etats du sud comme le Mississippi, la Virginie ou la Caroline du Sud le Klan était à peine présent» (5). Les statistiques de Jackson montrent clairement que le Klan a sa base sociale dans le nord des USA et non pas dans le sud, puisque seulement un Etat du sud, le Texas, est présent parmi les huit Etats comptant le plus grand nombre d’adhérents (6). De même tout son livre montre que le Klan est un phénomène urbain et que les dix principales zones urbaines avec la plus grandes présence klaniste sont majoritairement industrielles et sont toutes, sauf une, dans le nord. Il s’agit, par ordre décroissant de Chicago, Indianapolis, Philadelphia-Camden, Detroit, Denver, Portland, Atlanta, Los Angeles-Long Beach, Youngstown-Warren et Pittsburgh-Carnegie (7).
L’idée du KKK comme d’une organisation essentiellement raciste est de la même manière remise en cause par Jakson, de même que par Robert Moats Miller : «Dans de nombreuses zones où le Klan était puissant, la population noire était insignifiante, et il est probable que même si aucun noir n’avait vécu aux USA, une structure du type du Klan serait cependant apparue» (8). Et Robert Duffus, écrivant pour le numéro de juin 1923 de World’s Week, concède que «Si la situation raciale contribue à un état d’esprit favorable au klanisme, curieusement elle n’est pas déterminante dans son développement» (9). Le Klan en fait tentait d’organiser la «division des couleurs» en Indiana et dans d’autres Etats à l’étonnement de l’historienne Kathleen Blee (10). Degler, qui considère à tord que le vigilantisme constitue le coeur de l’action du Klan admet que ses violences - quand elles avaient lieu - «étaient plus souvent dirigées contre des protestants blancs et anglo-saxons que contre des membres des minorités» (11).
Cela nous amène au quatrième et dernier point de la thèse de Jackson, c’est à dire que le Klan n’était pas foncièrement violent. De nouveau ses conclusions semblent valides malgré les images habituelles d’un Klan adepte de la terreur et du lynchage. Les émeutes raciales de 1919, à Saint Louis, Chicago et Washington eurent lieu avant que le KKK ne fut implanté dans ces villes (12) et en 1920 quand le Klan atteint le maximum de sa puissance, le nombre de lynchage aux USA était tombé à la moitié de la moyenne annuelle d’avant la guerre (13) et a une fraction encore plus faible de la moyenne de ceux qui eurent lieu dans l’immédiate après-guerre. Preston Slosson a ainsi pu écrire : «Par une curieuse anomalie, tandis que le Ku Klux Klan renaissait, la vieille coutume américaine du lynchage disparaissait presque totalement» (14).
Une lecture des journaux conservateur Literary Digest et libéral The Nation pour les années 1922-1923 permet de relever divers procès dans lesquels le Klan est accusé de violences qu’il n’a pas commises et est privé de ses droits de manière inconstitutionnelle (15). Ses adversaires comprennent souvent les establishments des Comtés ou des Etats, et sont loin d’être des victimes impuissantes et débonnaires.
Si le Ku Klux Klan, alors n’est ni sudiste, ni rural, ni raciste, ni violent, quelle est donc la véritable nature de cette étrange force qui a acquis si rapidement et si spontanément tant de pouvoir au début des années 20 et qui a décliné si vite a partir de 1925 ? La réponse « nativiste » orthodoxe avance qu’il s’agit juste d’un exemples des efforts futiles, sans suite, périodiques, irréfléchis et réactionnaires des classes sociales inférieures pour s’opposer au progrès. Un « néo-nativisme » prenant en compte les travaux de Jackson admet même que le racisme et la violence ne sont pas déterminant tout en maintenant le point de vue récurrent sur la volonté de restaurer une version droitiste du passé.
Mais une étude sérieuse et approfondie du Klan fait douter de la véracité de ces thèses car le militantisme et les activités progressistes ont souvent précédé, coïncidé ou suivi des campagnes importantes du KKK et ont inclus les même participants. L’Oklahoma, par exemple, connu en environ dix années la montée en puissance puis le déclin de la plus importante section du Parti Socialiste et la création d’un des Klan les plus puissants (16). Dans le Comté de Williamson, en Illinois, lors d’une grève dans une mine de charbon, une foule d’émeutiers racialement mélangés tuèrent vingt non-grévistes. Les autorités locales supportaient les mineurs et refusèrent de poursuivre aucun des participants à ce qui fut nommé le « Massacre d’Herrin » et qui terrifia les USA. Dans les deux années qui suivirent, Herrin et le reste du Comté de Williamson devinrent une place forte du Klan (17). En 1929, les grèves violemment réprimées des ouvriers du textile du piedmont sud des Appalaches, une des luttes ouvrières les plus dure du XX° siècle, eurent lieu dans des villes où le KKK avait une force extrêmement importante (18). Les ouvriers de l’entreprise de pneumatique d’Akron qui furent les premier à utiliser de manière massive, au tout début des années 30, la technique revendicative du sit-down étaient en bonne partie membre de l’importante section du KKK de cette ville (19), ou venaient des Appalaches où le Klan était également fort. En 1934, le Southern Tenant Farmer Union, un syndicat multiracial et très militant fut constitué et eut à subir les violence des milices des grands propriétaires et l’indifférence des ouvriers des villes, or les plus actifs de ses membres étaient d’anciens klansmen (20). De même, on a observé que les plus militants des membres de l’United Auto Workers étaient des membres du KKK (21).
La clef de tous ces exemples d’une loyauté apparemment disparate est une. Comme je vais le montrer, non seulement certains klansmen avaient déjà des idées sociales avancées quand il rejoignirent l’Empire Invisible, mais de surcroît utilisèrent celui-ci comme un véhicule pour des changement sociaux radicaux.
La montée du Klan commence avec l’importante dépression économique de l’automne 1920. Dans le sud, des fermiers désespérés organisés sous la bannière du KKK tentèrent de faire remonter le prix du coton en restreignant les volumes mis en vente. « De l’automne 1920 à l’hiver 1922, des bandes cagoulées écumèrent les campagnes exigeant des entrepôts et des sociétés d’égrenage du coton qu’ils ferment jusqu’à ce que les prix remontent et mettant le feu aux sociétés qui refusaient et passaient outre » (22). Ce furent ces actions qui lancèrent le Klan au niveau national.
La direction du KKK « désavoua et en apparence désapprouva » (24) cet activisme économique agressif et il est intéressant de noter qu’il y eut des tensions et des oppositions entre les dirigeants et les simples membres. En 1933, dans une Maison des Syndicats dans le Sud, Sherwood Anderson questionna un journaliste local sur l’utilisation du Klan dans les luttes économiques : « Cette Maison des Syndicats était utilisée autrefois par le Ku Klux Klan et je demandais au journaliste : - Combien de ces travailleurs du textile appartenaient au KKK ? - Un grand nombre, me répondit-il. Il pensait que le Klan avait été une arme pour les travailleurs quand les USA étaient si prospères »(25). Les dirigeants du Klan ne mirent jamais l’accent sur son côté socialement contestataire, mais ce fut pourtant celui-ci qui attira principalement ses membres, plus que le patriotisme, la religion ou la fraternité (26).
Cela ne veut pas dire qu’il n’y eu pas une multiplicité de raison à la montée en puissance du Klan. Il y avait alors un sentiment largement répandu que la « Glorieuse croisade » de la première guerre mondiale avait été une escroquerie. La monotonie et l’ennuie des vies enrégimentées des travailleurs jouait aussi. Et beaucoup de membres du Klan montrèrent souvent plus d’intérêt à combattre ce qu’ils considéraient comme les causes de l’immoralité que leurs manifestations.
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