:: La guerre fera-t-elle tâche d’huile ?
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24/03/03 |
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Jacques Borde |
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C’est, à n’en pas douter, la question la plus lancinante, pour les “vieux” Européens que nous sommes : quelle extension connaîtra la 2ème Guerre du Golfe ? Guerre Axe/Irak, guerre régionale ou encore guerre contre le “terrorisme” (sic) relancée par les… “terroristes” ? Qui peut le dire avec certitude, même si plusieurs pistes sont envisageables.
Première d’entre elles, sans grande surprise il est vrai, la guerre de Bush Jr, à la différence de celle conduite par papa, verra l’implication directe de l’allié israélien.
J’en veux pour preuve la longue intervention sur le sujet de Moshé Arens. Ministre de la Défense dans le gouvernement Shamir lors de la première Guerre du Golfe, rappelons-le.
En effet, revenant, dans les colonnes d’Ha’aretz, sur ce premier épisode de la Saga guerrière des deux Bush, Arens y est allé de son explication de texte, que je vous livre brut de fonderie :
" Dans la mythologie israélienne, la retenue adoptée à l'époque par le gouvernement Shamir a été perçue comme le summum de la sagesse politique. Mais en se penchant de plus près sur la situation au cours des cinq semaines de guerre, on parvient à des conclusions différentes.
" Nous avions à l'époque quatre bonnes raisons pour ne pas riposter aux attaques irakiennes :
1. La coalition internationale de George Bush père, qui comptait alors des pays arabes, risquait de s'effondrer en cas de réaction israélienne.
2. Le gouvernement Bush refusait toute coordination militaire et opérationnelle avec Israël.
3. Israël ne disposait pas de suffisamment d'informations sur l'Ouest irakien.
4. Une opération si éloignée était risquée et dangereuse pour les soldats israéliens.
(…) Mais plus les jours passaient, plus ces prétextes perdaient de leur valeur. Il s'est avéré, après trois semaines de guerre, que les États-Unis allaient l'emporter et que la coalition de Bush tenait bon. Nous avons réussi à obtenir des informations précises sur l'Ouest irakien et comme la chasse aérienne irakienne avait été détruite, la menace de riposte de Bagdad était limitée. Mais, finalement, alors que nous avions obtenu le feu vert des Américains pour attaquer, Bush a accepté de conclure un cessez-le-feu et l'opération en Irak que nous avions programmée à dû être annulée (…) "(1).
Difficile de ne pas voir ce qui se cache derrière cette pesante démonstration. Bien évidemment, l’idée bien ancrée à Tel-Aviv de, cette fois-ci, ne pas manquer l’hallali contre le Raïs irakien. Car, pour reprendre la conclusion même de Moshé Arens, " Il est évident aujourd'hui que l'absence de riposte de l'État d'Israël a causé un tort certain à la force de dissuasion de Tsahal "(2).
D’ailleurs, pour en savoir plus sur les intentions de l’establishment militaire hiérosolymitan, rien de plus simple : il suffit de demander à ses chefs !
Ainsi, répondant sur le site Internet du Ma’ariv à un internaute lui demandant : " Israël ripostera-t-il ou bien se retiendra-t-il comme en 1991 ? ", le ministre de la Défense israélien, le lieutenant-général (CR) Shaul Mofaz, ne s’est guère privé de répondre qu’ " Avec le recul historique, il est exact de dire que notre politique de retenue en 1991 a affecté notre force de dissuasion. Cette fois, si nous sommes attaqués nous riposterons et nous n'avons pas besoin pour cela d'obtenir l'aval des Américains "(3).
Autre signe dangereusement annonciateur de l’implication israélienne : l’appel massif aux réservistes. Ma’ariv, encore, de préciser, bien qu’il ne soit " pas question de mobilisation générale "(4), que des milliers de réservistes supplémentaires devraient être mobilisés " dans le courant de la semaine "(5).
La remarque est d’importance. En effet, les combats israélo-palestiniens de Naplouse et de Djénine l’ont assez bien démontré. Dans l’état de mobilisation permanente qui est la sienne, Tsava Haganah L'Yisrael (Tsahal) n’a recouru, ces derniers-mois, à des rappels d’hommes surnuméraires que lorsqu’il s’agissait de procéder à des opérations offensives. Et seulement dans ce cas.
Certes, Tel-Aviv, depuis la mise à l’écart des ultra-orthodoxes, est en train de revoir une partie de sa pensée militaire. Comme lorsque Le ministre de l’Intérieur Avraham Poraz (Shinouï, centre), " a pris une mesure concernant les soldats de Tsahal non-juifs qui n’ont pas pu bénéficier de la loi du retour. Ces derniers recevront désormais automatiquement la citoyenneté israélienne à la fin de la première année de leur service "(6).
Mais au-delà du fait qu’on peut désormais s’interroger sur le manque de bras derrière les canons et les fusils des forces occupant les territoires palestiniens, l’appel à de nouveaux réservistes – particulièrement coûteux au plan économique et qui concerne, cette fois-ci, 11 000 réservistes destinés au Commandement du Front Intérieur et aux batteries antiaériennes (rappelés en seulement deux jours) – apparaît davantage comme une mesure tactique dictée par le court terme. En clair, celui de la guerre contre l’Irak…
Notons également que la Misheret Yisrael (police israélienne) a annulé toutes ses congés et déployé des officiers supplémentaires à travers tout le pays pour, dixit la langue de bois locale, " maintenir la sécurité en raison du niveau d'alerte intensifiée ".
Dernier signe avant-coureur d’une guerre annoncé, côté israélien il s’entend, Tsahal avait préventivement " doublé la capacité "(7) de son camp de concentration de Ktziot dans le Néguev, comme l’a révélé Ha’aretz.
Des travaux, qui, s’achevant en avril 2003 (curieusement la période prévue dans l’agenda américano-israélien pour un afflux de prisonniers de guerre… irakiens), permettront d’enfermer à Ktziot 1 200 déportés supplémentaires, qui s’ajouteront aux 1 200 détenus vivant actuellement " dans des conditions précaires sous des tentes "(8).
Il n’est pas prévu à ce stade de " construire des bâtiments en dur pour des raisons financières "(9), selon le journal. Plus de 5 000 Palestiniens arrêtés depuis le début de l’Intifada, commencée fin septembre 2000, sont actuellement sous les verrous et trois mille d’entre eux se trouvent dans des centres de détention militaires.
À qui sont donc destinées ces mesures d’internement arbitraire ? À de nouveaux Palestiniens ? Ou bien à des prisonniers de guerre (voire réfugiés) irakiens ? Rappelons que, pour les Américains, déporter et interner indifféremment civils et militaires est un classique du genre : Camps de concentration nordistes lors de la Civil War (Guerre de Sécession) et lors de la 2ème Guerre Mondiale (réservés aux Nippo-Américains à partir de 1941)…
Autre question, le remake de la via factis US sur l’Irak, aura-t-il des répercussions en Europe ?
Peut-être ? Et pas nécessairement celles auxquelles on aurait pensé en premier lieu.
Ainsi, les SR français attachent-ils une attention toute particulière au devenir des membres du Sazémen-é-Mojahedin-é-Khalq-é-Iran (MKO, Organisation des moudjahiddin du peuple d’Iran) qui, actuellement basés en Irak où ils servent de supplétifs au régime irakien, pourraient être tenté de gagner l’Europe (notamment la France).
Dans quelles proportions ? Rappelons ici que les Mojahedin-é-Khalq-é-Iran comptent plusieurs milliers d’hommes, parfaitement aguerris, stationnés à mi-chemin de la frontière avec leur Iran natal.
Et, surtout, pourquoi ? Simplement échapper aux bombes de l’Oncle Sam ? Ou bien s’y positionner pour le compte d’un nouveau “protecteur” (l’Amérique pour que les choses soient claires). Et, le cas échéant, servir alors à faire éclore sur le sol français, un “terrorisme proche-oriental” difficile à faire prospérer dans des milieux islamistes aujourd’hui de mieux en mieux disposés à l’égard de la France “mère de tous les veto” ?
Mais, de prime abord, la France devrait rester malgré tout à l’abri de cette guerre.
C’est ce que laisse clairement entendre l’éditorialiste de Ma’ariv Ben Caspit, lorsqu’il écrit, se gaussant des Israéliens qui ont décidé d'aller se réfugier en… France, que " Là-bas, au moins, rien ne pourra leur arriver. Saddam ne s'attaque pas à ceux qui lui veulent du bien "(10).
Mais le tableau s’assombrit davantage, regagnée l’autre rive de la Méditerranée. Comme en témoignent ces tirs essuyés (côté israélien) à la frontière israélo-égyptienne, dont s’est fait l’écho, la radio proche des colons, Aroutz Sheva, rapportant que " Deux missiles antichars ont été tirés ce matin, à l’aube, contre une position militaire située à la frontière entre Israël et l’Égypte "(11).
Certaines voix n’hésitent plus désormais à évoquer un embrasement régional. Comme le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Cheikh Naïm Kassem, pour qui la guerre américaine contre l'Irak sera le coup d'envoi d'autres conflit.
En effet, lors d'un colloque organisé par le centre culturel iranien de Beyrouth, Naïm Kassem a estimé que " les États-Unis, en outrepassant les prérogatives du Conseil de sécurité et en lançant une guerre unilatérale et injustifiée contre l'Irak, sans l'aval de la communauté internationale, donnent le coup d'envoi à une crise internationale qui sera marquée par d'autres guerres au Proche-Orient. Les États-Unis renforcent ainsi leur tendance terroriste et leur terrorisme d'État "(12).
Mais, plus directement, ce sont les régimes arabes les plus liés à Washington qui pourraient faire les frais de cet embrasement.
Première visée, la monarchie hachémite où la composante islamiste n’a même pas attendu les premières frappes US pour adopter un ton résolument guerrier.
Ainsi, le secrétaire général du Front de l'action islamique (FAI), Jamil Abou Bakr, n’a pas craint d’affirmer à nos confrères d’Al-Sharq Al-Awsat que " les intérêts américains et israéliens ne seront pas à l’abri d'actes de vengeance. Les peuples arabes deviendront incontrôlables en cas d'agression contre n'importe quel État arabe. Les Jordaniens ne supporteront pas les souffrances qu'endurent les Irakiens et les Palestiniens. Le FAI est un mouvement qui respecte la loi et qui ne verse pas dans la violence. Mais l'effervescence que vit la société jordanienne montre que les intérêts américains et israéliens ne seront pas à l’abri d'actes incontrôlés "(12).
Mais les (mauvaises) surprises ne viennent pas forcément de là où les attend le plus.
Patatras ! À peine opérationnelle, la coalition des opposants irakiens à Saddam, difficilement réunie par Washington, bat déjà de l’aile. Au point que l’opposition chi’ite lâcherait déjà les Américains…
C’est ce que croit savoir le correspondant d’Al-Hayat au Liban, Mohammed Chkeïr, qui, pas plus tard qu’avant-hier, soulignait que " le brouillard qui caractérise la position américaine et les contradictions de Washington concernant l'avenir de l'Irak et l'après-guerre poussent certaines forces de l'opposition chi’ite irakienne à réfléchir sérieusement à quitter la stratégie américaine "(14).
Or, des sources concordantes (chi’ites) libanaises, proches de leurs frères d’Irak d’affirmer qu' " à l'exception du CNI de Chalabi, les autres mouvements de l'opposition se concertent pour quitter le jeu américain "(15).
Il s'agirait notamment du " Conseil suprême de la Révolution islamique et du parti Al-Daawa qui accélèrent leurs concertations en vue de prendre la décision opportune, au vu de l'évolution de la situation et du projet américain réservé au pays, après la chute de Saddam "(16).
Des " concertations " qui " se sont accélérées notamment depuis le récent mini-sommet syro-iranien. Damas et Téhéran pourraient constituer un axe régional soutenant cette opposition réticente vis-à-vis du projet américain. Ils examinent, actuellement, les plans visant à faire face à la situation qui s'annonce "(17).
Comme quoi, les guerres ne se passent que rarement en parfaite concordance avec les plans prévus…
Notes
(1) Ha’aretz (18 mars 03).
(2) Idem.
(3) Ma’ariv (18 mars 03).
(4) Idem.
(5) Idem.
(6) Aroutz Sheva (18 mars 03).
(7) Ha’aretz (17 fév. 03).
(8) Idem.
(9) Idem.
(10) Ma’ariv (19 mars 03).
(11) Aroutz Sheva (19 mars 03).
(12) As-Safir (18 mars 03).
(13) Al-Sharq Al-Awsat (18 mars 03).
(14) Al-Hayat (19 mars 03).
(15) Idem.
(16) Idem.
(17) Idem.
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