:: Retour sur quelques lâchetés arabes
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04/03/03 |
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15.32 t.u. |
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Harb al-Amin |
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Nous avons tous en mémoire les propos récents du chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, qui, rendant hommage à l’action menée par la France pour éviter la guerre en Irak, nous a fait remarquer que " Nous ne pouvons pas demander à la France d’être plus arabe que les Arabes. C’est pourquoi j’espère qu’à la veille de la tenue de leur sommet, les Arabes sauront prendre une position pour le moins proche, pour ne pas dire similaire "(1).
Mais apparemment, son avertissement – voulant que " le monde est aux portes d’un changement, qui serait équivalent à celui de Yalta ou du Congrès de Versailles après la Première Guerre mondiale. Il est donc temps pour les Arabes de faire entendre leur voix "(2) – n’a guère été entendu par ses pairs de la classe politique arabe.
Autant de petites lâchetés que nous rappelle à raison, dans son éditorial, le rédacteur en chef d'Al-Qods Al-Arabi.
Abdelbari Atwan, d’écrire qu'" il y a à peine dix jours, le président Moubarak a affirmé que les Arabes ne peuvent pas arrêter la guerre contre l'Irak ni la reporter. Dès lors, il ne voyait aucun intérêt à convoquer un sommet arabe, qu'il soit ordinaire ou extraordinaire. Il y a cinq jours, le même Moubarak a convoqué un sommet extraordinaire consacré au dossier irakien. La date du sommet est problématique ainsi que son ordre du jour. Le Conseil des ministres des Affaires étrangères s'est achevé avec la publication d’un (…) pauvre communiqué reflétant l'état de l'ordre politique arabe disant que les États arabes refusent toute agression contre l'Irak, comme ils refusent toute atteinte au Koweït (…). Pendant ce temps, 15 millions de manifestants blonds aux yeux verts ou bleus ont marché contre la guerre à travers le monde, mais nous n'avons vu pas un seul brun manifester dans les pays arabes (…). Mais aujourd'hui, c'est le Koweït qui est l'agresseur, en constituant la plus grande base américaine d'où partiront 115 000 soldats à l'assaut de l'Irak. Il a décrété que les deux tiers de son territoire sont une zone militaire fermée (…). De ce fait, il est facile de comprendre que le sommet extraordinaire convoqué par l'Égypte ne vise que deux objectifs : le premier est de donner le feu vert à l'agression américaine contre l'Irak, comme ce fut le cas lors du sommet d'août 1990, le deuxième est au contraire de s'opposer verbalement, et avec fermeté, à cette guerre "(3).
" Pour quelle raison Moubarak a changé d'avis en cinq jours ? ", demande Atwan, faussement ingénu. Mais parce que " le sommet ne va pas décréter une mobilisation générale pour défendre l'Irak, mais au contraire, il vise à tirer les États-Unis de l'impasse dans laquelle ils se trouvent. Et cela en demandant à Saddam d'abdiquer et de s'exiler, en donnant la clé de Bagdad à Tommy Franks, sur un plateau en or "(4).
" Et si Bagdad appelle les forces arabes à le défendre, conformément au Traité de défense commune ? La réponse est nette et précise : personne ne bougera sans l'aval des Américains. Ces derniers veulent que les armées arabes aillent à Bagdad, mais non pour la défendre, mais pour la défoncer… Le sommet arabe vise donc en définitive à entériner le remodelage de la région, selon les intérêts d'Israël, et à consacrer Sharon comme chef incontesté de la région. Et pourquoi pas le transfert du siège de la Ligue arabe à Tel-Aviv ? "(5).
Mais le président égyptien, le lieutenant-général (CR) Hosni Moubarak, n’est pas le seul représentant de l’establishment “arabo-kaki” à réécrire, façon couchée, l’histoire du nationalisme arabe, la presse, elle, vient de nous apprendre que les Émirats (prétendument ?) Arabes Unis déploient carrément leurs chars au… Koweït -
C’est, en effet, Al Watan qui vient de lever un intéressant lièvre. En effet, les ÉAU ont envoyé une " unité mécanisée "(6) au Koweït en attendant l'arrivée de l'armée du Conseil de coopération du Golfe, pompeusement baptisée “bouclier de la Péninsule”.
" Il s'agit de 4 000 hommes et de 50 chars Leclerc, ainsi que de 100 blindés militaires légers russes et une d'unité d'artillerie "(7), précise ce confrère.
Cette mini-armée Vlassov [général russe félon qui commanda, côté hitlérien, une armée d’ex-prisonniers russes, souhaitons aux kollabos 2003, le même sort que leurs prédécesseurs, Ndlr] arabe sera même " renforcé dans les prochains jours par trois frégates équipées de lance-missiles "(8).
Par ailleurs, Al-Watan croit savoir que " le gouvernement koweïtien va demander au Parlement, lors d'une réunion secrète prévue le 1er mars, d'entériner des mesures d'exception, de voter un budget spécial de 500 millions de dollars pour faire face à la situation, et de l'autoriser à arrêter les islamistes suspectés de liens avec Al-Qaïda "(9).
Sans illusions sur ce que représentent encore diplomatiquement nos pays, M'Hamed Ben Youssef nous dresse en dresse un portrait qui fait froid dans le dos, soulignant combien " L'image qu'offre le monde arabe d'aujourd'hui n'est pas sans nous rappeler la fin de l'empire ottoman disloqué en lambeaux à la fin du XIXe siècle. Objet de convoitises du type américain actuel à propos du Golfe, démembré de ses colonies, l'empire de la Sublime Porte fut soumis, alors, au Traité de Berlin (1878), le plaçant sous contrôle des grandes puissances européennes "(10).
Une porte grande-ouverte aux appétits de la thalassocratie US et de ses alliés, dans la mesure où " …les pays arabo-musulmans sont désunis et il ne reste plus qu'à disloquer les riches pays pétroliers. Quant à leurs nouveaux suzerains et ceux du monde, ils ont pour nom Anglo-Saxons et Sionistes. La passivité du monde arabo-musulman est telle – face aux graves injustices de l'Amérique prête à réduire en poussière l'Irak, une des premières civilisations universelles – qu'il a fallu, fait étonnant et frisant le ridicule, l'intervention directe de Chirac auprès de la Ligue arabe “sommant” Amr Moussa de faire quelque chose pour soutenir la position du tandem Paris/Berlin qui a du mal à contenir les visées expansionnistes de Washington au Proche-Orient "(11).
D’où cette analyse, freudienne, de Latifa Ben Mansour, qui, titrant son propos d’un Warum Krieg (pourquoi la guerre ?), emprunté la correspondance de Freud avec Einstein, qui rappelle qu’ " En 1932, sept ans avant le déclenchement de la “Busherie”, la Société des nations, l'ancêtre de l'Onu, avait demandé à des intellectuels de renom de servir la cause de la paix. Aujourd'hui, on observe un retournement de situation déroutant (…). L'Union Soviétique s'étant effondrée, il faudra bien trouver un remplaçant. Les musulmans et les Arabes sont, semble-t-il, si simples à avaler et à se plier au choc des civilisations construit à partir des États-Unis. Si bien que les Algériens ne devront jamais oublier que le totalitarisme qui a sévi et continue dans notre pays a été financé et pensé par les Administrations des États-Unis. Ils ne devront jamais effacer de leur mémoire que les slogans des intégristes algériens étaient rédigés en arabe et en anglais. Ce sont ceux qui accusent les autres d'appartenir à Hizb França qui ont, en réalité, collaboré avec les ennemis de l'Islam et des Arabes "(12).
Pauvres de nous ! Les Quisling des chancelleries arabes seraient bien inspirés de lire des lignes d’Yves Bénoit qui nous fait, fort à propos, remarquer que, derrière l'Irak, se trouvent l’essentiel " des enjeux du XXIe siècle "…
Car, " Il n'est plus concevable désormais d'accepter les méthodes guerrières – qu'elles soient préventives, de défense ou d'attaque – des siècles passés. L'Europe dispose à cet égard d'un capital d'expérience que la génération actuellement au pouvoir est particulièrement à même d'apprécier (…). La proposition de la France et de l'Allemagne donne aux États-Unis une occasion de marquer qu'ils acceptent de bonne grâce les contraintes résultant de l'émergence de leur futur partenaire européen, qui pourrait bien s'avérer essentiel dans de nouvelles circonstances, et de montrer ainsi leur attachement à la poursuite de l'œuvre engagée en 1945 et leur compréhension de leur intérêt à sa réussite ".
Comprendront-ils, ou est-ce encre trop audacieux pour les cerveaux lobotomisés de ces cliques vert-de-gris qui nous gouvernent ? Hélas, leurs dernières lâchetés présagent d’un pire par trop prévisible…
Notes
(1) L’Orient-Le Jour (17 fév. 03).
(2) Idem.
(3) Al-Qods Al-Arabi (18 fév. 03).
(4) Idem.
(5) Idem.
(6) Al-Watan (18 fév. 03).
(7) Idem.
(8) Idem.
(9)
(10) Tunis Hebdo (18 fév. 03).
(11) Idem.
(12) Le Matin (18 fév. 03).
(13) Les Échos (19 fév. 03)
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