:: Un goulag global
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12/02/05 |
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Jonathan Steele |
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Bush envisage la création de prisons à l'étranger pour emprisonner à vie les suspects
Le libération imminente de quatre détenus Britanniques de la prison US de Guantanamo Bay est évidemment une bonne nouvelle, mais il ne s'agit que d'un tout petit cas exceptionnel perdu au milieu d'une vague de mauvaises nouvelles sur le front des droits de l'homme qui vient d'être déclenchée par l'équipe de Bush. Au cours des premiers jours de l'année, deux nouvelles choquantes ont été annoncées.
La première est la révélation que 'Administration ne se considère plus comme le gendarme du monde auto-proclamé, mais aussi comme le gardien de prison de la planète. Elle envisage la création de prisons dans des pays étrangers, principalement ceux qui violent les droits de l'homme, vers lesquels elle pourra discrètement transférer des détenus (condamnés par aucun tribunal) pour le restant de leurs jours - une sorte de goulag global hors d'atteinte de la Croix-Rouge, de tout autre observateur indépendant ou de tout avocat.
La deuxième sont quelques précisions apportées à la pensée d'Alberto Gonzales, nominé par la Maison Blanche au Poste de Ministre de la Justice. Lors des auditions devant le Sénat la semaine dernière, il a montré que non seulement il ne condamnait pas la torture en toutes circonstances, mais qu'en tant que conseiller à la Maison Blanche ces dernières années, il a dirigé plusieurs réunions qui abordaient différentes techniques d'interrogation. Comme l'a souligné Edward Kennedy, et Gonzales ne l'a pas nié, ces techniques incluaient la menace d'être enterré vivant ou d'être attaché à une planche plongée sous l'eau pour faire croire à une noyade.
Depuis sa création après le 11 septembre, le camp de Guantanamo est devenu le symbole de non-liberté, une sorte de concurrent macabre de la Statue de la Liberté dans la vitrine des symboles de l'Amérique. Les rares libérations de prisonniers de ses cages apportent des témoignages directs des horreurs qui s'y déroulent. Il n'est donc pas étonnant que l'administration Bush cherche des endroits moins exposés pour y enfermer ses prisonniers, et les garder enfermés pour toujours afin qu'ils ne puissent pas témoigner.
Les prisonniers de Guantanamo sont détenus par le Ministère de la Défense mais, grâce à un nouveau plan, la plupart des détenus étrangers seront remis entre les mains de la CIA, qui n'est pas soumise à autant de contrôles par le Congrès et ne donne aucun droit d'accès à la Croix-Rouge. Cela concerne des centaines de personnes qui ont été arrêtées ces dernières semaines à Falloujah et dans d'autres villes Irakiennes.
Selon le Washington Post, qui a révélé l'histoire la semaine dernière, une des propositions est la construction de nouvelles prisons en Afghanistan, en Arabie Saoudite et au Yémen. Les autorités de ces pays géreraient ces prisons et devront autoriser le Département d'Etat US à "contrôler le respect des droits humains".
Il s'agit d'une proposition risible, parce que l'objectif de toute cette manoeuvre consiste à réduire ce contrôle. Les agents de la CIA auraient l'autorisation d'interroger les détenus, avec ou sans la collaboration d'interrogateurs étrangers, comme ils le font déjà dans d'autres prisons "hors frontières" sur la base aérienne de Bagram en Afghanistan, sur des navires en haute-mer, en Jordanie, en Egypte et à Diego Garcia.
La politique US qui consiste à confier les détenus à des geôliers et tortionnaires étrangers, appelé "remise", a commencé durant la "guerre contre la drogue" comme un moyen pour arrêter des latino-américains soupçonnés de trafic de drogue et les "travailler un peu" avant de les présenter devant un tribunal US. Ces pratiques se sont multipliées au cours de la "guerre contre le terrorisme". Comme l'a dit un officier de la CIA au Washington Post, "toute cette idée est devenue une perversion des remises. Ce ne sont pas des remises entre les mains de la justice. Ce sont des enlèvements."
Il aurait pu rajouter qu'il s'agissait d'enlèvements à perpétuité. Un haut-officiel US a déclaré au New York Times la semaine dernière que les trois-quarts des 550 prisonniers de Guantanamo ne représentent aucune source d'information valable. Mais ils ne seront pas libérés parce qu'ils représenteraient une menace pour les Etats-Unis. "Nous les maintenons hors du champ de bataille et, malheureusement, dans la guerre contre le terrorisme, le champ de bataille est partout," a-t-il dit.
Depuis l'attaque de Falloujah, les Etats-Unis détiennent 325 non-Irakiens, dont de nombreux Syriens et Saoudiens. Interrogé par la Commission Judiciaire du Sénat, Gonzales a dit que le Ministère de la Justice pensait que ces non-Irakiens n'étaient pas protégés par le Convention de Genève, qui interdit l'extradition de prisonniers du pays où ils sont détenus.
On a appris la semaine dernière que Donald Rumsfeld, le Ministre de la Défense US, avait approuvé la détention secrète de "prisonniers fantômes" en Irak. Ils n'étaient pas inscrits dans les registres montrés à la Croix-Rouge et ont donc perdu toute possibilité de recevoir des visites ou de bénéficier de droits. A présent, de nombreux nouveaux prisonniers pourront potentiellement faire partie d'une nouvelle catégorie de prisonniers encore plus invisibles et expédiés dans des centres de détention secrets situés à 'étranger.
Lors de ses auditions devant le Sénat, tout en affirmant platement son horreur de la torture, Gonzales n'a fourni aucune garantie pour faire cesser ces pratiques. En tant que conseiller de la Maison Blanche, il approuva la circulaire administrative contre la torture d'août 2002 qui définissait la torture d'une manière si étroite que celle-ce paraissait se limiter à "mourir suite à de mauvais traitements". En d'autres termes, si la victime survivait, elle n'avait pas été torturée.
La circulaire affirmait aussi qu'il n'y avait torture que lorsque l'intention était d'infliger la souffrance. Si la souffrance était intentionnellement appliquée pour obtenir des informations ou des aveux, ce n'était plus de la torture. Grâce à cette définition étroite, les officiels US ont systématiquement eu recours aux traitements inhumains sur les prisonniers - bien au-delà de quelques soi-disant bavures révélées par les photos d'Abou Ghraib - tout en affirmant qu'il ne s'agissait pas de torture.
Quelques jours avant l'audition de Gonzales devant le Sénat, le Département de la Justice corrigea précipitamment la circulaire pour y inclure certaines techniques considérées comme de la torture, et par conséquent interdites. Mais lors des auditions, Gonzales a refusé de répondre clairement à la question de savoir si, selon lui, les troupes ou interrogateurs états-uniens pouvaient légalement se livrer ou non à la torture et ce quelles que soient les circonstances.
Un des points forts des auditions fut l'apparition de Douglas Johnson, directeur du Centre pour les Victimes de la Torture. Il souligna que la nouvelle circulaire ne fournissait pas d'indications précises sur quelles étaient les techniques d'interrogation et de détention applicables. Il souligna aussi que la torture ne donnait pas de résultats fiables et qu'elle corrompait les auteurs de tels actes.
La torture psychologique provoquait plus de dégâts que la torture physique a-t-il dit. Les interviews des victimes montraient la persistance, pendant des dizaines d'années, de dépressions et de cauchemars récurrents souvent liés aux souvenirs d'exécutions simulées (comme celle de la planche sous l'eau) et aux scénarios d'humiliations plus qu'aux violences purement physiques.
Il ne semble pas que ces arguments aient impressionné celui que Bush veut nommer comme le chef de la Justice des Etats-Unis. Pas plus que l'on ne s'attend à ce que le Sénat rejette sa nomination. Bonne Année 2005 dans la guerre contre le terrorisme.
Jonathan Steele
14 janvier 2005
The Guardian
[email protected]
guardian.co.uk
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