Le monde vu de ma cellule (1)
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18/01/03 |
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20.41 t.u. |
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Michel Lajoye |
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Fin 2002, l'actualité politico activiste a été dominée par la rocambolesque évasion de Ibon Fernandez Iradi, chef militaire de l'ETA, du commissariat de Bayonne où il était en garde-à-vue. Il se peut que la version officielle qui a été donnée de cette évasion soit la vraie, c'est-à-dire que le prisonnier est sorti par une sorte de lucarne d'aération donnant sur un couloir dont la porte n'était pas fermée. Ceux qui connaissent les pratiques en usage durant les gardes-à-vue peuvent légitiment être suspicieux et s'étonner de cette facilité. D'autant plus que la qualité du prisonnier rend peu crédible ce manque de surveillance dont il était l'objet (ce ne serait que plusieurs heures après que les policiers se seraient aperçus de la disparition). Un retour dans le passé démontre qu'il faut rester vigilant, car ce n'est pas la première « évasion » ou disparition, suite à une arrestation ou durant une garde-à-vue.
Dans les années 80, le nationaliste basque surnommé « Popo » fut intercepté par une unité des services spéciaux de l'armée, mais cette interpellation ne fut jamais officialisée, puisqu'il s'agissait en réalité d'un enlèvement. « Popo » détenait des renseignements précieux sur son organisation, il ne les aurait jamais livrés au cours d'une garde-à-vue classique tel que le Code de Procédure Pénale les régit. Dès lors, il a eu le droit à du très particulier. Pas de la torture proprement dite, car en France on sait faire cela proprement, avec une seringue... À l'issue de son interrogatoire très spécial, « Popo » a été liquidé, les autorités ne pouvaient pas décemment le remettre dans la nature, encore moins le déférer à la justice pour qu'il raconte ce qu'il venait de subir. Aujourd'hui encore, officiellement, « Popo » est considéré comme en fuite et fait même, tartuferie suprême, l'objet d'une fiche de recherche ! Ses amis nationalistes basques savent à quoi s'en tenir, et les anciens des services spéciaux qui étaient en poste dans le Sud-ouest dans les années 80, encore plus !
Toujours dans les années 80, dans une affaire qui me concerne, le dénommé Christophe Arcini qui était mon « binôme » s'est, soi disant, enfui alors que la police judiciaire se livrait à une perquisition à son domicile. Ceux qui ont lu mon livre « 20 ans : condamné à la prison à vie », Éditions Dualpha, savent qu'en fait d'évasion il s'agissait d'une subtile remise en liberté d'un agent des services spéciaux, infiltré, et qui devait aller reprendre ses activités, en l'occurrence me faire arrêter.
Dans son livre « Guerres secrètes à l'Élysée », Éditions Albin Michel, le capitaine Paul Barril évoque ce qui fut la garde-à-vue la plus longue de l'histoire judiciaire : un homme séquestré durant des mois dans la cave du domicile privé d'un fonctionnaire de police qui l'a interrogé à loisirs, puis l'a liquidé après avoir appris ce qu'il voulait savoir.
En août dernier, s'est évadé de la prison de La Santé un autre activiste de l'ETA. Version officielle : il a échangé sa place avec son frère venu le visiter au parloir. Quand on sait que dans les grandes prisons les détenus sont « tatoués » sur le dessus de la main à l'aide d'un tampon enduit d'encre indélébile seulement visibles aux rayons, on peut s'étonner qu'au retour de ce prisonnier très surveillé les gardiens ne se soient pas rendu compte que celui qui revenait du parloir n'était plus « tatoué » avec le code du jour (car il change quotidiennement). Quelque mois après cette étrange évasion, les langues commencent à se délier, des détenus présents à La Santé à l'époque et qui sont aujourd'hui dans d'autres établissements, ont pu raconter l'étrange manque de zèle des surveillants ce jour là aux parloirs de la prison. Ce n'est qu'une rumeur carcérale qui doit être prise avec circonspection,
il peut s'agir de mythomanes qui veulent se faire mousser en prétendant savoir. Cependant, il arrive parfois que ce qui se dit en prison sur telle ou telle « évasion » soit la vérité...
Inutile de développer d'autres exemples de disparition et « d'évasions » durant des gardes-à-vue ou par la suite durant les premiers temps d'une détention, ce n'est pas ce qui manque. Il ne faut pas se leurrer sur les méthodes des polices politiques. Dès lors qu'un activiste détient des renseignements qui intéressent, il est susceptible de se faire enlever, voire de disparaître (après s'être « évadé » comme Fernandez ?) durant sa garde-à-vue afin d'être interrogé de façon moins procédural. Par ailleurs, l'infiltration au sein de l'ETA n'est pas moindre que dans les autres mouvements activistes. Ce qui veut dire qu'après le démantèlement d'une branche d'un groupe, celui qui a aidé à faire interpeller ses camarades doit être remis en liberté d'une façon ou d'une autre. Cela fait partie du contrat, ne pas le respecter serait compromettre les opérations futures, puisqu'il serait alors difficile de recruter un nouvel agent si celui-ci n'avait pas l'assurance d'une prompte libération. Comme il est impossible à la justice de remettre en liberté, légalement, un agent infiltré sans révéler qu'il en est : ne reste plus que « l’évasion »...
En conséquence, je me garderai bien de tirer des conclusions définitives sur la rocambolesque disparition de Fernandez du commissariat de Bayonne. Il se peut qu'il se soit réellement évadé, il a pu être aussi enlevé pour « interrogatoires complémentaires » du style de ceux qu'a subis « Popo » ; soit encore l'agent infiltré Fernandez a été discrètement remis en liberté, tel un Christophe Arcini.
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