Le monde vu de ma cellule (2)
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26/01/03 |
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6.31 t.u. |
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Michel Lajoye |
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L'année 2003 débute comme a fini 2002. Après cette louche évasion d'un dirigeant de l'ETA du commissariat de Bayonne, c'est donc cette « tentative d'évasion » de six basques incarcérés à la prison parisienne de la Santé qui a été déjouée grâce à la sagace perspicacité de vigilants fonctionnaires de l'Administration pénitentiaire... Évidemment, nous ne sommes pas obligé de croire sur parole ladite Administration, puisqu'il y a des précédents plus que significatifs.
En effet, il faut savoir que dans tout bon plan de carrière de fonctionnaires des prisons, cela fait bien d'avoir, personnellement, déjoué une « évasion en cours » (ou sur le point de se produire). Malheureusement, les détenus ayant la fàcheuse tendance à de moins en moins tenter de s'évader, cela laisse fort marri les surveillants avides de « points de bonus », et d'avancements à bon compte. Reste donc à provoquer ces « tentatives d'évasion ». Il y a aussi que lorsque l'on veut se débarrasser d'un détenu, il est simple de dire qu'il a tenté de s'évader. Ainsi il est transféré vers un autre établissement. Ce prétexte est aussi régulièrement invoqué pour obtenir des crédits pour tels ou tels travaux sécuritaires. Voici quelques exemples que j'ai vécus ou dont j'ai eu connaissance au cours de mes plus de 15 ans de détention.
Au début de 1992, alors que je me trouvais à la maison d'arrêt de Fresnes, en fin de matinée après avoir réintégré la cellule qui m'avait été attribuée, je me mis derrière mon traitement de texte. Réfléchissant sur mon sujet, mon regard s'est alors posé sur une pile de revues dont l'une présentait une « anomalie » volumétrique. Je l'ouvre, et, ô surprise, une dizaine de feuilles A4 agrafées en haut à droite y avaient été dissimulée. Il s'agissait de la photocopie des « tours de service » de l'ensemble des surveillants de la prison pour la semaine à venir. Un document qui ne m'était bien sûr d'aucune utilité, et que « on » avait dissimulé là lors de mon absence du matin. Après avoir déchiré les feuilles et les avoir passées dans la cuvette des toilettes, j'ai inspecté la cellule à la recherche d'autres éléments qui allaient leur permettre de « prouver » la préparation d'une « tentative d'évasion ». Je n'ai rien découvert de plus que cette dizaine de feuilles insérées entre les pages d'une revue. Évidemment, en début d'après-midi la cellule que j'occupais a fait l'objet d'une « fouille de routine » de la part de surveillants. Celui qui conduisait cette fouille a dû se demander ce que j’avais fait du document qu'un de ses complices y avaient dissimulé le matin. Il va de soi que si je n'avais pas eu l'attention attirée par un renflement entre les pages d'une revue sur lequel mon regard s'était machinalement posé, comme pour les six Basques, l'Administration pénitentiaire aurait claironné bien fort qu'elle venait de déjouer une évasion en préparation...
En 1993, à la maison centrale d'Ensisheim où je me trouve, le « Syndicat » (au sens maffleux du terme) des surveillants réclamait la pose d'infrastructures de sécurité au quartier socio-éducatif L'Administration pénitentiaire s'y refusait, pour raisons budgétaires. Que croyez-vous qui arriva ? Il fut découvert qu'un barreau était « entamé », c'est-à-dire qu'aux yeux du « Syndicat » c'était la preuve qu'un prisonnier avait commencé des préparatifs d'évasion, d'où l'urgence de réaliser les travaux demandés. Ce qui fut fait. L'Administration pénitentiaire a tellement cru dans cette « tentative » qu'elle n'a même pas jugé bon de faire réaliser, dans la foulée, une fouille générale de l'établissement pour retrouver la « lame »...
Il y a deux ans, à la prison de La Santé, il y eu la « tentative d'évasion » de Guy Georges et quelques autres, déjouée grâce à la vigilance de quelques surveillants qui étaient là par hasard fortuitement à ce moment-là... Le prisonniers politique Carlos, alors détenu dans ce même quartier, a raconté par le détail cette « grossière provocatioti » (selon ses termes) montée de toutes pièces par le « Syndicat » qui voulait obtenir la réalisation de travaux au quartier d'isolement de la prison, et voir certains détenus transférés ailleurs. Ce qui fut fait.
Car ces « tentatives d'évasion » servent aussi à faire transférer des détenus que l'on juge encombrants et dont la direction et/ou le petit personnel de la prison veulent se débarrasser. Il y a quelques années, la prison Saint-Paul de Lyon s'est ainsi séparée de l'un de ses pensionnaires abhorré aux motifs qu'il avait été découvert dans sa cellule une lame de scie à métaux. L'intéressé a été le premier surpris d'apprendre qu'il avait cela « chez lui ». Mais c'était sa parole de prisonnier politique contre celle du fonctionnaire de l'Administration pénitentiaire qui avait découvert l'objet...
Dès lors, il faut être prudent dans le cas des six Basques de l'ETA qui préparaient, selon les dires de l'Administration pénitentiaire, leur évasion avec des explosifs qui ne furent pas, et pour cause, retrouvés au sein de la prison. Qu'importe l'absence d'explosif, le plan suffit, et les six prisonniers ont été transférés vers d'autres établissements, au grand soulagement du « Syndicat ». Ce fut une si bonne nouvelle pour ce dernier que l'on peut même se demander s'il n'avait pas intérêt à ce que cette « tentative » ait lieu, où plus exactement s'il n'avait pas intérêt à ce que l'un de ses adhérents ne découvre, fortuitement cela va de soi, le fameux « plan d'évasion ». Les médiats, qui ont copieusement relaté cette affaire, n'ont hélas pas mentionné si le plan était rédigé en basque (langue des prisonniers). Car s'il était rédigé dans un français approximatif, avec moult fautes d'orthographe de grammaire et de syntaxe, cela aurait pu être une indication sur celui, ou ceux, qui ont rédigé ce document. Il est en effet de notoriété publique qu'en général ceux qui sortent de « l’école Nationale de l’administration Pénitetiliaire » sont limités culturellement. Au point que les détenus lettrés se régalent lorsqu'ils prennent connaissance d'un « rapport » rédigé par un de ces « intellectuels »...
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