L'implication juive américaine dans la politique française divise la communauté
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26/12/04 |
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6.09 t.u. |
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Marc Perelman |
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Traduit d'une revue juive américaine, cet article montre comment les représentants en France du lobby juif américain soutiennent Sarkozy...
L'implication croissante de groupes juifs américains dans les efforts du lobby juif pro-israélien qui naît, en France, alimente, chez certains dirigeants juifs français et officiels israéliens, l'inquiétude d'un possible retour de bâton.
Dans une lettre au ministère des affaires étrangères israélien [juin 2004], l'ambassadeur d'Israël en France, Nissim Zvili, a mis en garde contre des conséquences négatives potentielles, s'il s'avérait que des groupes juifs américains cherchent à influencer la politique française, croit savoir Forwards.
Plusieurs dirigeants juifs français se font l'écho des inquiétudes de Zvili, selon lesquelles, si l'on découvrait l'existence d'un financement de politiciens français par de l'argent juif américain, au moment où les sentiments hostiles à l'Amérique et à Israël font rage, cela nuirait, en fin de compte, aux Juifs français.
Selon une source de l'ambassade, Zvili, qui répondait à une question du ministère des affaires étrangères, suite à des informations sur de telles initiatives, a souligné la nécessité de tenir compte des différences radicales de mentalité et de structures politiques entre la France et les Etats-Unis. Dans sa lettre, Zvili écrivait également que des comptes-rendus de l'intervention de groupes américains mettent mal à l'aise des dirigeants juifs français et pourraient avoir un impact très négatif sur l'opinion publique.
Citant une appréhension couramment exprimée dans les cercles juifs français, la source de l'ambassade indiquait : "Ce serait une catastrophe si de l'argent juif américain finançait une campagne électorale française."
Toujours selon cette source, Zvili aurait demandé à Israël de recommander aux groupes juifs américains d'agir avec précaution. La source indiquait que le message avait l'approbation de Jérusalem et qu'il avait probablement été transmis aux groupes juifs américains.
Nos appels téléphoniques à des fonctionnaires du ministère des affaires étrangères chargés de suivre cette affaire, n'ont pas reçu de réponse.
Une grande partie de la polémique a porté sur un accord, conclu l'année dernière, entre l'AJCongress et un groupement pro-israélien qui donne de la voix : l'Union des Patrons et des professionnels Juifs de France, plus connue sous son acronyme français : UPJF.
Des préoccupations ont également été exprimées à propos des activités européennes de l'American Israel Public Affairs Committee [Comité américain pour les questions publiques relatives à Israël], organisation de lobby en faveur d'Israël, à Washington, qui a tissé des liens avec des groupes juifs de France et d'autres pays européens pour encourager le développement du lobby à l'américaine.
L'American Jewish Committee [Comité juif américain] a intensifié son rôle en Europe, l'année passée, mais il semble avoir évité le genre de polémique qui fait rage autour des deux autres groupes américains.
Aux termes de l'accord entre l'AJCongress et l'UPJF, le groupe américain fournira à son associé français formation et conseil, tant en matière de soutien d'une cause, que sur le plan de l'aide financière.
David Twersky, directeur de l'AJCongress, le Comité pour la Communauté Juive Mondiale, nouvellement fondé, a confirmé le financement, mais a refusé de révéler son montant. Hervé Giaoui, Président de l'UPJF, a fait de même.
La détermination de l'UPJF à soutenir des candidats politiciens et à s'engager dans l'activisme politique a donné lieu à des prises de bec répétées avec le principal corps représentatif juif français, connu sous son acronyme : CRIF. Roger Cukierman, président du CRIF, a critiqué l'accord conclu entre l'AJCongress et l'UPJF. Aujourd'hui, les activités politiques de l'UPJF alimentent la spéculation de certains cercles, selon laquelle le nouvel accord introduirait l'AJCongress dans cette arène.
"Nous avons affaire, ici, à un mélange nocif d'argent étranger, de lobbying politique et de points de vue bellicistes", affirme Patrick Klugman, ancien responsable de l'Union des Etudiants Juifs de France, et membre du Comité du CRIF. "Cela finira par se retourner contre les intérêts de la communauté juive."
Mais tant l'AJCongress que l'UPJF ont mis l'accent sur le fait que l'accord de coopération entre les deux groupes excluait tout rôle dans la politique française.
Twersky a démenti catégoriquement toutes les insinuations selon lesquelles des fonds juifs américains étaient injectés dans la politique française, insistant sur le fait que l'accord entre l'AJCongress et l'UPJF exclut explicitement l'action politique, en tant qu'élément de leurs activités conjointes, et se concentre exclusivement sur les efforts pour combattre l'antisémitisme et les sentiments anti-israéliens. Giaoui a indiqué que l'argent américain servirait seulement à financer des campagnes publicitaires pro-israéliennes, et qu'en conséquence, il n'avait aucune inquiétude concernant le fait que ce partenariat puisse être perçu comme une ingérence juive américaine dans des affaires françaises.
Twersky a également insisté sur le fait que l'UPJF tendait à conférer aux Juifs français un pouvoir, d'une manière que ne permettent pas les organisations fédératrices, tel le CRIF.
"L'action politique est considérée comme relevant de la responsabilité de l'UPJF", a affirmé Twersky, ajoutant qu'il a conseillé au groupe français de ne pas prendre parti politiquement.
L'examen des déclarations de l'UPJF semble indiquer un schéma de soutien des candidats de tendance droitiste, reflétant ce que de nombreux observateurs, y compris quelques dirigeants du parti travailliste israélien, caractérisent comme une plus grande sensibilité de la droite française aux problèmes de l'antisémitisme, que ce n'est le cas de la gauche.
Dans une lettre à ses membres, en date du 24 juin [2004], précisant la position du groupe à propos du soutien aux candidats politiques, l'UPJF s'est dite convaincue "qu'il est impératif de s'impliquer dans la vie politique de notre pays, aussi bien à l'échelon local, qu'aux échelons national ou européen".
Cette lettre de juin visait à expliquer la décision, prise par l'organisation, de soutenir la candidature de Patrick Gaubert dirigeant juif antiraciste bien connu - à une récente élection au Parlement européen, de même que celle de Laurent Dominati, à une élection parlementaire française à Paris. En outre, le groupe a exprimé son soutien énergique à Nicolas Sarkozy, présidentiel prometteur. L'un des fondateurs du groupe, Nicole Guedj, est aujourd'hui sous-secrétaire d'Etat dans le gouvernement. Ces quatre politiciens sont membres de l'UMP, parti conservateur du Président Jacques Chirac.
Giaoui, le président de l'UPJF, a fait remarquer que le groupe avait également soutenu un candidat communiste, ainsi que Francois Zimeray, ancien membre socialiste du Parlement européen, qui a pris de fortes positions pro-israéliennes. Cependant, il a reconnu que la tendance du groupe était orientée à droite, ajoutant qu'elle reflétait un changement politique dans la communauté juive.
Giaoui a indiqué que le groupe encourageait ouvertement les Juifs à faire des dons financiers aux candidats favorables à Israël, de manière à ce que la communauté juive recouvre son influence politique.
Les observateurs ont noté que le financement politique en France est sévèrement limité par la loi - qui n'autorise que des dons individuels limités -, et que les politiciens tendent à dépenser moins d'argent que leurs homologues américains. Par ailleurs, le président [de la République] trace les lignes de la politique étrangère du pays, laissant peu de place à l'intervention des députés, ce qui rend moins utile le financement des candidats favorables à Israël aux élections parlementaires ou locales.
En dépit de ces obstacles qui empêchent d'influencer la politique du gouvernement, la volonté, dont fait preuve l'UPJF, de recommander des candidats et d'inviter des individus à les financer, a touché une corde sensible dans une partie de la population juive française.
"Il est temps que les communautés juives européennes prennent leurs responsabilités en termes d'action politique. Nous devons accepter de jouer un rôle plus politique", a déclaré Zimeray, ancien député européen, qui a créé, l'année dernière, son propre groupe de soutien à Israël, à Bruxelles.
Zimeray a indiqué qu'il encouragerait un tel programme au CRIF, où il vient juste d'être nommé responsable du comité politique. D'autres fonctionnaires du CRIF ont déclaré que l'institution devait demeurer neutre, en raison de sa position d'interlocuteur officiel entre le gouvernement de la France et sa communauté juive.
L'organisation de Zimeray, appelée Medbridge [http://www.medbridge.org/], s'efforce essentiellement de promouvoir l'image d'Israël, à l'aide de son réseau de relations dans les milieux politiques européens.
Zimeray a précisé qu'il n'avait pas reçu d'aide financière de groupes juifs américains mais qu'il considérait comme bienvenu un tel financement pour des projets spécifiques. Par exemple, il a reçu une certaine somme d'argent de l'AJCommittee pour l'organisation du voyage en Israël et en Jordanie de plus de 200 membres du Parlement européen.
Toutefois, faisant clairement allusion à l'AIPAC, il a mis en garde contre la reproduction servile, en Europe, des modèles américains de lobbying.
"Certains groupes juifs américains se comportent exactement comme si l'Europe n'était pas différente", dit-il. "C'est la meilleure recette pour une catastrophe."
L'AIPAC a développé des relations actives avec un certain nombre d'organisations juives, à Paris et à Bruxelles, y compris avec un autre groupe de soutien à la cause israélienne, ayant son siège à Bruxelles et appelé European Middle East Forum [Forum Europe-Moyen-Orient], qui a été créé en 2002 par deux hommes d'affaires, Marc Grossman et Ronny Bruckner.
Un responsable du European Middle East Forum a reconnu que l'AIPAC avait fait bénéficier le nouveau groupe de son expertise, mais il a affirmé qu'il ne l'avait pas financé. Le responsable a ajouté que le financement du groupe provenait essentiellement de donateurs européens privés, bien qu'"un ou deux" donateurs américains privés contribuent à son budget annuel, à hauteur de 2,2 millions de dollars.
"Nous ne voulons absolument pas être le bras européen d'une organisation américaine", a affirmé le responsable, qui a tenu à garder l'anonymat.
Ce responsable a ajouté que le nouveau groupe, qui a récemment ouvert des succursales dans les six pays européens ayant les plus grandes communautés juives, s'en tenait à la publication de rapports politiques et à l'organisation de voyages et de rencontres dans le but d'améliorer l'image d'Israël aux yeux des décideurs européens.
Le European Middle East Forum encourage ses membres à soutenir les candidats politiques, entre autres par des dons financiers, mais il prend bien garde de ne pas prendre position en tant qu'organisation.
"Nous sommes perçus comme un lobby juif. Cela n'est pas très facile à porter. Mais tant pis", a conclu le responsable.
La détermination de l'AIPAC d'approcher une variété de groupes juifs a créé une certaine tension avec le CRIF, qui, tant officiellement que traditionnellement, est considéré comme le principal porte-parole des Juifs de France.
L'année dernière, des responsables du CRIF ont été contrariés de ce que l'UPJF ait été le seul groupe juif français invité à la conférence annuelle de l'AIPAC. Bien que plusieurs groupes juifs aient été invités cette année, dont le CRIF, la tension était toujours palpable.
Au cours d'une conférence de formation d'une journée avec les dirigeants juifs européens, qui s'est tenue en marge de la conférence, Cukierman a quitté la salle après que sa requête pour avoir davantage de temps de parole ait été repoussée par les organisateurs - ceci d'après deux personnes qui étaient présentes. Selon elles, les organisateurs avaient attribué plus de temps à la présentation faite par le European Middle East Forum.
Les responsables de l'AIPAC n'ont pas réagi aux demandes de commentaires, faites par téléphone.
S'il est un groupe dont le siège est en Amérique et qui semble avoir évité la critique, tout en développant ses opérations en Europe, c'est bien l'AJCommittee. En plus du financement des voyages en Israël, en coordination avec des groupes juifs locaux, tels que celui organisé par Medbridge, l'AJCommittee a ouvert un institut transatlantique à Bruxelles, et fournit un appui technique par l'intermédiaire de son réseau de bureaux européens, dont le plus récent est celui qui s'est créé à Paris.
David Harris, directeur de l'AJCommittee, a indiqué que l'organisation prenait garde de ne pas marcher sur les platebandes juives locales. Par exemple, précise-t-il, il a tenu à faire venir des dirigeants juifs européens à ses rencontres avec des responsables officiels européens, et de conclure des accords d'association avec des organisations fédératrices plutôt qu'avec des groupes individuels.
"Pas question d'agir de cette manière", a précisé Harris. "Le lobby à l'américaine doit être adapté aux conditions locales, et nous autres, Américains, ne devons pas perdre de vue ce que 'savoir-faire' et 'nuance' signifient."
Marc Perelman
Original anglais : "Israeli Envoy Vexed by Role Of U.S.Jews In France", By Marc Perelman - :: LIEN ::
* Traduction française : Menahem Macina.
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