Révolutionner l'altermondialisme
 |
22/12/03 |
 |
14.12 t.u. |
 |
Aurélien Durand |
|
Le 15 novembre 2003, à Paris, entre quarante mille (selon la police) et cent mille (selon les organisateurs) personnes ont participé à la manifestation de clôture du deuxième Forum social européen. Et c'est un peu plus de cinquante mille militants, sympathisants et curieux qui ont, tout au long de ces trois jours, participé aux débats et forums, et réfléchi à un « autre monde. » Un chiffre suffisamment éloquent et alléchant pour que de nombreuses personnalités, de gauche comme de droite, se découvrent une fibre altermondialiste. A droite on se pare d'une candeur toute innocente, on est pour une mondialisation à visage humain. Ainsi, Chirac qui, équipé de son oreillette, dit rester « attentif» à la mondialisation et assure qu'il existe des « zones de convergences » sur un certains nombres d'idées «dont il ne faut pas s'imaginer qu'elles sont destinées à être simplement mises sur les étagères» ou Juppé qui en altermondialiste convaincu veux «donner des règles à la mondialisation», etc. A gauche, on est plus vindicatif, on cherche au Parti socialiste à être le parti de l'altermondialisme, le parti phare du mouvement, en opposition à LO et à la LCR qui seraient incapables d'accéder aux affaires. Et ce, malgré un courant plutôt hostile au PS qui culmina lors de la manifestation de clôture du FSE, lorsque «les socialistes pour un autre monde» défilèrent, rejetés à l'arrière du cortège, sous une pluie ininterrompue d'oeufs, de canettes et d'insultes - décidément, le ridicule ne tue pas.
Tous sont ainsi devenus, le temps d'une petite semaine, des partisans béats d'une autre mondialisation. Bref, de quoi essayer de donner un peu de couleur et de saveur à un discours politique qui ne sait franchement plus enthousiasmer les foules. En tout cas, à défaut de changer le monde, le FSE aura été l'objet de toutes les cours et de biens des courbettes.
Mais au-delà de ces tentatives de récupération flagrante, quelque fois pitoyables, et au-delà des apparences gauchisantes de l'altermondialisme, il pourrait être intéressant de savoir de quoi est composé réellement ce mouvement. Ce n'est certainement pas un énième parti monolithique mais, en fait, plutôt un ensemble plus ou moins organisé sous la forme de réseaux multiples. Un ensemble dans lequel la division et la disparité des solutions proposées sont à leur comble, malgré la sensation d'une «conscience collective» qu'il faille faire quelque chose. C'est un public de militants plutôt atypiques, hors partis, venant d'horizons politiques et sociaux très différents et se recrutant principalement dans les rangs des déçus des partis phares de la république. Nombreux aussi sont ceux, qui, apolitiques ou non, se retrouvent là pour défendre une cause parmi d'autres en appliquant la «stratégie du coucou» : des défenseurs de l'open source (le logiciel libre contre la logique marchande, etc. ), des écologistes radicaux (la décroissance en lieu et place du développement soutenable), des zapatistes, des féministes, des globalistes, etc. Le FSE veux donc à la fois être un pôle de réflexion et une plate-forme idéologique réunissant tous les opposants au capitalisme, à l'asservissement du monde à l'économisme, à l'injustice sociale, à l'impérialisme...
Mais, ne nous y trompons pas, c'est aussi, et surtout, du fait même de la disparité du mouvement, une véritable soupape de sécurité pour le système. Car en effet la mayonnaise ne peux prendre au sein de cette macédoine idéologique, l'entente étant impossible entre des personnes qui, s'ils s'accordent à poser les bonnes questions, divergent complètement sur les solutions à apporter et les moyens d'y arriver. D'autant plus aussi que le noyautage institutionnel est quasi systématique (ATTAC, Ligue des droits de l'Homme, syndicats, etc. ) et qu’il tente de répandre l'idée que l'on peux s'accommoder d'un capitalisme réformé au sein d'une mondialisation contrôlée. Ainsi, à côté de cette cacophonie, financée à hauteur de cinq cent mille euros par l'Etat, qui polarise les mécontentements sans jamais pouvoir, si ce n'est vouloir, concrétiser aucun espoirs, le système continue quant à lui, tout en affichant les nouvelles parures de l'altermondialisme, à uniformiser et consommer le monde.
Alors, faut-il soutenir le mouvement altermondialiste ? Certes non, et cela n'aurait en fait pas beaucoup de sens au vue de ce qui est dit plus haut. En effet, comment s'y reconnaître ou tout au moins y voir un projet révolutionnaire et cohérent au-delà de l'anti-capitalisme affiché. Car l'altermondialisme aujourd'hui n'est ni plus ni moins qu'une émanation du village mondial en construction. Un cosmopolitisme idéologique contraire aux intérêts des peuples. Mais, il ne s'agit pas non plus de s'y opposer aveuglément, d'autant plus que le discours critique des altermondialistes semble séduire un nombre toujours croissant de Français. Et, comment ne pas y voir là l'expression, certes instrumentalisées et manipulées mais malgré tout authentique, d'une prise de conscience grandissante, dans les «classes populaires», de l'asservissement du monde à l'impérialisme yankee et au capitalisme. Les anars, présent au FSE - ou plus précisément à côté du FSE (1) -, l'ont bien compris eux qui, tout en dénonçant «la chasse aux altermondialistes pour mieux préparer les prochaines échéances électorales» de la part des «politiques» et le projet du FSE qui consisterait, d'après eux, à la recomposition et l'adaptation de la société à une nouvelle social-démocratie, ont participé à leur manière au forum afin d'essayer de convaincre les alters que la véritable alternative s'inscrit dans une rupture radicale avec le système. A l'instar des libertaires, prenons acte de cette disposition du peuple à écouter un discours non conformiste, non pas en soutenant le mouvement altermondialiste, au contraire, mais en nous engageant nous aussi, à côté de lui en quelque sorte, et en opposition au réformisme, afin de montrer au peuple qu'il existe une autre vision du monde, nationaliste-révolutionnaire et solidariste.
Aurélien Durand
(1) Les libertaires européens ont organisés un Forum social libertaire coïncidant avec le FSE. Une sorte de contre-FSE.
|