Un bienfaiteur de l'humanité
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08/10/03 |
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9.00 t.u. |
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Claude Algarath |
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C'est l'histoire d'un bienfaiteur de l'humanité presque inconnu, quelqu'un qui a permis à des millions de diabétiques de mener une vie normale. Nicolae Paulescu (1869-1931), médecin Roumain, a collaboré au début du XX ème siècle avec des chercheurs français, et découvrit l'insuline. Il obtint en avril 1922 un brevet intitulé « La pancréine et le procédé de sa fabrication ». Mais le pauvre Paulescu fût la victime de deux injustices de l'histoire.
La première injustice, c'est que le Canadien Fredérick Banting lui vola la vedette, puisqu'il obtint en 1923 le prix Nobel pour la « découverte » de l'insuline. Un an après la découverte de Paulescu…
La deuxième injustice a lieu 80 ans plus tard. Prévue pour le 27 Août 2003 à l'Hôtel-Dieu de Paris, l'inauguration d'un buste en l'honneur du professeur Paulescu a été annulée in extremis. On a découvert qu'il était auteur antisémite, et qu'entre deux expériences dans son laboratoire, il militait à la Ligue nationale de défense chrétienne, un parti anti-juif de l'entre-deux guerres.
Il y a des prises de position qui ne pardonnent pas. Bien que n'ayant frappé, blessé, ni tué personne, Paulescu propageait des idées qui n'ont jamais autant déplu qu'aujourd'hui. Si bien que son génie est maintenant disqualifié, et qu'il retourne à jamais dans les oubliettes de l'histoire.
Pas de buste pour Paulescu, et la plaque commémorative posée précédemment risque d'être dévissée très bientôt. C'est très mal d'être antisémite, même quand on a sauvé des millions d'êtres humains.
Il y a actuellement une campagne de dénigrement aux Etats-Unis, car on a découvert que le père d'Arnold Schwarzenegger était nazi. Mais celui-ci ne risque rien. Il vient d'être blanchi par l'Association des Juifs de Californie. Il faut dire qu'il leur a fait pour près d'un million de dollars de donations au cours des derniers mois. Schwarzenegger restera, lui, dans l'histoire, pas le professeur Paulescu. Dans notre monde, les scientifiques sont pauvres et n'ont pas les moyens de s'acheter des absolutions. En passant, papa Schwarzenegger avait commis des actes répréhensibles, du style de ceux qui ont déshonoré le parti nazi, alors que Paulescu n'avait commis que quelques articles dans des journaux engagés.
Buste ou pas buste, plaque ou pas plaque, Nicolae Paulescu mérite la reconnaissance d'une partie de l'humanité. Je ne pense pas que la mémoire collective doive l'occulter. C'est injuste. On ne doit condamner aussi durement que des actes répréhensibles, pas des idées, fussent-elles aussi radicales. À force de punir des idées avec autant de sévérité que des actes monstrueux, on mélange tout, et on relègue un bienfaiteur de l'humanité au rang d'un paria.
J'ai la malchance d'être diabétique et je remercie Nicolae Paulescu de me permettre de vivre une vie normale, sans que le diabète dévore un à un mes organes, me rende aveugle et m'oblige à être amputé. Vous comprendrez, dans ces conditions, que je n'ai que foutre des pamphlets qu'il a pu rédiger…
Encore une fois, il faudrait savoir faire le distinguo entre des crimes et des choses quand même moins graves. Au risque que tout ça ne finisse un jour par ne plus rien dire. Alors qu'on sort parfois de prison des criminels cinq ans après avoir envoyé un concitoyen ad-patres, le Professeur Paulescu vient de s'en prendre pour perpète. L'éternité, c'est bien long pour avoir déplu à des censeurs à la mode.
Claude Algarath
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