Qui est derrière l'enlèvement de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot
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17/09/04 |
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18.40 t.u. |
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Gilles Munier |
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Libre opinion extraite du n° 36 du bulletin des AFI
Je suis de ceux qui pensent que Georges Malbrunot et Christian Chesnot, Simona Torretta et Simona Pari, sont entre les mains de résistants plus ou moins manipulés par les services secrets américains et les nouveaux moukhabarat irakiens. But de ces enlèvements, comme d’un certain nombre d’autres qui les ont précédés : faire passer les musulmans pour des criminels en puissance, déconsidérer la résistance irakienne à l’étranger et embrigader le plus de monde possible dans la croisade anti-islamique de George W. Bush.
L’ « Armée islamique en Irak » qui a revendiqué le rapt de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot est dans sa majorité composée de vrais patriotes. On peut lui reprocher ses méthodes expéditives, mais que faisaient les résistants français sous l’occupation ? Approximativement la même chose. Les G.I font-ils du sentiment quand ils torturent des prisonniers à mort, criblent leur voisinage de balles explosives ou arrosent Falloujah de bombes, tuant hommes, femmes, enfants? Evidement non, mais personne ne s’apitoie longtemps sur le sort des victimes de l’armée américaine.
En Irak, le combat est inégal et sans merci. Depuis la chute de Bagdad, il y a vingt à trente fois plus de civils irakiens tués que de soldats américains. Pourquoi les moudjahidine devraient-ils être moins impitoyables que leurs ennemis ? Le 31 mars dernier, quand l’ « Armée islamique en Irak » a attaqué et éliminé quatre mercenaires américains pénétrant dans Falloujah, son combat était légitime. Que les dépouilles des « contractors » aient ensuite été brûlés, écartelées et pendues à un pont est une autre histoire. La foule qui s’est emparée de leurs restes s’est vengée des abominations commises par les forces US, comme l’aurait fait n’importe quelle foule en furie.
Au nom du Coran ?
Le fait que des résistants tuent des soldats ennemis et des mercenaires, ou qu’ils enlèvent des journalistes ou des militants d’organisations humanitaires, n’a rien d'extraordinaire. Cela se passe aujourd’hui dans nombre de conflits armés. En revanche, ce qui intrigue et pose problème, c’est que le choix des ravisseurs d’otages semble systématiquement guidé dans la mauvaise direction. On peut commettre une erreur de jugement, mais pas la répéter indéfiniment. Il y a forcément d’autres solutions que d’assassiner des travailleurs étrangers pour les convaincre de quitter l’Irak. N’est-il pas écrit dans le Coran qu’on ne peut tenir quelqu’un responsable d’une faute commise par d’autres ? On comprendrait mieux que l’ « Armée islamique en Irak » focalise ses attaques sur les multinationales US et les négriers modernes qui leur fournissent du personnel sous payé. J’ai contacté quelques amis Bagdad, pour eux cette organisation semble infiltrée. « Au lieu de rechercher le dialogue avec des chefs de cellules combattantes » m’ont-ils dit, « les diplomates français feraient peut être mieux de s’adresser à Iyad Allaoui, ou mieux à John Negroponte, ambassadeur des Etats-Unis en Irak »…
Action psychologique
Enlever des journalistes étrangers sert parfois la cause que l’on défend, mais les assassiner : jamais. Enzo Baldoni, correspondant de l'hebdomadaire indépendant Diario della Settimana, n’était pas un espion. Pourquoi avoir choisi de l’enlever, lui, plutôt que l’envoyé spécial d’une chaîne de TV appartenant à Sylvio Berlusconi ? Les ravisseurs devaient savoir que le président du Conseil italien ne rappellerait pas son corps expéditionnaire et que le départ des 60 soldats philippins obtenu en échange de la libération d’Angelo de la Cruz, était une victoire en trompe l’œil. La décision de les rapatrier était prise depuis longtemps.
Comme si l’assassinat du pacifiste italien n’avait pas fait suffisamment de mal à la cause irakienne, l’ « Armée islamique en Irak » a aussitôt remis çà. Elle a choisi d’enlever Georges Malbrunot et Christian Chesnot, qui - comme l’a dit Michel Barnier – « ont toujours manifesté leur compréhension et leur attachement au monde arabe et musulman ». Franchement, n’y avait-il pas de journaliste pro-israélien à Bagdad ?
Même observation pour le rapt de Simona Pari et Simona Torretta, militantes d’Un Pont pour Bagdad… Ce n’est pas parce que des organisations humanitaires sont instrumentalisées par les services de renseignements qu’elles sont toutes des nids d’espions. Qui a choisi ces deux jeunes filles connues pour leur engagement en faveur la levée des sanctions contre l’Irak et qui, par ailleurs, portaient le voile par respect pour les convictions religieuses des familles qu’elles aidaient ? Un début de réponse est fourni par Noami Klein et Jeremy Scahill dans The Guardian (16/9/04) : le commando qui a envahi le local d’Un Pont pour Bagdad semblait appartenir à la Garde Nationale, les ravisseurs déclaraient travailler pour Iyad Allaoui et leurs armes n’étaient pas du type de celles possédées par les résistants.
La « sale guerre » des nouveaux moukhabarat
Dans le cas de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot, on aurait compris que l’ « Armée islamique en Irak », supposée proche d’Al-Qaïda, demande le départ du contingent français stationné sur la base de Bagram en Afghanistan, ou que la France ne forme pas de policiers irakiens. Non, elle a réclamé l’annulation de la loi sur le voile, une demande qui n’a rien à voir avec la résistance irakienne et qui serait refusée.
L’ « Armée islamique en Irak » a la particularité de formuler des exigences qui n’ont aucune chance d’être acceptées. En août dernier, après l’enlèvement de Fereydoun Jahani, consul d’Iran à Kerballa – dont on est sans nouvelle depuis – elle avait réclamé la libération « sous 48 heures » de 500 prisonniers de guerre que la République islamique ne détenait pas. A l’époque, on avait remarqué que cette demande faisait suite à une déclaration d’Hazem Chaalane, « ministre de la Défense » irakien, qui qualifiait l’Iran de « premier ennemi de l’Irak ». Etait-ce un hasard ?
A qui profitent ces enlèvements et ces assassinats ? A Bagdad, mes contacts répondent : aux Américains, à Iyad Allaoui, et à eux seuls ! Il s’agit, me dit-on, de manœuvres destinées à entraîner les pays récalcitrants dans la lutte contre le terrorisme. Mais, on ne comprend pas pourquoi la vie de Georges Malbrunot, de Christian Chesnot et de Mohammed Al Joundi, semble moins valoir – pour la classe politique française - qu’une mauvaise loi sur la laïcité. On trouve parfaitement déplacé de parler d’immixtion dans les affaires intérieures de la France quand des musulmans réclament un peu plus de respect. Paris, rappelle-t-on, n’a pas hésité à s’ingérer dans les affaires intérieures irakiennes en soutenant l’embargo et c’est autrement plus grave. La France, ajoute-t-on enfin, n’est ni un « paradis pour les Musulmans » ni une amie inconditionnelle de l’Irak et on reproche à Jacques Chirac d’avoir fait voter la résolution 1511 de l’ONU (octobre 2003) sur la transition politique.
Aujourd’hui, la situation en Irak n’est pas sans rappeler celle qui prévalait en Algérie quand les généraux de l’ANP tentaient d’éradiquer les maquis du Front Islamique du Salut (FIS) et du GIA. La Sécurité Militaire algérienne avait créé des groupuscules terroristes qui surpassaient en violence celle des maquisards. Elle leur fit porter la paternité de crimes abominables et parvint à faire déraper la résistance islamique. Les Américains en ont tiré des leçons. Soutenus par d’anciens agents des moukhabarat qui entourent Allaoui, ils font la même chose en Irak et en pire.
Personne ne sait qui dirige l’« Armée islamique en Irak ». S’il y a un message urgent à faire passer à la résistance irakienne, c’est le suivant : « Faîtes le ménage dans vos rangs ! ». Et vite …
15/9/04
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