Accueil FOCUS Analyses Que reste-il de l’héritage géopolitique de la France ? Peu de choses…

Que reste-il de l’héritage géopolitique de la France ? Peu de choses…

Dire que de Gaulle ne reconnaîtrait plus le pays qu’il a libéré serait une litote. Quid de notre place dans le monde ? Quid de nos coucheries géopolitiques & des gains mesquins & pitoyables qu’elles nous apportent ?

Q. Si je vous dis que les pétromonarchies, dont la France se dit proches, ne sont plus des sponsors du terrorisme takfirî vous allez faire la moue ?

Jacques Borde. (Rire). Oui, plutôt. En fait tout est davantage question d’appréciation ou de savoir de quoi on parle.

Q. Vous pourriez revenir sur cette histoire de 4×4 ?

Jacques Borde. Oui, si vous voulez.

Comme je vous l’ai dit, lorsqu’on a accusé Toyota d’avoir fourni en abondance ses 4×4 à Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)1, le constructeur a aussitôt réagi et rendu public la liste de ses clients dans la région. Et, comme l’a rapporté Eric Denécé, on a su que « 22.500 véhicules auraient été vendus aux Séoudiens, 32.000 aux Qataris et 11.650 aux Émiratis. Puis (…) l’armée jordanienne aurait facilité le transfert de ces véhicules en Syrie et en Irak ».

Q. Comment qualifier ce processus ?

Jacques Borde. Au fond, des 4×4 ne sont pas à proprement parler des véhicules militaires. Vous et moi pouvons nous en procurer sans end user. Et pourtant, dans le cas présent, on arrive à 66.150 engins qui, armés de bitubes de 23 mm ou de 14,5 mm, auront en fait constitué l’ossature du parc roulant de DA’ECH, s’ils ont bien pour l’essentiel été livrés aux Kamiz brunes !

Q. Alors, ventes d’armes ou pas ? Vous nous dites quoi.

Jacques Borde. A priori, non. Sauf que ces véhicules auront bien pris une part active aux campagnes de DA’ECH. Et que leur rôle fut primordial en termes de mobilité. Un des enjeux de la guerre asymétrique qui se joue au Levant, ne l’oublions jamais.

Ceci posé, je ne vous dis pas que je crois pour autant à la fable de l’abandon de l’aide à Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām par les pays du Golfe. Bien au contraire, je pense qu’elle aura pris des formes plus discrètes mais tout aussi efficaces. Voire plus…

Q. Mais, finalement, que nous apporte notre, disons, proximité idéologique avec les États du Golfe ?

Jacques Borde. Ah, la question qui fâche. En fait, pas grand-chose. Et, c’est bien là que la bât blesse. On nous ressasse la légende de la nécessité de plaire à tout ce petit monde golfique pour y vendre notre quincaillerie aéronautique (civile ou militaire). Mais ce discours ne tient pas la route, enfin !

Q. Pourquoi donc ?

Jacques Borde. Simple : pour trois raisons :

Primo, arrêtons le cinéma : Airbus, qui reste le plus rentable de nos vendeurs dans ces contrées, n’est pas une PME française, mais une une multinationale européenne. Ses deux principales têtes (sic), Tom Enders et John Leahy, ne sont même pas françaises ! Thomas Tom Enders, dit Major Tom, qui est le président exécutif d’Airbus Group, ou Chief Executive Officer (CEO) pour les anglophones, est allemand. Quant à John Leahy, son Chief Operating Officer (COO) il est carrément… américain !

Très franchement, prétendre que les ventes d’Airbus sont liées à l’entregent des comiques  troupiers qui gangrènent nos hautes fonctions politiciennes relève d’un onanisme médiatique dépassé.

Secundo, quant aux ventes de matériels militaires, les Britanniques de BAE Systems et les Suédois de SAAB, arrivent à placer qui du JAS 39 Gripen NG, qui du Typhoon, sans avaler les boas constrictors qui sont le lot quotidien de notre classe politique.

Tertio, on étale (attitude typiquement franchouillarde) nos succès. Mais, on parle beaucoup de nos plantages.

Ainsi, on sait déjà que la Demande formelle de renseignements (aussi appelée RFI pour les anglophones2) lancée par le Savunma Sanayii Müsteşarlığı (SSM)3 pour son programme Turkish Fighter Aircraft (TF-X) destinée à remplacer, à l’orée de 2030, le parc de F-16 de la Türk Hava Kuvvetleri (THK)4, se fera au détriment du Rafale. Comme quoi, les simagrées de notre classe politique vis-à-vis de la Sublime porte ne servent à rien !

Quant au Koweït,  il n’a jamais jeté un regard sur notre merveilleux Rafale et ça n’est pas moi qui le dit, mais notre excellent confrère Guillaume Belan, « s’apprête à commander 28 F/A-18 Super Hornet. C’est ce qu’a confirmé le General Lafi al-Azemi, responsable des acquisitions militaire du Koweït. Le marché devrait dépasser les 5 Mds de dollars. Les F/A-18 de Boeing viendront remplacer les F-18 vieillissants. Des F-18 que Boeing s’est engagé à reprendre selon le général al-Azemi. Le Koweït en dispose de 39 »5.

Fatalitas ou franche inadéquation de nos courbettes face à des monarchies qui, depuis le temps, en ont vu d’autres…

Q. Mais, nos attentions vis-à-vis des dirigeants de l’Orient compliquée, apaisent nos relations ? C’est déjà ça…

Jacques Borde. Avec les autorités locales ? Ah, bon ! Méditez donc la petite sortie du ministre turc des Affaires étrangère, Mevlüt Çavuşoğlu, à propos de la candidature de Manuel Valls à la Primaire de la gauche, vous m’en direz des nouvelles :

« Personnellement, je suis inquiet. Nous commençons à voir une situation semblable à celle précédant la Seconde Guerre mondiale. C’est très dangereux. Les politiciens font du populisme. Le socio-démocrate Manuel Valls a démissionné de son poste de Premier ministre pour être candidat à la présidentielle. Au lieu de dire  »je vais porter la France plus loin, je vais la renforcer », il dit être candidat contre le chef d’État russe Vladimir Poutine, contre le président américain Donald Trump et contre le président turc Recep Tayyip Erdoğan. Avec ce type de déclaration, Valls est voué à l’échec. Ni l’Europe, ni les peuples européens, ni la France ne doit rien attendre d’une personne annonçant sa candidature d’une telle façon. C’est une vision inacceptable. Nous ne sommes opposés à la candidature de personne. Nous ne nous ingérons pas dans la politique intérieure du pays, mais nous sommes contraints d’avertir face à déraillement ».

On a beau dire que les propos d’estrade du Senor. Valls sont particulièrement incongrus, mais la réaction de Mevlüt Çavuşoğlu montre bien la piètre estime dont jouit l’actuelle classe politique, passée la Méditerranée.

Q. Vous approuvez ?

Jacques Borde. La saillie de Çavuşoğlu ? Non, pas le moins du monde. Mais vous noterez la crainte qu’inspire le nom de la France, Hollandus regnante, au ministre turc des Affaires étrangère. Pas très impressionné le bougre ! Gageons, hélas, qu’il ne doit pas être le seul…

Notes

1 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
2 Ou Request For Information (RFI). Une RFI a pour objet d’évaluer la faisabilité de projets sur un plan technique et financier. Sert à réunir les éléments nécessaires à la détermination de solutions techniques répondant au besoin et d’explorer les différents schémas financiers possibles et les cadres contractuels permettant de les supporter. Une RFI ne constitue en aucun cas un engagement de l’État à lancer ultérieurement une consultation ni un engagement pré-contractuel de la part des sociétés y répondant.
3 Sous-secrétariat pour les industries de Défense.
4 Armée de l’air turque.
5 Air & Cosmos.

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