Défenseurs de la liberté d’expression ou propagandistes du choc des civilisations ?
Sous nos yeux se déroule actuellement, tant en Europe que dans les pays musulmans, une gigantesque provocation dont les auteurs, grâce à une habile désinformation des deux parties, visent à susciter le maximum de conflits entre les musulmans et l’Union européenne.
Pourquoi cela ?
Une première réponse est évidente : la survie de l’Autorité palestinienne dépend en grande partie des subventions de l’UE. Alors que le mouvement Hamas vient d’y remporter les élections, de nombreuses pressions diplomatiques sont effectuées sur les gouvernants des pays européens et sur l’exécutif de l’Union, pour que l’Europe gèle ses aides ou, au minimum, les réduise.
Or, pour atteindre cet objectif, une crise comme celle que nous connaissons actuellement n’est pas inutile… Bien au contraire, pour ses initiateurs, elle est de nature à influer, dans le « bon sens », tant sur les dirigeants européens que sur l’opinion publique du vieux continent.
Même si cet objectif n’est pas atteint, cette crise ne sera pas inutile. Bien orchestrée par les médias, elle met l’opinion publique au bon diapason, elle renforce l’idée du « choc des civilisations », donc elle justifie - dans l’esprit des citoyens moyens qui n’ont que les médias du système pour s’informer - au Proche et au Moyen Orient le « combat légitime » de la démocratie contre l’« absolutisme archaïque de l’islam militant ». Combat concrétisé par la répression en Palestine occupée, par l’occupation de l’Irak, voire demain par des agressions militaires contre la Syrie ou l’Iran.
Pour comprendre ce que je viens d’écrire, il faut remonter dans le temps et il faut revenir à l’origine de tout cela.
L’affaire des caricatures remonte à l’été 2005 lorsque Kaare Bluitgen, l’auteur d’un livre sur le Prophète Mahomet ne put trouver un seul dessinateur acceptant d’illustrer de son nom son ouvrage « Koranen og profeten Muhammeds liv » (Le Coran et la vie du prophète Mahomet). Selon Kaare Bluitgen, le meurtre en 2004 du cinéaste néerlandais Theo Van Gogh, auteur d’un court métrage sur le Coran et la soumission de la femme, par un islamiste radical, aurait influencé écrivains et dessinateurs, dont certains « ne voulaient pas du tout toucher à tout ce qui a trait à l’islam ». Face à l’autocensure des écrivains et illustrateurs du Danemark, Jyllands-Posten, le plus grand quotidien du royaume, décida durant l’été 2005 de tester la liberté d’expression. Il demanda ainsi à une quarantaine de caricaturistes de faire des portraits du Prophète Mahomet. Seuls douze acceptèrent et leurs dessins, signés, parurent le 30 septembre dans le quotidien sous le titre « Les 12 visages de Mahomet ».
L’ensemble était aussi anodin que médiocre. Les responsables musulmans au Danemark demandèrent cependant des excuses officielles qu’ils n’obtinrent pas. Il se tournèrent alors vers les ambassadeurs de pays musulmans en poste à Copenhague qui, le 20 octobre, protestèrent contre la publication des caricatures auprès du Premier ministre libéral Anders Fogh Rasmussen, qui refusa de les recevoir.
Logiquement, tout aurait du s’arrêter là. Or, c’était sans compter sur un très étrange personnage : Ahmed Abdel Rahman Abu Laban, qui le 29 août 2005 avait été curieusement présenté par le Washington Post comme le principal imam du Danemark. Au mois de novembre, celui-ci entreprit une tournée dans les pays musulmans où il rencontra Amr Moussa le secrétaire de la Ligue arabe, Mohammad Sayyed Tantawi le Grand Imam de l’université al-Azhar et le plus influent des sheikhs sunnites Yusuf al-Qaradawi. Il leur présenta alors une brochure qui contenait quinze caricatures, soit les douze publiées par le Jyllands Posten plus trois autres, créées tout exprès pour l’occasion représentant Mahomet à deux reprises avec une tête de porc et pour la troisième en pédophile (tout ceci a été relaté par le quotidien danois Ekstra Bladet et les fausses caricatures sont visibles sur son site internet)… Ce sont ces trois dernières caricatures qui mirent en émoi les officiels musulmans.
L’affaire commence alors à prendre un tour plus musclé : pressions sur le gouvernement danois, boycott des produits de ce pays, etc. Les autres pays Européens restèrent prudemment à l’écart. Finalement, fin janvier un accord se fit et le 30 de ce mois, le Jyllands-Posten présenta ses «excuses» aux musulmans offensés.
Un événement sommes toute banal, qui avait été envenimé par un imam à la recherche de notoriété et de fonds, était enfin réglé.
Mais entre temps, le Hamas avait remporté les élections en Palestine et de fortes pressions diplomatiques étaient exercées sur l’Union européenne pour qu’elle cesse de financer l’Autorité palestinienne.
Or c’est exactement à ce moment que quelques titres de la presse européenne – les plus sionistophiles et les plus américanophiles – qui jusqu’alors s’étaient désintéressés de l’affaire, choisirent de « manifester leur solidarité » au Jyllands-Posten et de tout relancer en republiant les caricatures.
D’où la situation que l’on connaît.
Une situation qui se caractérise par les liens étroits avec les sionistes de tous les intervenants français.
Une situation qui se caractérise aussi par le mensonge et le montage.
On nous dit que les musulmans protestent contre la représentation de Mahomet alors qu’ils protestent contre des caricatures. On nous parle d’islamisme alors que même Le Monde doit convenir qu’en Palestine le Hamas ne bouge pas et que, bien au contraire, sa milice protège les chrétiens et leurs églises, tandis que la délégation de l’Union européenne subit un assaut de militants « dissidents » du Fatah - les mêmes qui auparavant auraient enlevé plusieurs occidentaux (que celui qui n’y sent pas une manip du Mossad lève le doigt…) -. On nous dresse un tableau des masses musulmanes rugissantes contre les Européens alors que le quotidien arabe el-Watan donne des chiffres déconcertants : 300 manifestants à Djakarta, 30 à Gaza, 400 à Islamabad, 2000 en Jordanie, quelques milliers à La Mecque, etc. Des manifestations bien sûr, mais de toutes petites quand on sait que les musulmans sont près d’un milliard et demi.
Bien sûr, je ne nierais pas qu’il y a un problème réel et inquiétant. Mais ce problème n’est ni celui de l’islam ni celui de la liberté d’expression, il est celui de la manipulation des médias et de la population pour servir des intérêts qui ne sont pas les nôtres.
Quant à invoquer la liberté d’expression, comme on le fait sans discontinuer actuellement, comment ne pas trouver cela ironique. De Faurisson à Dieudonné, de Gollnisch à « La dernière tentation du Christ », nous sommes bien placés pour savoir que c’est une valeur très relative et à géométrie variable.
PS : el-Watan du 3 février remarque, cerise sur le gâteau, que « Les Etats-Unis, dont l’image est très mauvaise chez les musulmans, tirent profit de cette crise en jugeant « pas acceptable » la publication de ces caricatures. »
La version intégrale (non éditée cause espace) de la caricature de Hajjaj illustrant cet article est disponible ici :: Lien |