Ivan Roufiol, journaliste du très sarkozyste Figaro, est, à la manière de la Droite Populaire, un zélé et méthodique rabatteur de voix nationales en faveur de la droite de l’argent, agite souvent, de façon caricaturale, ostentatoire et, pourquoi ne pas l’avouer, irrésistiblement cocasse, la rhétorique hyperbolique qu’un certain occidentalisme aussi net qu’un message. Il ne fallait pas moins l’incendie de ces jésuites du ruisseau que sont les collabos de Charlie Hebdo pour dévoiler enfin la vérité d’un homme dont la vocation semble bien être de racoler le plus large possible. « Je rêve d'une grande manifestation unitaire des Français de toutes confessions, écrit-il dans un article daté du 2 novembre, pour défendre Charlie Hebdo et, à travers lui, la démocratie en danger. Je rêve, ai-je bien dit... »
Il est certain qu’on juge un homme à ses rêves, et que le sien ressemble fort à l’un de ces stéréotypes qui agitent le bocal de nos écrivaillons de la bien pensance, dont pourtant notre Roufiol avait dénoncé la vacuité quand il s’agissait de pourfendre la gauche historique. Ne s’agit-il pas de défendre « la démocratie », « la laïcité », « la liberté d’expression », et même « la France » ? Notre champion n’ira pas jusqu’à invoquer la cause du pinard et du saucisson, sachant qu’une telle revendication risquerait d’ébrécher un front si large, qui va de l’extrême gauche aux libéraux, en passant par ces grenouilles d’isoloir de socialistes.
Il faut dire que l’ennemi, lâchons le mot, l’ « infâme », ne soulève guère la sympathie de ceux qui, invoquant les mânes de Voltaire, combattent, excusez du peu, une « régression obscurantiste », un « nouveau fascisme ». Toujours la reductio ad hitlerum, que nous connaissons bien. Décidément, nous avons l’impression d’entendre la voix rance et déclamatoire d’un BHL, d’un Finkielkraut, et surtout d’un Redeker, dont il rappelle les exploits de 2006, et qui « vit encore sous protection policière pour avoir critiqué Mahomet ». Rappelons que ce philosophe d’une profondeur vaseuse avait assimilé l’islam à la guerre sainte, ce qui révèle pour le moins, sinon une ignorance, fâcheuse pour un penseur, de la nature de cette religion, du moins une absence de réelle information, même sommaire.
Il n’est certes pas fortuit que ces hérauts de la liberté d’expression sont ceux-là mêmes qui défendent le sionisme, probablement en tant que facteur de civilisation, et pourfendent, jusqu’à justifier la censure quand il le faut, toute critique mettant en cause les dogmes sacro-saints du système. Il est alors plaisant d’entendre ces piaillements stridents lorsque l’islam est en cause.
Un vrai journaliste aurait peut-être dû s’interroger sur la nature « islamiste » de cet attentat qui vise un torchon satirique dont les cibles sont trop évidentes pour ne pas servir à qui de droit. Rioufol va vite en besogne. Voilà un acte « terroriste » trop beau pour être vrai. Pensez donc : un numéro extrêmement provocateur, de piètre tenue, bête et méchant (une des rares vérités de ce papier toilette), destiné à cautionner ce qui ne manquerait pas d’advenir, et ces cocktails Molotov, qui s’éclatent (plaisir oblige) à bon escient, comme la conclusion d’une équation machiavélique… Quels sont ceux qui tirent les marrons de ce feu arrivant comme une divine surprise ? Voilà une question qu’il eût fallu se poser (sans compter la fameuse présomption d’innocence, si bafouée).
Mais Rioufol a d’autres burqas à fouetter. Cela arrange tellement de gens ! Pêle-mêle (difficile d’ordonner une bande de cochons en foire) : Israël – pour des raisons évidentes, la guerre contre l’Iran islamiste étant imminente -, les identitaires saucisson-pinard, les laïcistes hystériques, les sarkozystes, adeptes, comme leur maître étatsunien, du « choc des civilisations », l’extrême gauche antireligieuse, enfin, tous les occidentalistes claironnants ou honteux, qui retrouvent la confortable certitude des imbéciles, pour qui un bouc émissaire vaut mieux que des réflexions qui brouillent.
Qui est perdant ? Eh bien, d’abord et avant tout le peuple. Nous laisserons de côté la vérité, qui est comme une pauvre fille malmenée par des tournantes répétées. Mais l’ouvrier, le chômeur, le paysan, enfin toutes les victimes du système, n’ont aucun intérêt à se laisser diviser par ce qui ressemble fort à une magouille. L’immigration massive est bien sûr un sale coup porté par l’oligarchie, dont Rioufol est un valet. Mais il ne faut pas se tromper, malgré les assimilations que fait notre journaliste entre islamisme terroriste et islam quotidien, en écrivant : « Or c'est bel et bien la survie de cette liberté qui est en jeu, avec la montée de l'islamisme dans certaines cités et le recul parallèle de la sécularisation qui s'observe chez les enfants d'immigrés de culture musulmane » ?
Il faut le dire et le redire. L’ennemi véritable, c’est le système marchand, dont l’idéologie des Lumières est une déclinaison chafouine, le mondialisme sécularisé, matérialiste, qui déracine les peuples, broie les identités. Que les peuples arabes, et fiers de l’être, veuillent revenir à une politique teintée de religion, pourquoi le leur reprocher ? Au fond, ne nous donnent-ils pas une leçon, à nous, si oublieux de notre histoire ? Que des musulmans veuillent pratiquer, en France, leur religion, quel « identitaire », si soucieux de l’importance spirituelle dans la construction des hommes, le leur en tiendra rigueur ? Que des faussaires avancent impudemment que l’ensemble des immigrés tendent vers l’islamisme, c’est non seulement une erreur, mais c’est aussi un mensonge. Les jeunes des banlieues louchent plutôt du côté de la Grosse pomme, des Etats-Unis d’Amérique et de leur sous culture abrutissante. C’est là qu’il faudrait enfoncer le coin. C’est là qu’il s’agirait de dénoncer l’aliénation, la bêtise moderne, l’hypocrisie « démocratique », grâce à laquelle un homme peut perdre son âme, son destin et son intégrité.
Rioufol hurle donc avec les chacals, parce que certes, c’est moins courageux que de s’opposer à la doxa, au prêt-à-penser, et à certains intérêts, mais aussi, et surtout, parce que, par là, on renforce l’artillerie idéologique, qui balise le terrain de la haine. Rioufol est un spécimen exemplaire de notre gente journalistique, et, à ce titre, il faudrait lui offrir une quenelle d’or.