Le IIIe Reich, une « Révolution brune » ?
La question de la société allemande pendant le national-socialisme a fait l’objet de nombreux travaux contradictoires. L’interprétation de Daniel Guérin (Fascisme et grand capital), - et celle de Charles Bettelheim (L’économie allemande sous le nazisme), plus strictement économique - ramènent cette phase à un stade autoritaire et totalitaire du capitalisme et insistent sur la persistance de fortes inégalités sociales. Par contre, beaucoup d’autres travaux mettent en lumière une forte mobilité sociale et, en un sens, une circulation des « élites ». Une circulation des élites, mais quelles élites ? Il est bien entendu que ceux qui dirigent ne sont les meilleurs qu’en fonction de critères de valeur toujours critiquables. Cette circulation de certaines « élites » a été la thèse principale de David Schoenbaum (La Révolution brune. La société allemande sous le IIIe Reich, Laffont, 1979, et Tel Gallimard, 2000), et de l’historien Götz Aly, malgré le caractère contestable de certaines de ses explications.
Cette circulation des « élites » aurait atteint un niveau jamais vu et aurait consisté en une certaine maîtrise des inégalités – à quelques exceptions caricaturales près comme l’immense fortune de Goering (cf. « Débat. Le nazisme et l’Etat social », in Courrier International, 757, 4 au 11 mai 2005). Selon ces travaux, la limitation des inégalités entre Allemands durant le national-socialisme semble peu contestable (et parait sans doute un facteur expliquant que le régime ait gardé un relatif soutien populaire jusqu’au bout) –, ne changeant rien à la réalité des considérables spoliations opérées par ailleurs. Un exemple de ces inégalités limitées : la cinéaste Leni Riefenstahl percevait en droits d’auteur pour son film Les dieux du stade environ 100 fois le salaire annuel d’un ouvrier, pour un film qui lui demandait plus d’un an de travail. Alors que, de nos jours et en France, l’indemnité de départ du PDG de Carrefour Daniel Bernard correspond à 2500 ans de salaire d’un smicard, ce qui correspond à une inégalité nettement supérieure.
En outre, au-delà des politiques de tels ou tels régimes politiques, on peut se demander si les écarts de rémunération ne relèvent pas de mentalités ancestrales, les pays latins étant tolérants à des écarts élevés et les pays nordiques l’étant moins. Précisons ainsi qu’aujourd’hui, en 2008, dans certains pays scandinaves, l’écart de salaire entre les cadres supérieurs et le salaire minimum est à peine de 1 à 3 (de 1500 à 4000 Euros). Il est au moins du double en France, sans même envisager la question du niveau extrêmement élevé des rémunérations maximum.