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Il y a soixante dix ans, l’Anschluss
Rédaction |
Histoire :: Allemagne
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Avant Vienne, le Führer passa à Braunau, sa ville natale, Linz celle de sa jeunesse, Leonding le village de son enfance où reposent ses parents.
Quittant Munich, le Chancelier franchit la frontière austro-allemande à 15 h 50 à Braunau l’après-midi du 12 mars 1938.
Le cortège, composé de vingt-trois automobiles et de treize camions, est impressionnant : il y a là le général Keitel, le gauleiter Josef Bürckel, le Dr Dietrich, les aides de camp détachés auprès de lui par la Wehrmacht, la Luftwaffe, la Kriegsmarine, la police, la SA, la SS…
Il ne jette qu’un simple et bref coup d’œil à sa maison natale ; sans prendre le temps de visiter l’auberge du Poméranien où il est né, tendue d’un grand drapeau noir et rouge frappé de la croix gammée. En fait, Adolf Hitler est très en retard. On l’attend à Linz et il est pressé de revoir la ville de sa jeunesse qu’il affectionne au plus haut point.
Alors que les écoliers endimanchés de Braunau l’acclament et que des fillettes aux robes colorées lui offrent des bouquets, une petite vieille vêtue de noir veut s’approcher du Chancelier sous le prétexte qu’elle l’aurait vu naître. Adolf Hitler, pressé de partir, fronce les sourcils et l’écarte d’un geste un peu agacé car il sait que ses services de propagande en font souvent un peu trop.
Ainsi, deux jours plus tard, sur la route triomphale qui mène le Chancelier à Vienne, le cortège s’arrêtera-t-il à Saint-Pölten où une femme de l’âge du Führer va particulièrement l’agacer en récitant, devant un micro prévu à cet effet, une bien jolie histoire sur les prétendus souvenirs du petit Adolf à l’école de Braunau. Les hagiographes du maître du Troisième Reich ne se sont en effet pas gênés pour propager des fables tout à fait invraisemblables sur le séjour du petit Adolf dans une ville qu’il a quittée alors qu’il avait tout juste trois ans et où il n’est jamais revenu.
« Il connaît de ce village, écrit l’un d’eux, chaque rue, chaque allées, et presque chaque maison. (…) Ses habitants chérissent tellement ce cher petit garçon qu’il est le chouchou de tous les autres enfants de Braunau. (1)»
Ce 12 mars 1938, la lune éclaire Linz, blanchit les façades de ses beaux monuments baroques ; le froid est vif. Qu’importe ! Une foule enthousiaste a envahi la ville ; par dizaine de milliers, les hommes et les femmes sont venus en famille sur la grand-place ; le long de la promenade tant arpentée par l’adolescent autrichien que fut Adolf Hitler, ils agitent des petits drapeaux à croix gammée : le Führer revient en triomphateur dans la ville de sa jeunesse, une ville dont les habitants se sont toujours sentis Allemands avant que d’être Autrichiens ou ressortissants de l’Empire défunt des Habsbourg.
Un cri traverse la manifestation populaire : « Adolf Hitler arrive ».
Quand il paraît au balcon, une immense clameur monte de la foule et l’acclame : « Sieg Heil ! ». Oui, la « Victoire » est au rendez-vous ; et le « Salut ! » de la foule est un hommage vibrant. Elle répète sans cesse ces trois invocations national-socialistes : « Ein Reich ! Ein Volk ! Ein Führer » : un Empire, un peuple, un chef… « Guide » de tous les Allemands, Adolf Hitler, chancelier d’Allemagne a entrepris de rattacher au Reich sa patrie, ou plutôt, ce qu’est devenue l’Autriche après les traités de Versailles et de Trianon. Il ne va passer que quelques heures dans la ville de sa jeunesse.
Tout près de Hitler, dans la foule des officiels, un jeune et célèbre journaliste anglais de l’époque, décrit ainsi les premières heures de l’Anschluss (2) :
« Ce fut ainsi que par un beau soleil, mais le visage fouetté par un vent glacial, je partis vers la frontière. Juste avant de traverser l'Enns, qui sépare la Basse de la Haute Autriche, je vis les premiers envahisseurs pacifiques.
« Ils formaient une colonne de vingt-quatre voitures blindées et de camionnettes rangées en bordure de la route. Les hommes, qui ne ressemblaient guère à des Allemands sous leurs bérets, avaient les traits tirés et l'expression fatiguée. Ils avaient roulé pendant trente six heures sans dormir et dans la partie montagneuse de leur voyage, ils avaient rencontré des routes couvertes de neige. En réponse à une question, ils annoncèrent : On raconte que le Führer est parti pour l'Autriche afin de prononcer un discours à Linz cet après-midi.
« La nouvelle me parut aussi fantastique qu'improbable, mais, à mesure que je m'approchais de Linz, j'éprouvai de plus en plus l'impression que les gens attendaient le moment de célébrer une grande fête et l'on entendait partout prononcer les mots :Der Führer kommt!
« A Linz même, la grande place oblongue située au centre de la ville, avec ses hautes maisons baroques dont les façades sont badigeonnées de crème et de blanc, et, en son milieu, une statue de style flamboyant, n'était plus qu'un océan humain. Les gendarmes allemands, avec leurs uniformes verts et leurs shakos à visière de cuir, aidaient la police autrichienne, tout de noir vêtue, à ménager un passage au milieu de la foule.
« Sur le balcon du Rathaus, édifice par ailleurs sans intérêt, les chefs locaux du Parti nazi distribuaient leurs ordres. La veille encore ils étaient en prison ou au camp de concentration de Wüllersdorf, ou en tout cas évitaient autant que possible de manifester leurs opinions politiques. Ils s'étaient improvisé une tenue de S. A. ou de S. S. et l'avaient complétée par des casques d'acier empruntée le matin même dans les casernes.
« Lorsqu'on regardait la place du haut de ce balcon, on ne distinguait que des visages qui paraissaient serrée les uns contre les autres. Aux premiers rangs se tenaient de jeunes Autrichiens en chemises blanches et jambes nues. Ils avaient le visage violacé par le froid sous lequel ils attendaient depuis déjà deux heures. Ils devaient encore rester là deux heures, dans l'inaction tandis que déclinait la lumière printanière, mais, bien que certains d'entre eux pleurassent de froid, ils répondaient avec entrain aux remarques joyeuses des haut-parleurs placés sur le balcon.
« Finalement, le docteur SeyssInquart, nommé la veille au soir Bundeskanzler d'Autriche, arriva de Vienne avec ses ministres pour accueillir Hitler. Nous apprîmes que le Führer avait traversé la frontière austroallemande à BraunausurInn, son lieu de naissance, et les ministres partirent au-devant de lui en auto.
« La nuit était tout à fait tombée lorsque Hitler arriva à Linz, mais jamais de ma vie je n'entendis clameurs d'enthousiasme aussi frénétiques que celles qui montèrent de cette foule patiente lorsqu'il lui apparut.
« SeyssInquart commença par le présenter au cours d'une harangue dans laquelle il le salua comme le Führer von Oesterreich, mais ce cérémonial agaça la foule qui, brûlant d'entendre la voix de Hitler, noya les paroles du chef du gouvernement autrichien en martelant à l'unisson les mots : Ein Reich ! Ein Volk ! Ein Führer !
« Je me trouvais tout près de Hitler lorsque s'éleva cette clameur formidable. Jusque-là, le Chancelier avait conservé un visage raidi, impassible. Il luttait sans aucun doute contre l'émotion qui le gagnait au spectacle des lieux familiers de son enfance sur lesquels il revenait comme sauveur de son peuple.
« Mais l'énergique slogan s'élevait, emplissait la place, la vox populi se faisait entendre dans toute sa puissance. Alors, un lent sourire détendit les traits du Führer qui, presque inconsciemment, hocha la tête comme un homme perdu dans ses pensées. « Il entend l'appel de l'Autriche », me dis-je à ce moment. « Son premier soin va être de proclamer l'Anschluss ».
« Cela ne manqua pas. Le lendemain dimanche, à l'hôtel Weinziger, au bord du Danube large et rapide, j'appris que l'union de l'Allemagne et de l'Autriche allait être proclamée le soir même, que le gouvernement autrichien, ainsi que l'armée, prêterait serment d'allégeance, à Hitler et que celui-ci, poursuivant son chemin, ferait son entrée à Vienne comme chef du pays. »
Contrairement à ce que certains ont dit, il ne salua pas de loin le Dr Bloch, le médecin juif de la famille Hitler qui soigna sa mère, Klara, jusqu’à sa mort d’un cancer de la poitrine. En tout cas, on vit le Führer arrêter quelques instant sa Mercedes découverte, devant une belle maison sise au n° 14 de la Grande Rue que son cortège empruntait. Alors que son entourage se tournait vers cette belle bâtisse dont deux cariatides herculéennes supportaient le balcon du premier étage, Adolf Hitler aurait déclaré aux officiers de sa suite, tout étonnés : « Ici habite le docteur Bloch qui a soigné ma mère. Je vous tiens pour personnellement responsable de son sort. Veillez à ce que rien ne lui arrive !»
On lit dans le témoignage du médecin, publié aux États-Unis où il allait bientôt se réfugier :
« Ce fut un moment d’excitation intense. Depuis des années, on avait dénié à Hitler le droit de revenir dans son pays natal. Maintenant ce pays l’attendait. L’exaltation qu’il ressentait était marquée sur ses traits. Il souriait, agitait la main, faisait le salut National-Socialiste au peuple qui avait envahi la rue en foule. Alors, juste un moment, il lança un regard à ma fenêtre. Je doute qu’il m’ait vu mais il dut avoir un moment de réflexion. Là, se trouvait la maison de l’Edeljude qui avait diagnostiqué le cancer fatal de sa mère ; là était la salle de consultation de l’homme qui avait soigné ses sœurs ; là était l’endroit où il était allé jeune garçon pour que l’on prête attention à ses petits maux. (…)
« Juste un bref instant, puis le cortège s’éloigna. (…)
« Hitler s’installa à l’hôtel Weinzinger, demandant tout particulièrement une suite dont la vue donnait sur le Pöstlingberg. Ce panorama était visible de la fenêtre de sa modeste chambre où il avait passé son enfance. (…)
« Le jour suivant, il fit venir quelques-unes de ses vieilles connaissances : Oberhummer, un fonctionnaire loyal du Parti ; August Kubizek, le musicien ; Liedel, l’horloger ; le docteur Huemer (3), son ancien professeur d’histoire. On peut comprendre qu’il ne put me faire venir un Juif, à une telle réunion ; cependant il s’enquit de ma personne. (…)
« Hitler arriva samedi après-midi. Dimanche, il se rendit sur la tombe de sa mère et passa en revue les Nationaux-socialistes locaux qui marchaient devant lui. »
Le lundi, Hitler partait pour Vienne.
1 - Karl Bartz-Hoffmann : « Groszdeutschlands Wiedergeburt », Raumbildverlag, 1939.
2 - G. Ward Price : I know these dictators, London 1938 ; traduction P. F. Caillé : Je connais ces dictateurs, Paris, 1938, p XII et XIV.
3 - Dans le rapport qu’il fit à la Gestapo, le Dr Bloch indique, qu’outre Adolf Hitler soi-même, le seul autre « personnage important » qui l’ait aidé à ce moment là fut Huemer, l’ancien professeur de français de la Realschule de Linz : Hauptarchiv der N.S.D.A.P., File 17, Reel 1. |
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