contact presentation soutien proposer article contact
transp
 
actualite
blank
blank
Éditorial
Politique
Étranger
Tribune libre
theoriciens
Yockey
Thiriart
Douguine
Evola
Autres
histoire
France
Italie
Espagne
Amérique latine
Allemagne
Pays anglo-saxons
Europe de l'Est
Autres
imperialisme
Entretiens
Antiaméricanisme
Antisionisme
Varia
spiritualites
Alternatives religieuses
Tradition
Varia
liste
liste
detail
sites nc
snc
accueil
recherche
recherchez
avancee
Dimanche, 17 Avril 2011
imprimer
mail
Les jeunes révolutionnaires parisiens
Er Gédour
Histoire :: France
Les jeunes révolutionnaires parisiens
Il existe à Paris plusieurs publications, très ardentes, écrites par des jeunes, et qui présentent cette originalité de se définir comme révolutionnaires sans adhérer aux doctrines du socialisme scientifique, hors desquelles il semblait jusqu'ici qu'il ne devait y avoir que des petits-bourgeois. On ne voit pas toujours très bien, à distance, ce qui les sépare. Elles ont des rédacteurs communs. Divisées sur le terrain des idées, elles se réunissent parfois sur celui de l'action publique. Il est donc assez légitime de notre part de les considérer en bloc et d'en rechercher les traits communs. La position d'abord : le refus du monde moderne. L'idée mère : la restauration de la primauté du spirituel...

Le capitalisme et le socialisme sont les deux aspects opposés d'une même civilisation matérialiste qui écrase et nie tout ce qui est proprement humain. Il ne peut avoir de véritable révolution que dans le renversement de l'échelle des valeurs du monde moderne, le salut est en nous avant d'être dans les techniques sociales et économiques (manière socialiste)... Il ne suffit pas de délivrer l'homme de la philosophie matérialiste qui en fait un nombre ou une abstraction, il faut encore revenir à lui dans l'ordre à instaurer, par le fédéralisme et le syndicalisme combinés. L'Ordre Nouveau, le plus ancien des groupements parisiens, est celui dont la doctrine est la plus arrêtée. Ses animateurs sont Dandieu (décédé), Aron, Ardouint, Chevalley, Daniel-Rops, Dupuis, Marc, et Denis de Rougemont. Ses idées les plus personnelles sont sans doute l'application systématique de la fonction dichotomique et le service prolétarien collectif en découlant, qui permettrait en obligeant tout citoyen à travailler un certain temps dans les usines, — à la place du service militaire, — de supprimer la condition prolétarienne. Quand Ph. Lamour avait fondé Plans en 1931, le groupe de l'Ordre Nouveau s'était allié à lui. Puis il se retira, l'ancien collaborateur de Clarté, — actuel collaborateur de Monde — et son ami Le Corbusier ayant manifesté des tendances jugées trop matérialistes. La revue Esprit, vieille d'un an et demi est actuellement le lieu de rencontre le plus fréquenté des intellectuels partisans de la révolution personnaliste, c'est-à-dire celle qui a pour but l'achèvement de la personne humaine et non pas la prépondérance d'une classe ou de l'état. Brillamment dirigée par Emmanuel Mounier, elle réunit les signatures de Edmond Hameau, A. Ulmann, Izard, Deléage, Millienne, Labasque, Galley et bien d'autres, notamment certaines rédacteurs de l'Ordre Nouveau.

Esprit, qui édite chaque mois un vrai volume de près de deux cents pages, publie les études les plus approfondies de la jeune révolution. La présence parmi ses rédacteurs d'innombrables agrégés de philosophie, presque tous néothomistes, l'incline de préférence vers l'aspect transcendantal et psychologique des questions soulevées. C'est cependant Esprit qui a publié, notamment au point de vue financier, les études techniques et les documentations! les plus complètes.

Il est d'autres groupements, d'autres feuilles. On en reçoit de temps en temps de nouvelles, qui bientôt cessent de paraître, comme Prélude que Lagardelle, Winter, Le Corbusier, Pierrefeu et Amos (pas tous des jeunes, comme on le voit) ont lancé il y a six ou huit mois. Nous avons reçu Front Social, l'éphémère organe de la Troisième Force, la formation politique issue d'Esprit avec Izard, Deléage et Galley. Nos lecteurs se souviennent de Mouvements, l'intéressante feuille de confrontations dirigée par Pierre 0. Lapie. Nous recevons ces jours-ci /'Incorruptible, qui nous apporte la bonne nouvelle d'une union sacrée entre au moins deux tendances qu'on croyait devoir rester distinctes, celle de Lamour et celle d'Izard qui, — avec Wall, Chauveron, Galley, Chesnays et le souriant toulousain Cayatte, — sont cosignataires d'un « Appel à la Jeunesse de France » où les vieux débris en prennent pour leur grade.

« Parisien » est d'ailleurs un terme assez large, pour désigner des tendances révolutionnaires universelles, qu'on retrouve aussi caractéristiques chez des Russes émigrés, (qui ont leurs groupes et leurs revues propres), et dans certains milieux belges, suisses, allemands, anglais, américains... et bretons.

NDLR

Quand nous nous trouvons soudain en face d'hommes, jeunes comme nous, détachés comme nous du monde où nous vivons, ayant comme nous le courage de penser en dehors des routines conformes à l'ordre établi, notre sympathie leur est acquise d'emblée. Nous ne la marchandons pas à ces hommes nouveaux qui, à Paris, professent; que ,1a patrie n'est ni l'Etat ni la Nation officielle, et veulent libérer l'homme réel des systèmes inhumains qui l'enserrent et l'avilissent. Nous sentons qu'avec eux nous pouvons nous entendre, car déjà nous leur devons. Leurs doctrines sont de celles qui nous ont aidés dans notre laborieuse prise de conscience, et les visions critiques qu'ils ont de notre temps répondent souvent à ce que nous sentons depuis toujours sans l'avoir aussi nettement exprimé qu'eux.

Certes, la Bretagne n'était pas en condition de donner naissance à un grand mouvement de pensée qui régénère le monde. Nous ne sommes pas prêts à rivaliser avec les vieux peuples, repus de culture, pour les travaux de l'esprit. Mais nous avons été tôt cependant, de nous-mêmes et sans que personne ne nous y mette, dans le bon chemin. Parce qu'ici nous n'avions pas tout perdu et qu'en vérité il suffisait d'un peu d'âme, pour refuser de prendre part à la ruée vers l'or. Dès l'année 1919, on pouvait lire dans le tout jeune Breiz Atao : « ... notre pays hésite pourtant à sacrifier son vieil idéal pour les joies grossières du matérialisme ; c'est là le fond de la crise morale qu'il traverse... » Et encore : « ... ses sentiments celtiques et chrétiens étant incompatibles avec la civilisation matérialiste d'importation directe, qui envahira tout le pays, si nous n'y mettons nous-mêmes bon ordre... »

Le mouvement nationaliste breton est parti de là. A travers l'impressionnant échafaudage de revendications économiques qu'il met en avant, ce sont les trésors du cœur breton qu'il défend. C'est l'homme blessé qu'il couvre des boucliers parfois les plus inattendus. Mais les affinités qu'on découvre entre les sentiments qui nous animent et les doctrines parisiennes ne diminuent pas la distance qui nous sépare. Il serait aussi faux de croire que tout doit nous opposer à nos voisins, qu'il serait dangereux de nous imaginer que parce qu'on est d'accord sur de grandes lignes révolutionnaires, les armes doivent tomber des mains et s'ouvrir l'ère des embrassements. Notre amoindrissement historique nous fait une impérieuse obligation de filtrer toutes les influences extérieures, et de repenser toute idée venue d'ailleurs, avant de nous autoriser à la faire nôtre. Ce n'est pas parce qu'il s'est révélé en France une espèce d'hommes disposés à nous admettre, que les tendances culturelles de la France, qui sont une permanence, cessant de nous être étrangères et que nous n'avons plus à nous préoccuper de rendre notre peuple à sa voie, et nous-mêmes pour commencer à la hauteur de notre tâche bretonne, et rien que bretonne.

C'est entendu, elle a grande allure cette civilisation de l'homme debout qu'on est en train de penser à Paris. Cela nous change des révolutions d'hommes couchés dont tous les aspects ne réjouissaient pas nos cœurs.

Mais nous convient-elle ? Ils demandent « liberté », « responsabilité », « droit au risque » pour la personne humaine. Mais songent-ils qu'en cette fin de terre quelques siècles d'asservissement d'un peuple par un autre ont rendu si chancelante la personne humaine, qu'avant de revendiquer pour elle les droits à la bagarre, nous devons d'abord songer à lui rendre son aplomb et sa résistance ? Cela nous rend circonspects vis-à-vis d'un programme révolutionnaire que nous sentons trop pensé par des Français fortifiés par la libre pratique séculaire de leur génie, pour un peuple français dont la sûreté de soi ne fait de doute pour personne.

Le progrès social et le perfectionnement individuel, surtout en Bretagne sont deux choses. Quand il y a assez de personnalité chez l'individu, ou plutôt quand sa personnalité est assez libérée pour qu'on puisse faire appel à elle avec fruit, il est loisible d'attendre le progrès social du perfectionnement individuel. C'est bien la tendance des Parisiens. Ici, l'homme compte encore trop sur les flottants entourages sociaux et sur l'armature de la société pour que nous puissions nous dispenser d'un stade préalable à la révolution personnaliste. On voit nos raisons de nous confiner de parti pris dans une action de relèvement breton qui n'intéresse que nous et de nous défier du nouvel universalisme comme des précédents qui ne ferait que nous distraire d'une tâche indispensable.

Nous ne pouvons pas placer non plus au premier plan de nos préoccupations l'élaboration des techniques financières ou économiques de la nouvelle révolution. Nous sommes un trop petit pays pour que, même en économie fermée, nous puissions innover. Nous devrions marquer le pas, même si nous étions prêts à réaliser avant les autres. La partie se jouera ailleurs. Nous nous contentons d'une attitude de sympathie, et nous nous consacrerons à la lutte qui ne peut attendre, pour la sauvegarde de notre nationalité. Ces réserves étant faites, avouons que nous prenons trop de plaisir à nous familiariser avec cette claire pensée française, où tout le monde entre comme chez soi, pour ne pas éprouver le besoin de nous méfier des pièges qu'elle nous tend. Rien de plus sympathique, au premier abord, que la théorie la « Patrie-Climat spirituel » épousant le cadre de la « Région Naturelle », que les jeunes révolutionnaires, qui ont l'immense mérite de repousser le cosmopolitisme des enjuivés, opposent à la « Patrie-Etat ». Mais n'est-ce pas remplacer une blague par une autre ? Pour réfuter une idée de patrie qu'on trouve fausse on lui substitue une autre idée de patrie. Il nous semble au contraire que l'erreur vient de vouloir à tout prix concevoir une idée générale de Patrie qui soit de portée universelle. Cette manifestation d'une manie bien française de ramener à tout prix la complexité des faits à des énoncés abstraits, (forcément faux à force de simplification, de clarification et de généralisation), nous fait souvenir d'une de nos premières stupeurs. C'était à un congrès de régionalistes français, il y a une douzaine d'années. Il s'agissait de diviser la France en régions. La salle s'était partagée en deux camps : les partisans de grandes régions et les partisans des petites. J'étais confondu, et me levai pour faire remarquer qu'il y avait des régions des deux sortes, et qu'on devrait consacrer ce qui est, plutôt que de songer à remplacer un cadre factice par un autre cadre factice. Ce fut une douche froide pour l'auditoire qui ne goûta nullement ma réflexion. Les Français aiment légiférer pour le monde. (A force d'être universels ils finissent même parfois par devenir étrangers à leur propre pays sur lequel ils n'ont plus de prise. Juste revanche du Réel).

Il en est des patries comme des régions. Il y a autant d'idées de patrie que de patries. Il y a des régions naturelles qui sont des patries, l'Irlande, le Danemark, la Bretagne, la Corse, mais il n'y en a pas beaucoup. La patrie tchèque ne correspond pas à la région naturelle de la Bohême dont toute la ceinture est allemande. La patrie allemande s'identifie plus avec une langue qu'avec un territoire. Et il y a des régions naturelles qui ne sont pas des patries, témoin les trente-six contrées si différentes des Etats-Unis. Et où sont les régions naturelles à travers les immenses plaines sans relief de l'Europe septentrionale ? Vouloir remplacer la « Grande-Patrie » française par la patrie berrichonne, caussoise ou briarde, c'est remplacer un toc par des tocs. La France d'oïl est une unité dont les régions constituantes sont trop imprécises pour délimiter des « climats spirituels ». Et pourquoi obliger les Allemands de Nuremberg de se séparer de ceux de Bielefeld sous prétexte que les premiers sont Bavarois et les seconds Westphaliens, s'ils veulent n'avoir qu'une âme et qu'un cœur ? Très dangereux cette théorie de la Patrie-Région naturelle. Où commence-t-elle ? Où finit-elle ? Au fait, pou--vons nous être bien sûrs que la patrie bretonne n'est pas liquidée au bénéfice de la patrie malouine et de la patrie léonarde ?

On voit combien, par un exemple qui nous touche, les doctrines des révolutionnaires parisiens sont loin de leur point d'application ! Nous qui sommes dans la lutte jusqu'au cou, avons souvent en lisant ces revues l'impression de petites histoires d'intellectuels. Témoin les enquêtes que vient de lancer Esprit. Emmanuel Mounnier est épatant d'intelligence et de scrupules. Il écrit le français d'une manière qui nous autres, pauvres Armoricains, nous laisse rêveurs. Il a ouvert une enquête pour étudier les moyens d'action qui s'offrent aux jeunes révolutionnaires. Nous deviendrons vieux avant de savoir comme lui décortiquer une question, en dissocier tous les éléments, en développer tous les aspects, en tirer un monde d'aperçus. Mais, tout ce travail de l'esprit est-il nécessaire ? Ecoutez plutôt :

« Les moyens de force matérielle vous paraissent-ils condamnables en soi ? Ou croyez-vous qu'ils doivent être, dans l'état actuel du monde, employés préalablement à tous autres? Ou enfin pensez-vous que leur usage doive être soumis à des hiérarchies et à des régulations, et lesquelles ? Les moyens proprement spirituels ne vous semblent-ils pas devoir retenir l'attention de ceux qui se réclament aujourd'hui d'une révolution spirituelle ? Si oui, croyez-vous pas urgent de définir contre le monde de l'argent, des méthodes non pas seulement de démonstration, mais d'action visant... etc. »

Que signifie tout cela sinon qu'Esprit en particulier et tout le jeune mouvement parisien en général est très, très loin du vivant ? Dans le vivant, on ne se pose pas toutes ces questions qui coupent un peu ma foi les cheveux en quatre et qui trahissent une inaptitude foncière à s'évader des spéculations intellectuelles. Dans le vivant, on « envoie d'dans », (en breton : kas ebarz, pour vous servir) ; on va de l'avant, poussé par le besoin d'agir, guidé par son cœur et le sens qu'on a de son peuple. C'est en se livrant à l'apostolat, aux démonstrations suggérées par les événements, qu'on découvre, après coup toujours, les lois de l'action qu'il convient de mener.

Voilà ce que nous répondons à l'enquête d'Esprit, « Revue Internationale, Edition Française ». (Toujours à la conquête de la planète, chers amis, comme en 93!)

Ce ne sont pas seulement nos manières de bâtir des idées qui nous séparent des Parisiens, mais notre façon de les vivre. Nous ne nous mouvons pas à trois cents mètres dans l'atmosphère, entre pairs, parmi les libres éclairs du génie spéculatif. Nous allons le dimanche matin parler à des paysans dans des bistrots après la messe de sept heures, et nous devons leur expliquer que Dalimier fut un ministre et Daladier un autre qu'il ne faut pas confondre, que Stavisky n'est pas un général polonais mais un voleur, que Doumergue n'est pas redevenu Président de la République, et qu'il existe un rapport de cause à effet entre leur respect inconditionné de l'Etat et la mévente des pommes de terre primes.

Je me souviens d'avoir assisté, il y a quelques huit mois, à une des réunions de la Troisième Force à Paris, C'était touchant d'ardeur, de foi et d'espérance, absolument comme au Breiz Atao de 1920, où celui qui le premier avait dit : « Si nous faisions des affiches? » passait de suite pour un grand homme, et où les premiers abonnés étaient fêtés comme des Rois Mages. — Dans dix ans on en reparlera.

Et cependant, bien des chefs de ces formations-enfant, qui au total et pour toute la France n'ont pas la moitié de l'importance numérique et matérielle du Parti National Breton, se refusent de prendre le mouvement breton au sérieux. Ce n'est le cas ni de Philippe Lamour qui en a tâté, ni de Galley qui est venu faire un tour en Cornouaille, ni de Lapie qui tient à nous par le sang, ni de plusieurs autres qui se rendent à l'évidence. Mais combien d'autres, — notamment Izard pour ne pas le nommer, — s'obstinent à nier ce qui est? N'est-ce pas l'un d'eux qui après avoir lu notre brochure sur le Nationalisme Breton, me la rendit en souriant : « C'est un peu canularesque... » ? Ils ne se rendent pas compte que l'action a d'impérieuses nécessités, qu'il ne sert à rien d'avoir raison entre soi, ni d'émerveiller un millier d'universitaires de choix par de splendides échafaudages idéologiques, quand on veut agir sur la masse. Il se peut qu'à certains adorables cénacles des bords de la Seine nous donnons l'impression de primaires, d'arriérés et de cornichons. Mais que restera-t-il de toutes ces hautes vues de l'esprit quand il faudra empoigner la foule de la rue ? Un ami m'écrit avec beaucoup de sens : « ... il ne s'agit pas pour nous de tracer un programme idéal que nous serions forcés de trahir, si brusquement nous prenions le pouvoir, mais de préparer des solutions pouvant s'adapter immédiatement aux conditions pratiques de la vie bretonne. »

C'est sans doute pourquoi nous n'intéressons pas certains révolutionnaires intégraux, et en chambre, de Paris. Ils s'abritent derrière une belle théorie de la révolution (la révolution, c'est l'explosion, la rupture créatrice dans le domaine spirituel, et non pas la violence qui n'est qu'une diversion épisodique... etc.) pour ne voir en nous que de tout petits bourgeois cramponnés à des idéologies et à des tactiques périmées.

Il faudrait pourtant qu'ils comprennent deux choses : 1° obligés d'agir et d'agir vite sur la masse, nous devons nous plier à des nécessités d'action qu'ils seront eux-aussi contraints de subir le jour où ils voudront l'attaquer. — 2° leur révolution n'est réalisable que dans le domaine spéculatif. Sur le macadam, toutes les données générales qui sont à la base de sa dialectique s'effritent en cas particuliers et en conditions spéciales. Quand nous disons en Bretagne : « Retrouvons la force de nos pères », nous ne sommes pas « canularesques ». Nous ne sommes pas non plus d'un autre âge quand nous crions « Sus à l'étranger ». Ce ne sont pas chez nous des souvenirs du passé un tantinet ridicules, c'est la brûlante activité, c'est une phase historique que nous devons nous aussi traverser pour nous accomplir, c'est une question de vie ou de mort et c'est tout notre goût à vivre qui est en jeu. Pour refaire du peuple breton une société humaine, nous ne pouvons faire appel qu'aux sentiments de l'ordre de ceux qui à l'origine ont créé une Bretagne. L'opposition « Bretagne-France » qui vous fait sourire est en réalité dans tout son simplisme, l'image la plus expressive, la plus près de l'esprit du peuple qu'on puisse trouver, d'autres oppositions morales, économiques et sociales auxquelles vous donnez de philosophiques dénominations.

Vous vous inclinez devant l'Homme avec un grand H, mais quand l'homme de Bretagne paraît, avec un tout petit h, il ne vous intéresse pas, parce qu'il n'illustre pas suffisamment vos thèses. Vous n'avez ni une mention, ni un salut pour le seul mouvement d'essence jeune-révolutionnaire passé à l'action à l'intérieur des frontières françaises, le seul mouvement effectif de jeunes hommes non-conformistes qui ait réussi à toucher le peuple et à en entraîner une partie, le seul qui ait à souffrir de la répression policière. Ce n'est ni juste, ni chic.

Car le mouvement breton est cela. En dehors de ses aspirations immanentes vers la liberté nationale qui sont déliées de toute position proprement politique, et restent, si l'on veut, rebelles à l'intégration dans une synthèse des forces révolutionnaires, il en a d'autres auxquelles il demande sa vision de la cité bretonne future pour laquelle il combat. Anti-étatiste il l'est en actes, dans la rue. Antimatérialiste il l'a toujours été. Défenseur de l'homme il l'est comme vous et plus instinctivement que vous, car chez les Celtes la Personne a toujours primé (toujours aux dépens de l'indépendance nationale) les abstractions collectives, et c'est chez nous une question de cœur avant d'être un concept de l'esprit. Ennemi du capitalisme libéral, il le deviendra logiquement. Et si ces tendances n'expriment pas encore un programme politique populaire, c'est, nous vous l'avons dit, que nous avons d'abord à relever un peuple, à l'affranchir du pouvoir étranger, c'est qu'il faut aller par étapes si l'on veut être compris quand on est lu et garder ses troupes quand on en a.

Espérons que les jeunes révolutionnaires parisiens comprendront cela un jour et qu'ils feront sa place à la jeune Bretagne. Si cela n'était, nous serions forcés de les combattre comme leurs vieilles barbes de pères, et ce serait bien dommage.

Er Gédour.

Remarques. — L'article qu'on vient de lire a été composé il y a déjà quelque temps et nécessite des précisions complémentaires. Les deux équipes de l'Ordre Nouveau et de la Troisième Force tendent plutôt à s'éloigner l'une de l'autre. La première serait suspectée de trop d'indulgence pour le nationalisme par la seconde qui, aux yeux de la première, se compromettrait imprudemment du côté communiste. La Troisième Force se lance dans la vie publique en créant des embryons de sections d'assaut, et n'hésite pas dans sa haine des marchands de canons à lier partie avec tous les ennemis du nationalisme, jusqu'aux groupes de combat Yeddisch que vomit de temps en temps le faubourg du Temple. L'Ordre Nouveau auquel s'est joint Notre Destin a fait paraître de son côté le 14 avril, le premier numéro d'un journal de doctrine, Nous Voulons, qui donne huit petites pages tous les second samedis pour 50 centimes.

Par ailleurs, il se confirme que le lancement du premier et dernier numéro de l'Incorruptible est dû à l'initiative personnelle de Philippe Lamour qui, malgré le fait accompli, n'a pas réussi à entraîner les amis sur lesquels il comptait.

En somme, la situation des jeunes révolutionnaires parisiens reste mouvante, les groupements flottants, les personnalités dispersées. Pour nous y reconnaître, il faudrait avoir un reporter en permanence sur place. Nous avons, hélas ! Autre chose à faire.

La police parisienne a été, comme il fallait s'y attendre, particulièrement dure avec les militants de la nouvelle révolution ; Philippe Lamour et ses vendeurs de journaux ont, nous a-t-on dit, connu les douceurs de l'arrestation illégale, après la saisie non moins illégale de leurs journaux.

Nos félicitations.

N.D.L.R


source

Stur n°1-2 Juillet – Octobre 1934 :: lien
0
depeches
blank
faire un don
rss flux rss
blank
 
 
© 2002–09 :: v2.0
derniers documents
Rousseau et la postmodernité :: 20/05/12
La pensée stratégique russe - Guerre tiède sur l'échiquier eurasien :: 13/05/12
Entretien avec Alain Renault :: 24/04/12
Montaigne et l’indifférence active :: 23/04/12
Ernst Jünger, lecteur de Maurice Barrès :: 18/04/12