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Lundi, 25 Décembre 2006
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Crispé et écartelé : une courte histoire de E.M. Cioran (1911-1995)
Carlin Romano
Histoire :: Europe de l'Est
Crispé et écartelé : une courte histoire de E.M. Cioran (1911-1995)
Où avons-nous déjà vu cette histoire ? Un influent écrivain et penseur européen, célébré dans ses années mûres pour des œuvres d’une nuance philosophique sophistiquée, se révèle avoir été un sale type pro-hitlérien et antisémite pendant sa jeunesse.

La question standard se présente immédiatement : la vile politique détruira-t-elle sa réputation ?

Le livre de Marta Petreu, An Infamous Past: E.M. Cioran and the Rise of Fascism in Romania [Un passé infâme : E.M. Cioran et la montée du fascisme en Roumanie], (Ivan R. Dee, 2005), rappelle inévitablement aux humanistes d’un certain âge d’autres noms et d’autres scandales – De Man, Heidegger, Eliade – avec son exposé sur l’expatrié roumain, qualifié par Susan Sontag en 1968 dans son introduction à La Tentation d’exister de « figure très distinguée » écrivant alors dans la tradition lyrique, aphoristique, antisystématique de Kierkegaard, Nietzsche, et Wittgenstein.

Cioran, un maître de l’ironie lapidaire né en Roumanie, s’enfuit à Paris lors d’une bourse d’études en 1937 (Petreu dit que Cioran risquait des poursuites pour un article de journal appelant à un « massacre de la Saint-Barthélemy » pour les intellectuels roumains les plus anciens). Après un bref rapatriement en Roumanie en 1940 après la chute de Paris, il revint dans sa Rive Gauche bien-aimée au début de 1941 et vécut ici jusqu’à sa mort.

Pendant la plus grande partie de cette époque, nous disent Petreu et d’autres biographes, il vécut comme un éternel étudiant de troisième cycle, louant des chambres d’hôtel, mangeant dans des cafétérias étudiantes, et empruntant de l’argent à des amis mieux lotis. Insomniaque toute sa vie, Cioran aimait fréquenter les gens du peuple et les prostituées, bien qu’il connaissait aussi tout le monde dans le monde littéraire parisien. Ayant décidé de cesser d’écrire en roumain après la seconde guerre mondiale, il termina comme principal styliste des bons mots existentialistes (« Être, c’est être acculé »).

Dans son essai, Sontag ne donne pas l’impression de connaître une œuvre systématique (antisémite et fasciste) de Cioran, Transfiguration de la Roumanie (1936). Pour elle, Cioran se préoccupait de « l’intégrité absolue de la pensée ». Hostile à la raison des Lumières, intolérant à la tolérance, morose à propos du déclin de la civilisation européenne, un décadent avec un regard amoral sur la vie, Cioran combinait les qualités idiosyncratiques et la prose paradoxale que les étrangers recherchent souvent en amenant un intellectuel français à la renommée internationale.

Pour Petreu, la vie et l’œuvre de Cioran sont moins majestueuses. Pour cette brillante professeur de philosophie à l’Université Babes-Bolyai à Cluj-Napoca, l’insaisissable « fanatique sans convictions » (comme Cioran se surnomma lui-même plus tard) est le successeur plus âgé et probablement repentant du fauteur de troubles messianique qui appliqua la philosophie du développement culturel de Spengler à la Roumanie des années 1930 avec une brutalité et une ferveur sans égales.

En novembre 1933, Cioran obtint une bourse de doctorat Humboldt à Berlin, où il devint rapidement un fan de Hitler. « Je suis absolument emballé par l’ordre politique qu’ils ont établi ici », écrivit-il à son ami Mircea Eliade, le futur historien des religions, dont le fascisme et l’antisémitisme des années 1930 émergèrent surtout après sa mort. « Certains de nos amis », disait Cioran à son copain Petru Comarnescu, « croiront que je suis devenu hitlérien par pur opportunisme. La vérité est que j’approuve beaucoup des choses que j’ai vues ici ».

Le nazisme, écrivait Cioran, possédait « de la grandeur ». Les Allemands avaient « besoin d’un Führer », et l’hitlérisme constituait « un destin pour l’Allemagne ». Cioran soutenait une dictature similaire pour son pays et pensait que « seules la terreur, la brutalité et l’anxiété permanente peuvent amener un changement en Roumanie. Tous les Roumains devraient être arrêtés et passés à tabac ; c’est la seule manière pour une nation futile de se faire un nom ». « Le mérite de Hitler », insistait la jeune voix de la barbarie vitaliste, « consiste à priver sa nation d’esprit critique ».

Ce genre d’hyperbole marqua le style de Cioran pendant toute sa carrière. Dans Transfiguration de la Roumanie et pendant son journalisme des années 1930, cela contribua à des flambées pompeuses de fascisme.

Petreu montre que Cioran se révéla ici comme un Roumain plein de haine de soi, furieux de la « terrible impuissance » de sa culture. « Toute notre tradition n’est qu’un déchet historique », écrivit-il. Cioran qualifiait la Roumanie de « pays de paysans laids et mal-nourris » qui partout « sent la terre crue ». Il reconnaissait que « la fierté d’un homme né dans une petite culture est toujours blessée ».

Les diatribes de Cioran allaient au-delà des attaques masochistes contre son pays. A peine une semaine après la tristement célèbre « Nuit des longs couteaux » (30 juin 1934), pendant laquelle Hitler ordonna le meurtre de Ernst Röhm et de presque 200 de ses S.A., Cioran défendait le Führer dans l’hebdomadaire Vremea de Bucarest : « De tous les hommes politiques d’aujourd’hui, Hitler est celui que j’aime et que j’admire le plus ».

Un mois plus tard, raconte Petreu, Cioran, furieux à cause des critiques contre les actions de Hitler, publia une apologie encore plus excessive : « L’humanitarisme n’est que de la tromperie de soi-même, et le pacifisme est de la pure masturbation intellectuelle… Ils disent : tu ne dois pas prendre la vie d’un autre… Mais alors je demande : qu’est-ce que l’humanité a à perdre avec la mort de quelques idiots ? ».

Cioran terminait par une justification du meurtre : « Pour le triomphe de la cause à laquelle il a dédié sa vie entière, un dictateur a le droit d’éliminer quelques créatures qui empêchent l’ascension d’un mouvement pour des raisons purement subjectives… Le national-socialisme avait besoin de sang ». Petreu considère les deux articles comme le « nadir moral et intellectuel » de Cioran.

Même alors, Cioran déployait son talent pour les aphorismes et son ton ex cathedra : « Ne pas être nationaliste », écrivait-il, « est un crime contre son peuple ». La guerre était « un examen passé par toutes les nations ».

A la fin des années 1930, explique Petreu, Cioran, en dépit d’un penchant élitiste, pro-européen et pro-urbain qui s’opposait aux tendances folkloriques et nativistes de la Légion de l’Archange Michel (mieux connue sous le nom de la meurtrière secte « Garde de Fer »), Cioran en devint un partisan opportuniste, écrivant à Eliade en 1937 que la Garde de Fer était la « dernière chance de la Roumanie ».

En 1940, il se rendit à la radio de Bucarest pour lire un panégyrique en l’honneur du quasi-hitlérien fondateur assassiné de la Garde, Corneliu Codreanu, le comparant à Jésus. Cioran reçut ensuite une nomination (pendant le bref règne de la Garde de Fer sur la Roumanie) d’attaché culturel à Paris. Le poste de Cioran finit rapidement quand le maréchal Ion Antonescu, l’allié de Hitler, se retourna contre la Garde de Fer en 1941 et instaura une dictature militaire.

Les citations référencées de Petreu concernant le journalisme haineux du Cioran des années 1930 n’épargnent aucun sous-sol de sa psyché. S’il admirait avec ambivalence les Juifs comme « le plus astucieux, le plus doué, et le plus effronté des nations », et décrivait l’antisémitisme comme « le plus grand hommage rendu aux Juifs », Cioran les accusait aussi de « vampirisme », de « pervertir » les sociétés qu’ils infiltraient. Le problème juif, écrivait Cioran, était « la malédiction de l’histoire ». Sa plus célèbre ligne sur le sujet ? « Si j’étais un Juif, je me tuerais à l’instant même ».

Après la seconde guerre mondiale, le dramaturge Eugène Ionesco, vivant aussi à Paris mais ennemi de la Garde de Fer, écrivit durement : « Je ne peux pas supporter la vue d’Eliade et de Cioran, même s’ils ne sont plus légionnaires (ou du moins le prétendent-ils) ».

Cioran mérite-t-il le même opprobre qui s’attache maintenant à De Man, Heidegger, Eliade ? Peut-être pas autant, selon le principe familier qu’une dissimulation aggrave le crime, et que la rédemption réside dans l’aveu. Le poète David Lehman, dans l’exposé le plus complet sur le scandale De Man, Signes des temps (Poseidon Press, 1991), montra peu de sympathie pour l’influent théoricien littéraire de Yale qui, quatre ans après sa mort en 1983, fut démasqué par un chercheur belge comme ayant été un journaliste pronazi dans la Belgique de la seconde guerre mondiale. De Man, d’après Lehmann et d’autres, mentit sur son passé tout comme Eliade dissimula des aspects du début de sa vie. Des livres similaires comme la biographie de Heidegger par Hugo Ott ont révélé le nazisme enthousiaste de Heidegger et ses efforts mesquins pour ressembler à une victime des circonstances.

Cioran, par contre, semble avoir évolué de la peur au regret puis à un mélange d’étonnement et de honte. Petreu reconnaît que Cioran a pu être motivé par des raisons égoïstes pour se distancier de son œuvre des années 1930. Pourtant, dans sa vieillesse, pense-t-elle, il « avait substantiellement reconsidéré ses anciennes idées et en était venu à les détester profondément ». Dans une lettre de 1979, il décrivit Transfiguration comme « inacceptable ».

« Je ressentais un complexe d’infériorité qui frisait la folie… », confessa Cioran à un endroit concernant son analyse des Juifs dans Transfiguration de la Roumanie. « Il est impossible de ne pas voir dans ces pages une secrète passion pour les Juifs ». A un autre endroit il blâma le livre pour son « délire », répétant après Nietzsche que « nous sommes les victimes de nos tempéraments ». En 1946, il écrivit qu’il était devenu « immunisé contre toute croyance ». Petreu voit son premier livre parisien – Une courte histoire de la décadence (1949) – comme des excuses indirectes.

La complication dans le parcours d’après-guerre, introspectif et presque dadaïste, de Cioran, est qu’il n’abandonna jamais son désir d’avoir un profil de mauvais garçon. Le même faiseur de phrases doué qui communiquait un esthétisme flamboyant en écrivant « Je rêve d’un monde dans lequel on pourrait mourir pour une virgule », semblait parfois avoir la nostalgie de sa fourche. « Bien que j’aie beaucoup fréquenté les mystiques », écrivait-il, « au fond de moi j’ai toujours été du coté du diable ». Il dit à un interviewer : « Si je n’avais pas écrit, j’aurais pu devenir un assassin ».

Le problème quand on est démasqué est que la nouvelle image prend du temps à se développer. « Tout doit être révisé », continue l’un des aphorismes de Cioran, « même les salauds ».

Cela s’applique probablement à son image post-Petreu. Mais comme tous les auteurs d’aphorismes, Cioran va trop loin. Les livres et les réputations peuvent être révisés. Les vies ne peuvent pas l’être.

notes

Carlin Romano, critique libre pour The Chronicle et critique littéraire pour le Philadelphia Inquirer, enseigne la philosophie et la théorie des médias à l’Université de Pennsylvanie.

Article issu de The Chronicle Review, Volume 52, Issue 22, Page B12

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