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Vendredi, 17 Avril 2009
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Heurs et malheurs de l’aristocratie au XVIIème siècle
Claude Bourrinet
Histoire :: Autres
Heurs et malheurs de l’aristocratie au XVIIème siècle
L’amère lucidité d’une classe brisée

Avec La Fontaine, il faut se méfier, la morale de ses fables étant souvent à double entente. Tel sang crie l’innocence, qui s’avère être celui d’un parfait imbécile. Les lois que ses apologues éclairent, tout cruels soient-ils, emportent les destins loin des morales populaires, qui poussent Margot à sangloter.

Une philosophie de l’Histoire réside entre ses vers, assez fine pour ne pas indisposer tel censeur de lourdeurs pédantesques, mais assez limpide pour glisser, dans l’âme des amateurs de jardins, le regret de certaines gracieusetés passées. Car, déjà, dans les années 70 de l’héliocratie bourbonienne, le financier l’a déjà emporté sur le savetier, Fouquet dût-il pourrir en prison. Et ne reste à l’ermite que l’onde transparente d’un ruisseau forestier pour échapper aux diligentes précipitations, bien envahissantes, des utilités politiques, caritatives et sermonneuses.

Les temps étaient dorénavant aux avocats et aux juges, soit aux échines souples en tous genres, qui sauraient ployer leurs volontés et plier leurs discours en fonction des puissants et des intérêts. Le roseau, certes, ne rompt jamais, et pour cause ! bien réglé sur les sautes d’humeur du vent, prospérant, procréant, multipliant ses tiges creuses et ses denses touffes dans les glauques humidités, contrairement au chêne orgueilleux, axe du monde joignant les obscurs rêves et les certitudes lumineuses, touchant des pieds et du chef les demeures sacrées, celles des dieux chtoniens et ouraniens, majestueux édifice de la mémoire des hommes, solitaire monument du passé brisé par le souffle impitoyable de l’Histoire.

Ainsi la noblesse d’épée, déracinée, ruinée, dévastée par la force des choses, remplacée par la courtisanerie, espèce géométriquement agencée au siècle nouveau : c’est bien là que les gens sont de simples ressorts.

Il est vrai que le mécanique est devenu universel, dressage cartésien à la portée de tous les bons sens, aussi bien dans la machine des corps que dans les esprits.

Le fabuliste se contente bien de voir, comme tous les moralistes. Certains ont avancé plus loin et plus profond leur pessimisme, dont l’astuce est de passer pour réaliste. Pascal, La Rochefoucauld, Racine, Madame de Lafayette, voire le machiavélien Retz, déshabillaient l’homme avant de le mettre dans le tombeau d’une existence sans remède. Le moindre paradoxe fut que ce mouvement dévalant s’inversât pour générer son contraire, cet optimisme du siècle suivant, dont l’excès de confiance dans l’espèce humaine nous fait soupçonner qu’il manifestait un retour de balancier propre à une religion, même sécularisée, un peu hystérique, qui espère et désespère tout à la fois.

Cependant, la rage avec laquelle tel penseur se mettait à briser les miroirs trop flatteurs nous laisse supposer qu’il était comme ces amoureux dépités qui se débarrassent des icônes de leurs amours blessées.

On dit du prince de Marcillac, futur François VI, duc de la Rochefoucauld, faisant, en 1629, ses premières armes en Italie, qu’il fut mêlé aux intrigues du Louvre, et fit des folies, comme l’un des champions d’Anne d’Autriche. Ses aventures l’amenèrent en 1637 jusqu’en Espagne, aux côtés de la belle et romanesque Mme de Chevreuse, et jusqu’à la Bastille, où il séjourna une semaine. Conspirant, avec Vendôme, Retz, Nevers, contre Richelieu, par goût du risque et des intrigues, durant la Fronde, il balança entre la cour et les rebelles. A la fin 48, il se mêle à la Révolte. Amant de Mme de Longueville, sœur du Grand condé, il se bat courageusement, est gravement blessé en février 1649. Il guerroie vaillamment à Bordeaux, après l’arrestation des Princes, puis au faubourg Saint-Antoine, où il subit une terrible blessure qui le rend momentanément aveugle. Amer et ruiné, il s’enferme, en compagnie de Mme de La Fayette, de Mme de Sablé, de Mlle de Scudéry, de Mlle de Montpensier, de Mme de Sévigné, dans une société galante où on cultive la lucidité, l’analyse labyrinthique du cœur humain et la concision ravageuse.
Le duc a-t-il jamais cru à ses engagements ? Ses contemporains dénoncent ses tergiversations, son apparente duplicité. Joué par Mazarin, fidèle par intermittence à un prince de Condé qu’il n’aimait pas, dilettante en politique, il est autant acteur que spectateur, davantage joueur que fanatique, sceptique au fond, sauf pour le geste et la mort qui frôle et ne trompe pas. Dans cette tragi-comédie, il n’accorde de créance qu’à la semblance de la vie, à son paraître, à son « hypocrisie ». Comme au théâtre, art suprême de cette société où la grandeur, honorée ou discréditée, est partout, sur scène, dans la salle, dans les têtes et à la pointe des épées, la seule innocence est dans la reconnaissance de la superfluité, qui est la seule chose sérieuse qui donne du sel à l’existence. Le reste n’est que duperie, la pire étant celle qu’on s’inflige à soi-même. La Rochefoucauld fut comme ces dandys qui ajustent leur chevalière au-dessus de la fosse commune. La conscience du vide ne le quittait pas au milieu de la fureur des combats, et il mit autant de générosité à démolir les fondements de cette dernière que de cœur à paraître sur le haut fil funambulesque des frasques frondeuses.

L’art de mourir

Les alchimies historiques sont difficiles à décomposer. Les historiens, les sociologues, les philosophes y peuvent saisir des logiques, des forces combinatoires qui en expliquent la synthèse. Le pessimisme de la deuxième moitié du XVIIème siècle tire sa source de plusieurs facteurs idéologiques, comme la virulente résurgence de l’augustinisme et l’adoption d’un stoïcisme opportuniste, ou de l’évolution économique et sociale de la société de l’Ancien Régime, qui, progressivement, comme une plaque tectonique irrésistible, évolua vers une société mercantile et bourgeoise. Ce siècle est pourtant un siècle tragique, contrairement au siècle des « Lumières », qui parvint à extirper la tragédie des imaginations. S’il n’accepte pas avec enthousiasme le monde matérialiste (même mâtiné de déisme) que le fatum lui promet, c’est qu’il est encore aristocratique, donc défiant par rapport aux espérances mondaines. Car l’espoir est une vertu bourgeoise, non un élément de l’éthique noble, laquelle n’a comme simple aspiration que le maintien de son rang. Comme l’a bien illustré Corneille, le Maître regarde le passé, et l’avenir n’est que péril de déchéance. Chaque instant menace ce que des générations de héros ont mis tant de gloire à bâtir. Un rien, un souffle, une hésitation, qui pourrait être prise pour de la couardise, suffisent pour défaire ce que les pères ont fait. L’instant sublime de la conquête de soi, qui doit passer par le saut franc dans la mort possible, et même probable, octroie le surplus d’existence et la supériorité ontologique de celui qui n’a plus de honte à craindre, parce qu’il est au-delà, comme le soleil est au-dessus des ombres. Défi, toujours à relever, au demeurant, car le jour suivant point, avec un nouveau soleil, et le même devoir comme horizon. Parce que, comme pour l’amour, l’honneur ne se démontre pas, il ne se prouve qu’à peine, et seulement dans un doute qui peut persister. Il n’existe que dans le signe. Par métonymie, l’honneur est aussi les honneurs. L’aristocrate, qui n’évolue que dans l’apparence, laquelle est en propre, par définition, la gloire, qui rayonne et éblouit, n’a de cesse que de recevoir les marques de reconnaissance de sa propre valeur, qu’il a, par rares moments concis comme des faisceaux de feu, conquis au danger de sa vie biologique. C’est pourquoi le duel, qui est un sacrifice sur l’autel de l’opinion publique, représente le prix à payer pour garder, comme les reliefs d’un ancien festin, l’illusion, qui ne durera guère, de l’éminence d’un rang que le sang versé sur les champs de bataille avait jadis sacré. Mais les rois, depuis François premier, demandent de plus en plus le concours de mercenaires, de roturiers et d’ingénieurs en génie militaire, et les offices sont réservés à une noblesse de robe savonnée à la Paulette. Ne reste plus que la Révolte vaine contre un Etat absolu, ou de ne plus être que militaire, avec ce souvenir d’une mort offerte généreusement.

A qui lui reprochait de rappeler les nobles d’épée émigrés, Napoléon répondit que seuls ils savaient mourir.
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