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Hadrien et la Chine
Alisdair Clarke |
Histoire :: Autres
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En l’an 124 de l’ère chrétienne, la somptueuse procession impériale d’Hadrien atteignit la province la plus à l’est de l’empire, la Bithynie sur la Mer Noire. Dans la ville de Trapezus (la Trébizonde moderne en Turquie, près de la frontière avec la Géorgie), il érigea un monument à la bonne chance et à la prospérité de la ville. Trapezus était un port prospère de commerce et de pêche au thon, donc Hadrien bâtit un nouveau port et surmonta son monument d’un grand poisson de cuivre doré. Cependant, s’il avait continué à le construire en hauteur, il aurait pris conscience d’un fait remarquable.
A mesure que le continent eurasien serait apparu à ses yeux, s’étendant sur des centaines de kilomètres au-dessous, il aurait regardé vers l’ouest avec satisfaction vers le patchwork coloré de son propre empire, un enchevêtrement de routes reliant des petites villes avec des citadelles de marbre, des forts frontaliers et des voies de navigation libres de pirates. Mais sa connaissance des expéditions d’Alexandre le Grand et du commerce ultérieur de la soie, de l’encens et des épices ne l’aurait pas préparé à la vision stupéfiante vers l’est. Car ici, nettement placé à l’autre extrémité du continent eurasien, se trouvait un autre empire qui était presque une image-miroir du sien.
La surprise d’Hadrien serait complète si nous équipions l’empereur d’une machine à voyager dans le temps. En moins de trois cent ans, il aurait vu la moitié occidentale de son empire en ébullition ; les villes en train de brûler, les forêts gagnant du terrain, les Saxons traversant la Mer du Nord. Encore deux cent ans, et le vestige oriental de son empire s’effondre sous l’assaut des tribus arabes du désert. Pourtant, en Extrême-Orient, l’image-miroir de l’empire oriental est calme, ordonnée et en progrès, aussi loin et aussi longtemps qu’il puisse voir.
Hadrien quitta Trapezus sans cet aperçu, et je soutiens que c’est seulement très récemment que les historiens et les autres ont commencé à comprendre et à étudier la signification de l’émergence simultanée et manifeste de civilisations orientale et occidentale. J’en dirai plus là-dessus à la fin de cet essai. Heureusement, l’empereur reçut une révélation d’une autre sorte durant son séjour ; ce fut en Bithynie qu’Hadrien rencontra Antinoüs, son camarade, amant et partenaire de vie.
A l’époque d’Hadrien, les empires romain et han (chinois) avaient à peu près la même étendue d’environ quatre millions de kilomètres carrés chacun. Tous deux avaient le même âge, devenant des empires reconnaissables environ au même moment au début du second siècle avant l’ère chrétienne, et tous deux exploitaient le principal trait géographique de la région et étaient centrés sur celui-ci : pour Rome la mer Méditerranée, et pour l’empire han la plaine du nord de la Chine.
Le plus surprenant de tout, les deux empires avaient des populations équivalentes d’environ 60 millions d’habitants chacun (approximativement la population du Royaume-Uni d’aujourd’hui) sur une population mondiale totale de peut-être un quart de milliard. Comme le dit le Projet ACME de Stamford, « Il y a deux mille ans, environ la moitié de l’espèce humaine était contenue dans deux systèmes politiques, l’empire romain en Eurasie de l’ouest et l’empire han en Eurasie de l’est. A aucune époque depuis lors, une proportion aussi grande de l’humanité n’a été gouvernée par deux gouvernements ».
Comprendre l’énigme centrale, c’est-à-dire pourquoi l’empire occidental tomba alors que l’empire oriental continua à s’épanouir dans le présent, est la tâche du reste de cet essai. Puisque les deux empires furent le résultat de la fusion de cités-Etats et de petits royaumes, principalement par la diplomatie dynastique ou par l’invasion militaire, jusqu’à ce qu’ils soient finalement absorbés par la grande puissance régionale, il est nécessaire d’examiner la composition interne de chaque empire.
Entre 221 et 210 avant l’ère chrétienne, l’Etat de Chin réussit à unir les six autres Etats impériaux (Yan, Chi, Wei, Zhao, Han et Chu), qui avaient été en lutte durant la période des Royaumes Combattants (481-221 av. J.C.), pour créer l’empire han. Ce dernier continua à s’étendre dans son arrière-pays et dura jusqu’en 220 de l’ère chrétienne, date à laquelle il se divisa pour former les Trois Royaumes. Avant la période des Royaumes Combattants, la période du Printemps et de l’Automne (770-481 av. J.C.) avait vu environ quinze grands Etats féodaux se consolider et former les sept Etats impériaux précédemment mentionnés.
Ce qui est essentiel concernant ces Etats féodaux et impériaux dans l’ancienne Chine, c’est qu’ils étaient tous homogènes, partageant une origine commune et d’étroites affinités raciales et culturelles. D’après Toynbee : « Les pères de la civilisation chinoise ne semblent pas avoir varié concernant la race, depuis les peuples occupant l’immense région vers le sud et le sud-ouest qui s’étend du Fleuve Jaune au Brahmapoutre et du Plateau Tibétain à la Mer de Chine. Si certains membres de cette race largement répandue créèrent une civilisation pendant que le reste demeurait culturellement stérile, l’explication pourrait être qu’une faculté créative, latente chez tous, fut suscitée chez ces membres particuliers, et chez ceux-là seulement, par l’apparition d’un défi auquel les autres ne se trouvèrent pas exposés… aucun des peuples apparentés plus au sud, dans la vallée du Yang-Tsé, par exemple, d’où cette civilisation ne venait pas, n’eut à livrer un combat si dur pour la vie ».
Les compositions et les histoires des cités-Etats et des royaumes qui devaient finalement se fondre dans l’Etat universel hellénique, c’est-à-dire l’Empire Romain, furent très différentes de celles de la Chine.
Les perspectives pour un empire européen hellénique, aussi stable que la Chine, commencèrent bien avec la colonisation grecque aryenne de la mer Egée, de la Mer Noire et de la Méditerranée du nord, à partir du VIIIe siècle avant J.C. La bataille de Chéronée (338 av. J.C.), où Alexandre le Grand vainquit les armées combinées d’Athènes et de Thèbes, marqua l’exemple le plus spectaculaire de l’absorption entière d’une civilisation-noyau, dans ce cas la Grèce, par une nation comparativement plus grande mais étroitement apparentée, sur sa périphérie. Habituellement, les membres d’une civilisation-noyau considèrent son voisin plus grand et plus puissant comme semi-barbare, bien que partageant la même langue et les mêmes racines culturelles. L’ironie de la chose, c’est que la Macédoine devait subir le même sort des mains de Rome après la bataille de Pydna, quelque 170 ans plus tard.
A Pydna l’enjeu était plus grand qu’à Chéronée, parce que davantage de territoire était disputé, néanmoins Rome partageait les mêmes origines raciales et culturelles que la Grèce macédonienne, de la même façon que les Macédoniens eux-mêmes avaient originellement partagé la même civilisation avec Athènes et Thèbes. La défaite militaire de la Macédoine et des Grecs en 168 av. J.C. ne signifia donc pas la défaite de l’hellénisme, mais sa consolidation. « Derrière la grandeur de Rome nous pouvons reconnaître les forces de l’héroïque cycle aryen-occidental à l’œuvre… Si auprès d’autres peuples comme les Grecs et les Etrusques, les Romains pouvaient au premier abord apparaître comme ‘barbares’, leur manque de ‘culture’ cachait (comme dans le cas de certaines populations germaniques à l’époque des invasions barbares) une force encore plus ancienne qui agissait dans un style comparé auquel toutes les cultures de type urbain apparaissent comme décadentes et désagrégatrices », observe Julius Evola. « Beaucoup de gens pensaient que le monde romain, dans sa phase impériale et païenne, signifiait le début d’un nouvel Age d’Or, dont le roi, Kronos, était supposé vivre dans un état de sommeil dans la région hyperboréenne. Durant le règne d’Auguste, les prophéties sibyllines annoncèrent la venue d’un roi ‘solaire’, un rex a coelo ou ex sole missus, auquel Horace semble faire allusion lorsqu’il invoque la venue d’Apollon, le dieu hyperboréen de l’Age d’Or. Virgile aussi semble se référer à ce rex lorsqu’il proclame la venue imminente d’un nouvel Age d’Or, d’Apollon, et des héros. Ainsi Auguste concevait sa ‘filiation’ symbolique avec Apollon ; le phénix, qui se trouve dans les figurations d’Hadrien et d’Antonin, est en stricte relation avec cette idée d’une résurrection de l’âge primordial par l’Empire romain ».
La même crainte d’un immense voisin monolithique, « semi-barbare », devint évidente pour les Européens, à partir du XVIIIe siècle ; cette fois l’enjeu ne pouvait pas être plus grand. Pendant un instant, durant le XXe siècle, il sembla que l’Europe occidentale serait absorbée dans un nouvel imperium soviétique, et une fois de plus une civilisation-noyau aurait été absorbée en entier par un voisin racialement et culturellement apparenté, mais beaucoup plus grand.
Avant la défaite de la Macédoine, cinq Etats principaux luttaient pour la suprématie en Méditerranée : Rome, la Macédoine, l’empire séleucide, Carthage, et l’Egypte. L’empire séleucide englobait les Etats helléniques successeurs de l’empire perse aryen qu’Alexandre avait vaincu. Carthage était la plus puissante d’un réseau de colonies sémitiques phéniciennes s’étendant au sud de la Méditerranée, de la Palestine à l’Espagne. Elle fut le pinacle de ce que Toynbee nomme la civilisation syriaque. L’Egypte, ayant depuis longtemps dépassé son Age d’Or à cette époque, était composée d’une population de Sémites et d’Africains avec une élite dirigeante hellénique installée depuis peu.
Rome triompha, et se retrouva avec la tâche de gérer la population volatile, hétérogène et multiraciale sur tous les cotés de la Méditerranée et au-delà. Le singulier malheur de Rome, juste après l’établissement officiel de la Pax Romana et de l’Empire, fut de perdre contre le chef germain chérusque Arminius (Hermann) la fatale bataille de Teutoburg (an 9 de l’ère chrétienne). « Varus [le commandant romain] ruina presque l’empire, puisque trois légions avec leur général et tous leurs officiers et forces auxiliaires, et l’état-major général, furent massacrés jusqu’au dernier. Quand la nouvelle atteignit Rome, Auguste ordonna des patrouilles de nuit dans la ville pour empêcher tout soulèvement », dit Suétone, avant de décrire l’effet dévastateur que la défaite eut sur l’empereur lui-même. L’angoisse d’Auguste était compréhensible ; s’il s’était assuré du territoire entre le Rhin et l’Elbe comme le prévoyait son plan avant l’an 9, une perspective nouvelle se serait offerte à Rome. Les légionnaires se seraient trouvés au seuil de la plaine d’Europe du Nord, qui s’ouvrait bien au-delà sur ce qui deviendrait un jour la Russie. Rome n’aurait plus dépendu du blé essentiel d’Afrique si l’Ukraine avait pu être mise en exploitation. Les tribus locales, les Scythes, les Germains et les Celtes, et les premiers Slaves, partageaient une parenté et un héritage communs avec Rome, à la différence des divers peuples des rivages sud et sud-est de la Méditerranée, même si initialement cette parenté ne fut reconnue ni par les conquérants ni par les vaincus. Nous pouvons être sûrs que, comme en Italie et en Gaule, une synthèse fructueuse se serait ensuivie. Pour la première fois, Rome aurait été un empire vraiment européen, pas simplement un empire méditerranéen, avec une perspective de prospérité et de sécurité s’étendant loin dans le futur.
La longue ère d’administration harmonieuse unifiée de la Chine parvint à un arrêt temporaire à l’approche de la Dynastie Han et de la succession des Trois Royaumes (Wei, Chu, et Wu, 220-265 apr. J.C.). Après une période de confusion politique, administrative et bureaucratique, l’ancien empire Han fut reconstitué durant les dynasties Sui (581-618) et Tang (618-907). Des périodes de fort règne dynastique impérial centralisé alternèrent avec des administrations plus diffuses. La seule menace significative pour l’invulnérabilité de la Chine survint en 1206 apr. J.C. quand Gengis Khan unifia les tribus mongoles dans le Khanat Mongol, ce qui permit à Kubilaï-Khan de conquérir la plaine centrale chinoise en 1271 apr. J.C. Kubilaï-Khan devint un natif, comme c’est habituel quand des tribus nomades pastorales envahissent et dominent des communautés sédentaires, donc la vie traditionnelle continua pendant que l’Empire du Milieu se renforçait et s’étendait.
Même après de multiples chocs et divisions, la Chine, du fait de son homogénéité raciale et culturelle, est capable de se reconstituer aussi efficacement que le métal liquide intelligent qui compose la Machine T-X de Terminateur III.
Le déclin initial de Rome peut être attribué à des facteurs internes, affaiblissant les frontières et permettant la brèche qui s’ouvrit lors des Grandes Invasions, quand une fois de plus la race joua un rôle décisif dans l’histoire. Que Gibbon et Nietzsche aient raison, et que le déclin interne puisse être attribué à l’introduction du christianisme, ou que des développements plus prosaïques tels que l’affaiblissement des classes productives, ou la stagnation économique, ou le relâchement croissant des conditions requises pour la citoyenneté romaine soient à blâmer, il ne peut y avoir aucun doute que Constantin, le premier empereur chrétien, porta un coup décisif en divisant l’empire en deux, avec une nouvelle capitale vaniteusement nommée d’après lui-même.
L’empire occidental fut submergé par les tribus germaniques à partir de 410 ; les Wisigoths en Espagne, les Ostrogoths en Italie et l’Europe centrale et les Francs en Gaule créèrent des Etats successeurs féodaux durables, culminant avec une restauration faible et limitée de l’empire par Charlemagne (742-814) sur une partie des territoires occidentaux de Rome. Ainsi les pays du Rhin, qui durant le précédent cycle (hellénique) de la civilisation aryenne avaient été une frontière férocement disputée, devinrent le noyau d’un nouveau cycle de la civilisation occidentale aryenne.
La moitié orientale restante de l’empire avec sa capitale à Constantinople fut soumise à des attaques de plus en plus fortes des armées musulmanes arabes, à partir de 630. L’an 650 marqua la consolidation de l’islam dans le premier empire sassanide perse, les Arabes sous l’islam contrôlant maintenant tous les territoires jadis possédés par Carthage, l’Egypte et l’empire séleucide. Sur les cinq grandes puissances qui avaient été cooptées pour créer l’empire romain, seules les deux puissances aryennes de Grèce (jadis la Macédoine, maintenant Byzance) et de l’Italie échappèrent à l’hégémonie islamique. Toute tentative pour restaurer l’empire romain, avec des frontières correspondant à celles de l’époque d’Hadrien, fut indésirable et de toute façon impossible après 630, avec Mahomet dominant la moitié de l’Arabie.
Ainsi la chute de Rome en 410 se révéla être permanente. A la différence de la Chine, ses éléments constituants étaient trop divers, trop multiraciaux et trop multiculturels pour orchestrer une reprise réussie. Des tentatives ont été faites avec une fréquence croissante pour unir la nouvelle civilisation occidentale, mais un tel Etat (Imperium) universel occidental est encore à venir.
Le Royaume du Milieu ou Empire du Milieu, avec ses civilisations orientales anciennes étroitement apparentées de la Corée et du Japon, est essentiellement autarcique. Historiquement, en dépit de périodes d’exploration, la Chine n’a pas manifesté d’appétit pour la domination mondiale. On connaît la citation de Napoléon : « Je reconnais seulement deux nations, l’Occident et l’Orient », et si ses plans pour l’Europe étaient et restent controversés, nous pouvons être sûrs qu’il n’avait aucun plan sérieux pour envahir la Chine. Même pour l’Européen le plus souvent dépeint comme avide de domination mondiale, Adolf Hitler, la Chine ne faisait pas partie du programme. La Chine est simplement trop massive, trop ancienne, trop sophistiquée, trop étrangère culturellement pour qu’un Européen sensé puisse même envisager de la provoquer. Bien que cela n’ait pas empêché les ploutocraties occidentales, dans leur stupidité inspirée par l’avidité, de tenter de miner la souveraineté chinoise.
Des comparaisons entre la Méditerranée antique et la Chine furent étudiées et écrites par Georg Hegel, Max Weber et Karl Wittfogel, et un certain nombre d’études historiques spécialisées sont apparues sporadiquement depuis les années 1980, mais le sujet n’a jamais reçu l’attention appropriée qu’il mérite. D’après le ACME, « Il n’y a pas de justification intellectuelle pour cette négligence persistante… l’histoire comparative des plus grands empires agraires de l’Antiquité n’a attiré aucune attention. Ce déficit n’est explicable que par la spécialisation académique et les barrières linguistiques ».
Se pourrait-il qu’une étude comparative révèle des causes de la chute permanente de l’empire romain, des causes que l’establishment académique, encore profondément attaché aux notions discréditées de multiculturalisme et de multiracialisme, trouverait trop désagréables à envisager ?
Bibliographie
- Hadrian. Stewart Perowne (Hodder & Stoughton, London 1960)
- Study of History Abridgement of Volumes I-IV. Arnold J. Toynbee (Royal Institute of International Affairs/ OUP, London 1946)
- Mystery of the Grail. Julius Evola (Inner Traditions, Vermont 1997)
- The Twelve Caesars. Suetonius (Penguin, London 1979)
- Agicola and the Germania. Tacitus (Penguin 1948)
- China National Tourism Administration www.cnta.com
- Stanford Ancient Chinese and Mediterranean Empires Comparative History Project (ACME) www.stanford.edu/~scheidel/acme/htm
Le blog d’Alisdair Clarke est : http://aryanfuturism.blogspot.com/
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